CPU ⬜ Carré Petit Utile

Extrait de l'émission CPU release Ex0221 : lost + found (rentrée 2025) première partie).

Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi que j'ai laissé en plan pendant 18 mois sans explication, sans prévenir, sans un mot, rien.

C'est pas cool.
J'en ai honte.
Mais la vie d'un animateur radio bénévole fait que des priorités peuvent t'éloigner du micro quelque temps. La direction de Radio <FMR> n'a même pas songé à m'engueuler, parce c'est le destin de tout projet associatif : il est tributaire de la bande passante de personnes qui ne vivent pas de cette activité.

3 canicules, 4 dépressions et un nombre incalculable de cafés plus tard, j'ai enfin l'opportunité de relancer notre émission CPU. Et là, ça tombe bien, car ça fait 10 ans qu'on fait cette émission, donc joyeux anniversaire à CPU, le programme Carré Petit Utile !
Cela fait 11 ans que j'ai lancé au micro pour la première fois Bonjour à toi, enfant du futur immédiat dans l'émission « 5 à 7 » sur <FMR> tenue à l'époque par Eugène Lawn, et cette chronique est devenue l'émission CPU l'année suivante.

Mais dans l'immédiat, nous allons reprendre doucement, avec les sujets qui étaient déjà amorcés. Et une fois remis de notre convalescence, peut-être va-t-on remaqueter l'habillage, peut-être va-t-on repeindre le studio et le site web. Et si vous voulez d'autres émissions, on ne va pas vous demander de l'argent, mais nous vous accueillerons avec plaisir si vous souhaitez participer à cette aventure.
En attendant, j'ai repris le clavier, et si tu m'entends, alors cela veut dire que j'ai aussi remis de l'énergie dans tout ce qu'il y a après l'écriture : la préprod, l'enregistrement en public, le montage, la post-prod web et la diffusion radio.

Et d'ailleurs, en recommençant à écrire pour CPU, j'ai constaté qu'il devient parfois très difficile de trouver des sources fiables sur le net. Des sites d'articles entièrement rédigés par IA sont trop bien référencés par rapport à des articles réellement informatifs et plus pertinents. On se fait noyer par des machines à photocopier. Parce que depuis deux ans sont arrivés de nombreux outils pour fabriquer très facilement du contenu à vitesse grand V, design de site inclus, et réutilisant du contenu déjà généré par d'autres IA,… ces outils complexifient incroyablement notre travail de recherche documentaire.
Je suis triste.

Le « Last week tonight » de Jon Oliver s'est penché sur le AI slop (la diarrhée d'IA, ou la bouillie par IA), Le Monde a aussi un dossier fourni sur le business du brainrot (le pourrissage d'attention) : parce que polluer les réseaux sociaux avec des mini-vidéos absurdes rapporte très gros.
Et tant que ça rapporte, y'a pas de raison que ça s'arrête. Imagine ce que tu peux gagner à monter un site qui se fait passer pour une référence sur un domaine industriel sans rien y connaitre et sans consacrer plus d'une heure par jour.

Résultat : oui, nous nous sommes laissés submerger par l'IA. À une vitesse folle. Autant la technologie nous amène généralement des trucs géniaux, autant son usage immodéré n'importe où nous prive d'intelligence réelle, tournant parfois à la désinformation.
Fais une simple recherche sur un thème précis dans un moteur de recherche généraliste et tu auras les cent premières réponses qui sont souvent des sites générés au kilomètre par LLM (Large Language Model). Crois-moi que je suis de moins en moins méprisant envers les personnes qui préfèrent effectuer une recherche via Gemini, ChatGPT ou Copilot, plutôt que via Google, DuckDuckGo et Bing. Mais si la seule alternative au pourrissement par IA, c'est la recherche par une IA,… outre que la situation ressemble furieusement à une prise d'otage, c'est surtout la preuve que nous nous noyons et que nous perdons une bataille cruciale de la connaissance, sa publication et sa découvrabilité.

N'empêche que, Enfant du Futur Immédiat, puisque cette année, tu rentres au collège, n'essaie pas de faire faire tes devoirs à ChatGPT, Claude ou Mistral : ils se tromperont peut-être plus que toi, alors que tes professeurs te donnent toutes les informations parfaitement qualifiées pour ton programme scolaire, et ces infos sont réelles, elles ne sont pas hallucinées, elles.

