Rediffusé et complété dans l'émission CPU release Ex0185 : lost + found (volume 16 : CloudSud).
Chronique effectuée en direct dans l'émission « 5 à 7 l 'Hallucinarium Éphémère » d'Eugène Lawn sur Radio <FMR> le 24 juin 2015 :
Bonjour, Enfant du Futur Immédiat, toi qui nous écouteras dans quelques secondes, sous réserves que tu valides mes règles personnelles de consultation de mes contenus en ne fermant pas la fenêtre.
Le plus grand mensonge sur internet n'est pas de dire
le plus grand mensonge est d'affirmer que
Ce petit mensonge tourne dans l'informatique depuis des années, bien avant que fut inventé le web. Il faut dire que les conditions d'utilisations
sont devenus de lourds pavés de textes, dépassant souvent les 10 pages, soient une demi-douzaine de mes rubriques. Une prose écrite dans le jargon juridique de rigueur, parfois se référant à un système juridique qui n'est pas celui du pays de l'utilisateur, rendant donc encore plus ardu sa compréhension.
Récemment [en 2015], une société d'antivirus a monté un honeypot, en l'occurrence un faux service wifi d'accès public à internet. Vous deviez y entrer votre nom, un e-mail et accepter des CGU pour utiliser le supposé service installé dans la City de Londres, le quartier des affaires et des juristes. Je vous laisse deviner la proportion d'utilisateurs de ce réseau piégé qui ont autorisé la revente de leurs enfants…
Il faut dire que plus un contrat est long, plus il est rébarbatif, moins on a envie de lire ces CGU, ce qui permet de faire passer des conditions qui seraient en temps normal inacceptables. Les avocats doivent être payés au mot, et croyez-moi, on est loin de Shakespeare.
Et pourtant !
Piqué au mot, un comptable cruciverbiste, ou un statisticien qui a loupé sa vocation de juriste, a comparé la longueur des conditions générales de différents services internet avec de célèbres mais fleuves pièces de Shakespeare.
J'ai pris les 5 plus longs.
Or qui dit classement
, dit top
, et qui dit 5
dit ...
Le Top 5
Position | Œuvre ou site | Longueur |
---|---|---|
1 | Paypal | 36 275 mots |
2 | Hamlet | 30 066 mots |
3 | iTunes d'Apple | 19 972 mots |
4 | Macbeth | 18 110 mots |
5 | Windows Live | 14 714 mots |
(classement réalisé en 2012 sur la base des Conditions d'Utilisations disponible en version Anglophone. Habillage sonore avec la voix de Dusport emprunté à l'émission Cross Over, tous les samedis à midi sur Radio <FMR>)
C'est à se demander s'il n'y a pas un concours derrière.
Et justement, un concours, une société l'a tenté. PcPitStop a noyé un concours dans les 7 pages de ses EULA (End User Licence Agrement, Contrat de Licence avec l'Utilisateur Final). Le simple fait d'y répondre et vous gagniez 1 000 $ ! En 5 mois, sur 3 000 personnes qui ont acheté le logiciel en question, une seule personne a lu jusqu'à la page 2 où était ledit concours.Tout ceci me rappelle une anecdote concernant un groupe de rock des années 1980s, une décennie où tout était plus grand : les coiffures, les épaulettes, et les méga-concerts. Le groupe Van Halen trimbalaient tant de matériel en tournée qu'il ne tenait plus dans la soute à bagages du car : il fallait plusieurs semi-remorques d'éclairages, matériel vidéo, effets pyrotechniques, etc. Mais si les méga-concerts dans les très grandes salles ou les stades de foot recevant des matches internationaux se passaient sans problème, la chanson était toute différente avec certains organisateurs locaux et les salles polyvalentes des villes moyennes.
Un jour, ils ont manqué d'avoir un mort à cause d'une poutrelle qui n'était absolument pas conçu pour tenir les 200 kg exigés dans le contrat. Le manager du groupe eut alors une idée brillante :
Il a repris le contrat de prestation, et a allongé exprès la liste des aliments qui devaient être servis dans la loge des artistes. Des sandwiches à la dinde, au poulet, des yahourt frappés, des fruits,... Et au milieu de l'article 126 dudit contrat, cette ligne, mise en gras :
- Un bol de M&M's avec absolument aucun M&M's de couleur marron. Très important !
