Extrait de CPU release Ex0005 : Mémoire humaine et mémoire numérique.
Bonjour à toi enfant du futur immédiat, toi qui nous écouteras plus tard parce.... parce que... parce que je ne sais plus. Un cerveau humain pourrait théoriquement contenir plus de 2,5 pétaoctets de données, mais des fois, la mémoire nous prend en défaut.
La mémoire humaine a ce quelque chose d'étonnant : elle apprend par association. Si je dis « il y a eu il y a 500 ans une bataille mémorable », dans le cerveau de Solarus, un étrange phénomène va se produire : le temps qu'il se souvienne de l'opération de soustraction, il va se rappeler aussi de ses cours d'école primaire, des covocs chez le surgé, des chocolatines à la récré, de la purée saucisse de la cantine et des difficiles jeudi matin où il avait cours d'histoire. De la couleur de la blouse de son professeur et de l'odeur de la craie, il arrivera au même nom propre que Gael Cerez, qui lui a en automatisme tous les faits d'armes de l'armée Française et pourra même compléter que Marignan fut la première victoire de François Ier tout juste couronné.
[GAEL] Un fait d’armes qui a fait 20 000 morts en 2 jours… Mais ça, on ne veut pas s’en rappeler.
('spèce de geek)
En informatique, une information, une donnée, se retrouve par indexation, en général aidé de métadonnées sous une forme usuelle de chaine de caractères arbitraire, et heureusement nullement en fonction des souvenirs d'enfance quand fut monté le circuit imprimé chez Foxconn. Par exemple, ces informations se retrouveraient avec un classement par années où dans la clé 1515
on trouvera un ensemble de deux clés/valeurs : la clé bataille
qui a pour valeur Marignan
et la clé couronnement
qui a pour valeur François Ier
.
En fait, le problème n'est pas informatique, mais il est humain : chacun est libre de classer sa mémoire comme il l'entend, et puis point barre. Quand il a fallut trier les espèces vivantes dans la classification de Linné (celle avec les noms latin, pour ceux qui dormaient en biolo), ou les livres dans les bibliothèques publiques, ou les suspects de comportement antisocial dans les fiches de J.Edgar Hoover, il a fallut se passer des rémanences de souvenir pour passer à l'indexation.
Bon, faut quand même avouer que le fondateur du FBI s'est emmêlé dans ses fiches bistrol car il confondait « agents communistes » et « acteurs d'Hollywood », alors que la fiche « Mafia » a été malencontreusement perdue.
Revenons à notre époque moderne, où les moteurs de recherche sont devenus des assistants mémoriels comme Google, Siri, Bing et autres... ben, on a oublié les métadonnées et on lie avec eux de l'émotionnel en croyant qu'ils marchent de cette manière. Et cette affection irrationnelle est soutenue par la programmation de leur interface. Apple a ainsi doté Siri d'un certain sens de la conversation, voire de l'humour, ce qui confère une simulation de personnalité, créant une empathie avec les utilisateurs. Cette interface émouvante fait oublier que par exemple Google ferait tourner 2 millions de serveurs pour son moteur de recherche.
D'où les personnalités qu'on leur donne, comme dans le film de Spike Jones « Her ». Car le smartphone dont il est question dans le titre de film n'a pas une intelligence par son interface, mais surtout par son moteur de recherche.
On peut aussi parler d'un confident déceptif, puisque toutes les données personnelles de l'utilisateur sont remontées dans un datacenter, et de là, accessible à un certain nombre d'intervenants.
Bref, cette voix imaginaire matérialisée par un gizmo est désormais doutée d'une mémoire infaillible. Du moins, en théorie.
Car plusieurs problèmes se retrouvent dans les mémoires informatiques :
- La limite de place. Et c'est pour ça qu'on achète des disques durs de plus en plus gros, des smartphones avec de plus en plus de place mémoire dédiée dans le cloud
- La lenteur de recherche dans l'index. Ce qui se résout en ayant de plus en plus de mémoire vive. Oui, si la RAM est si importante pour accélérer votre ordinateur, c'est pour ça
-
Une indexation lacunaire ou erronée. Ce qui se résout par des algorithmes de plus en plus complexes, ainsi que par le croisement avec d'autres données personnelles, ce qui est abusivement appelé par certains le
big data
- le droit à l'oubli, qui est un concept purement Français et inédit depuis la Libération, qui consiste à faire désindexer des données réelles sur soi parce qu'elles ne vous plaisent pas. En clair, parce qu'on n'assume pas sa jeunesse sur Pirate Bay ou son expérience de braqueur de banque de mémoire, on censure des articles de journaux.
Au final, la mémoire informatique se rapproche de plus en plus de la mémoire humaine : elle ne peut tout stocker, elle se souvient mal, elle a des souvenirs corrompus, voir sa mémoire lui ment complètement.
Bref, elle a des souvenirs, de la nostalgie et même des regrets.
Enfant du futur immédiat, si tu penses que l'informatique amène à une meilleure connaissance, il faut malheureusement reconnaître que les hommes en ont fait appliquer leurs propres inconvénients.
Paradoxal... pour des aides mémorielles.
Texte : Da Scritch
Illustration graphique : Gyrus Dentatus 40x
par MethoxyRoxy, licence CC BY-SA 2.5 via Commons