Parce que, oui, on avance, plus on aura de pages de contenus structurés en bullet-points énumératifs, chapitres de liaisons ponctués parfois d'emoji, mais dont la partie informative n'est qu'un lointain [… lointain… lointain…] écho d'un contenu humain ou d'une hallucination malvenue d'un algo de probabilité. Car en ayant submergé le contenu qualitatif, les IA s'alimenteront de leurs propres hallucinations, ou de celles des humains voulant les piéger.

À tel point que c'est devenu une blague dans le milieu informatique : Quand plus aucun humain ne contribuera à StackOverflow, qui comprendra ce qui fait planter le logiciel de la compta ?

Luc Julia, probable co-créateur de Siri, le dit tout le temps : les IA ne sont fiables qu'à 64%. Sauf que lui-même se trompe en ayant mal lu le résumé de l'étude qu'il cite. N'est-ce pas effrayant ?

Il y a un étonnant parallèle que j'entends depuis le début d'année : dans le monde de la recherche scientifique, dans les sciences physiques, certains constructeurs d'instruments de mesure ultra-sensibles cherchent avec avidité des cargos en acier construits avant la fin de la Seconde Guerre Mondiale, donc avant d'être pollués par la poussière radioactive des premières explosions atomiques.
Ben désormais, dans le web, il existe aussi des indexes qui collectionnent des ressources de connaissances qui ont été écrites avant 2021 sur le web, soit avant l'arrivée massive des modèles d'IA de génération de textes et d'image pour le grand public.
Comme beaucoup d'autres, nous essayons de ne proposer que du contenu sans IA. Et nous ne sommes visiblement pas les seuls.

Et qu'en est-il des ressources plus récentes qui travaillent à livrer du contenu de qualité ? Elles sont noyées dans un flot d'algo amplificateur de biais. Un responsable d'un labo de recherche me l'a récemment dit : devant le tsunami de publications scientifiques de mauvaise qualité, flot produit industriellement par des attention whore genre Didier Raoult, il se peut que les vrais chercheurs perdent l'opportunité de lire des papiers réellement intéressants.

Quand nous avons lancé l'émission CPU il y'a 10 ans, c'était l'époque où l'on répondait à ceux qui avaient la flemme de chercher un Google est ton ami à moitié bienveillant. De nos jours, je ne peux que chanter des louanges à Sébastien Gavois du site d'information spécialisé Next.ink pour avoir écrit un plugin Firefox pour indiquer si le site visité semble rédigé par IA. Mais comme son plugin fonctionne sur la base d'une liste déclarative, on n'est pas sorti des ronces.

Franchement, en écrivant ça, en le relisant, en le re-relisant avant d'enregistrer, en l'enregistrant et sûrement pendant que je monterai l'émission, j'ai la très nette impression d'être un passéiste ringard. Ça me fait mal. Là, je dois passer pour un type aigri, vieux, déclassé professionnellement par l'IA, dont le loisir se fait doubler par l'assistance de l'IA.

Un peu comme Éric Zemmour, qui découvre que Grok sur X arrive mieux que lui à faire monter la haine raciste, sans faire une seule faute de français, lui. Vous imaginez le seum quand il a compris ce qu'est que le vrai Grand Remplacement ?

Oui, Enfant du Futur Immédiat, je me sens mal… alors que mon intention dans cette chronique est plutôt de faire une analyse critique et de te donner un regard en coulisse sur ce que l'IA a changé pour nous par rapport à il y a dix ans, quand nous avions lancé CPU.
Maintenant, n'importe qui peut se revendiquer expert avec 30 ans d'expérience sur n'importe quel domaine technologique pointu. Tant pis si la ligne bash qu'il va pondre est trop tarabiscotée, ou advienne ce que Jésus sauvera quand cette commande effacera un répertoire complet par effet de bord. Les réponses d'une LLM, c'est de la junk-food hyper-transformée : en abuser te tue à petit feu.

Oui, c'est ça avoir un regard critique sur l'IA, et être visionnaire.
Dans ce domaine, précisément, le D^r Laurent Alexandre et Olivier Babeau sortent en octobre [2025] un livre titré « Ne faites plus d'études, comment apprendre à l'ère de l'IA ». Si si, aux éditions Buchet-Chastel. Or, le même Laurent Alexandre a écrit sur X cet été ce constat honnête :

Je suis dépassé par ChatGPT, Gemini 2.5 et Grok 4 dans au moins 99 % de mes productions intellectuelles.
Dans tous les domaines : économie, médecine, géopolitique, biologie, droit…
Oui, c'est une blessure !