L'idée était simple : après 12 h de bus, vous deviez savoir d'un seul coup d'œil si vous pouviez faire confiance à l'organisation locale du concert, ou dénoncer le contrat. Si en entrant dans leur loge, les membres du groupe Van Halen trouvait des M&M's dans un bol, cela pourrait être un hasard, si effectivement aucun M&M's marron n'était dans le bol, ils pouvaient supposer que les 60 pages précédentes du contrat ont été lues et scrupuleusement respectées, notamment tout ce qui concerne la sécurité de l'organisation. Donc les puissances électriques, le poids que peut soutenir la scène et les poutrelles, le service de sécurité et le non-accès des groupies aux loges du batteur.
On appelle ça un point de contrôle
.
Si celui-ci n'était pas conforme, donc si un seul M&M's marron était dans le bol ou qu'il n'y avait aucun bol de M&M's, le groupe retournait complètement les loges, et remontait aussi sec dans le bus, façon Équipe de France de Foot, mais avec une vraie raison : la sécurité des équipes et du public.
Le problème, c'est qu'en stigmatisant les marrons
dans les années 1980s, décennie artistiquement très animée par la lutte contre l'Apartheid, Van Halen s'est taillée une réputation de groupe raciste qu'ils eurent bien du mal à démentir.
Quand David Lee Roth, le chanteur de Van Halen, a expliqué récemment pourquoi des organisateurs de concerts se sont fadés le tri des M&M's par couleurs, le groupe est passé instantanément de méga-stars imbuvables au génie absolu.
Pour en revenir aux CGU, avec les applications mobiles, le système Android force les concepteurs d'applications à annoncer à l'avance ce qu'ils vont faire à leur téléphone. C'est ainsi que la banque CIC s'est faite pincée en demandant un maximum de détails privés à ses clients. Y'en a un qui n'a pas apprécié et l'a fait savoir publiquement, hélas pour lui, le CIC a fermé son compte et menacé de poursuites, sous prétexte que son contrat bancaire lui interdit d'être mécontent. Assez ironique de traiter comme ça un ingénieur en sécurité informatique, alors que ladite banque a de très nombreux exemples d'errements de sa gestion informatique.
Dommage pour le contrat de confiance : Tout juriste te le dira, aucun accord ne peut se poser au dessus des lois. N'importe quel article illégal peut entraîner une condamnation aux torts de celui qui te l'a fait signer.
Enfant du futur immédiat, les CGU les plus courtes sont forcément les plus honnêtes. Et inutile de réduire la taille des caractères, ça ne marche pas comme ça.
Mise à jour de 2022
Cette chronique sur les CGU/CGV, conditions générales d'utilisation / de vente, EULA et j'en passe, a 7 ans. Depuis , le RGPD et d'autres directives ont amené beaucoup de sécurité pour l'utilisateur particulier. Mais ces contrats dans le numérique ont trop rarement maigri. Il y'en a qui se sont lancés dans l'aventure de les lire.
Ainsi, Que Choisir, la revue de l'association de consommateurs UFC, a remis ça avec d'autres services, et ils en parlent dans leur magazine de Février 2022. Je résume : Pour lire l'intégralité du contrat d'usage d'un service, il vous faudra 2 min pour la CAF, 6 mn pour Service Public.fr, 4 mn pour la Caisse d'Épargne, 10 mn pour Netflix, 1 h 53 pour FNAC et 6 h 52 pour la SNCF. (C'était ça ou arriver à réserver sur leur nouvelle application SNCF connect)
Que Choisir reconnait que pour leur propre site, 23 mn 51 s suffisent
. Je trouve que c'est encore trop long. Je suis sûr que leur service juridique peut refactorer
ce texte, comme on dit en informatique.
Texte : Da Scritch
Plateau 2015 : Marie Janote, Eugène Lawn, DuSport et Infested Grunt.
Réalisation 2015 : Gabriel Cagnin et Da Scritch (!)
Photo : Legal contract & signature, warm tones CC-By Blogtrepreneur, image recadrée.