C'est fou de se dire que ce bouquin du chirurgien urologue sera moins erroné que d'habitude concernant l'informatique de sa part, car il a sûrement été co-écrit avec, je cite, ChatGPT, Gemini 2.5 et Grok 4.
Et à ce stade pourquoi s'embêter à acheter et lire le livre ? Autant demander à ChatGPT ou consort de te le résumer. Et hop : 21,50 € d'économisés !
Si tout le monde fait de l'IA, quel sera le réel facteur qui distinguera des candidats pour un poste à l'embauche ? Celui qui saura le mieux demander à l'IA ou celui qui a réellement de l'expérience ? L'IA semble gratuite, soit, mais quand nous en serons bien addicts, arriveront les inévitables coûts d'abonnements d'IA, et ils feront très très mal. L'abonnement pro de ChatGPT à 230 €/mois est considéré par des financiers comme sous-estimé par rapport à son coût réel.

Cette question me hante dans mes insomnies.

Alors qu'on pourrait prendre du recul et dénoncer justement les abus, sans remettre en cause l'apport de ce domaine technologique. Tiens, par exemple, dans l'industrie musicale des années 1970s/1980s, l'arrivée du cut-up, du scratch, du sampler, la culture de la citation musicale, ou plutôt de l'emprunt comme on disait pudiquement, ben c'est ce qui a entraîné l'émergence du rap, de la house, de la techno ce que l'on appelle en général le mash-up en musiques électroniques. Et c'est passé aussi bien par la mise à disposition d'outils, que par les procès, les lois et l'évolution du droit d'auteur. C'est encore cette étape qui manque justement aux LLM et à cette catégorie d'IA, car ce qui frustre actuellement, c'est la foule d'auteurs pillés dans le texte, le code, la musique, et l'image sans rétribution équitable ni respect de leur droit moral. Ça plus le besoin de rappeler à un usage éthique, sans malveillance.

Le monde de l'IA est fascinant, les LLM ont fait des progrès absolument stupéfiants, et leurs faiblesses aussi sont super-intéressantes. La question n'est pas de savoir comment s'en passer, mais plutôt comment s'en servir avec intelligence en se disant qu'elles se tromperont comme des humains, ou qu'elles veulent manipuler leurs utilisateurs, sur instruction d'autres humains, ceux dont le portefeuille trop garni finance le fonctionnement de leurs >data-centers.

Alors oui, pour être honnête, nous utilisons l'IA dans la production de l'émission CPU, pour la correction grammaticale, pour de la traduction, des fois pour créer des illustrations quand nous n'en trouvons pas à la licence voulue, pour faire la pige automatique de nos interviewes, et si c'est pertinent, nous l'indiquons toujours dans les crédits sur la page web, afin d'éviter toute confusion.

Ce qui nous différencie de ceux qui n'écrivent qu'avec l'IA est l'intention, le savoir-faire, l'humour et parfois… l'erreur. Parce que se tromper est humain. Et nous en sommes sincèrement reconnaissants quand nous avons des interlocuteurs humains pour compléter nos connaissances.

Nous ne sommes pas les seuls, par exemple, la Wikipédia Francophone a lancé un observatoire de l'IA afin de qualifier ce qui est justifiable ou non comme usage des LLM dans la rédaction de ses articles.

Enfant du Futur Immédiat, un jour, l'IA pondra des analyses pertinentes avec mon regard, mon style, mon humour et ma voix, bien longtemps après ma mort ; que je l'interdise ou non de mon vivant n'y changera rien. On n'y est pas encore : en attendant… faut tout faire soi-même dans cette radio associative !

[GABRIEL] — OK Gégé l'IA, peux-tu me résumer cette chronique ?

[GÉGÉ L'I.A.] — Oh ben, le narrateur est un vieux mâle blanc cis hétéro méprisant incel et xénophobe actuellement sans emploi. Il s'adresse avec un ton compatissant à une gamine de onze ans avec des arguments claqués au sol. L'auteur justifie maladroitement son absence à ses derniers rendez-vous. La raison réelle est qu'il n'est pas capable d'avoir des réponses propres, claires, instantanées et exactes à des questions simples et légitimes dans son supposé domaine d'expertise. Contrairement à moi en version premium.

[GABRIEL] — Et hop, 12 minutes d'économisées.

Texte : Da Scritch.
Voix complémentaire : Gabriel et Infested Grunt.
Photo : Le groupe Rage Against The Machine, en concert à Rock en Scène en 2008, CC-By-SA Fábio Nascimento, détail