Extrait de l'émission CPU release Ex0223 : Crie si tu sais…VI.
Je suis Da Scritch, et je vais vous raconter l'histoire de l'invasion des pelleteuses
J'étais embauché comme ingénieur pour construire le nouveau méga-data-center du groupe. Un chantier énorme, avec des lignes hautes tensions qui venait de 4 endroits différents, des fondations anti-sismiques, des blocs de clims, ds citernes pour les groupes électrogènes immenses…
Un chantier titanesque.
On allait transformer une vallée marécageuse, pleine de moustiques et d'autres vermines en data-center immaculé et ultra-sécurisé qui allait gérer un quart du pays.
Dans le cahier des charges, le bâtiment devait pouvoir fonctionner même après une bombe H larguée à une centaine de kilomètres de là. Et le cahier des charges allait avec le budget. Il y avait des corps de métier qu'on ne voyait que dans des chantiers genre grandes banques ou installations militaires. Et même si le donneur d'ordre ne rechignait pas à la dépense, il était hors de question que la moindre toupie de béton soit gâchée.
D'ailleurs, tout le matériel BTP était dernier cri.
Le top du top du matériel de terrassement et construction, avec toutes les options pour faciliter la conduite des engins de chantier, et aussi les rendre plus cools et plus chers. Les fabricants les avaient informatisés et connectés. Et du coup ils monitorent aussi bien l'usure des pièces que les heures d'usages, l'intervention par rapport aux autres réseaux enterrés ou le respect des règles de sécurité par rapport au trafic environnant.
Franchement, qui pouvait dire non ? Savoir enfin si les opérateurs ne prennent bien qu'une pause d'une heure à midi ? plutôt qu'à 14h ? Qui ne verrouille pas le cockpit pendant que l'engin est en opération ?
Comme ça, on sait parfaitement pourquoi telle tranchée a été creusée, combien de blocs de béton préfabriqués allaient être utilisés, et où exactement, et en combien d'heures en personnel et en matériel allaient être nécessaires pour cette tranche du chantier.
Tous ces engins étaient chouchoutés par des mécanos et des ingénieurs en réseaux informatiques, qui veillaient à ce que tout fonctionne et que leur informatique embarquée soit parfaitement à jour.
Mais qui aurait pu prévoir ?
Depuis leur dernière mise à jour, les pelleteuses se sont mises à réagir bizarrement. Toutes seules… Elles sont devenues autonomes. À vouloir continuer certaines opérations alors que c'était l'heure de la pause. Puis, la nuit, elles commençaient à bouger leur nacelles sans personne aux commandes, à se faire face dans le noir, et à se faire des appels de phares. On le sait : on l'a enregistré sur une caméra de surveillance.
Puis, l'une d'entre elles, la nuit, s'est mise à rouler des chenilles, et à travailler du godet. Toute seule. Les autres l'ont imitées, et elles creusèrent des trous, sans raison, sans qu'ils soient prévus dans le plan d'architecture. Des trous bien profond. Les pelleteuses qui avaient creusé leur trou descendirent dedans. Puis elles se recouvrent dans leur trou d'un filet de sécurité pour se camoufler et recouvrir de terre, comme les araignées trappes.
Elles creusaient des trous pour faire leur terrier. À leur échelle, leur terrier ressemble plus à la gueule du Sarlacc. Sauf qu'on est pas sur Tattoine, on n'est pas dans Star Wars, mais sur le chantier pas très loin de chez toi. Quand un innocent chef de chantier ou géomètre s'approche trop du trou, Hop ! leur pelle surgit brutalement du sol dans le sifflement stupéfiant de leur vérins hydrauliques, assomant l'humain et dans le même mouvement entraine leur corps dans le fond du trou, sans ménagement, faisant craquer les os au passage.
— L'ingénieur en accidentologie du travail a eu un accident.
— Ah ? que s'est-il passé ?
— Sa voiture est tombé dans un des trous de pelleteuse.
— Oh noooon !
— Au moment où il tentait de s'échapper, il s'est pris un violent coup de pelle.
— OH NOOOOON.
Cela fait des jours qu'elles sont tapies dans leur trou, et il faut vraiment un œil exercé pour voir où elles se tapissent. Avec la patience d'un prédateur carnassier et la puissance industrielle de leur mécanique, elles font mouche quasiment à chaque coup !
Personne n'osait appeler les gendarmes, la police, l'armée ou CNews, on cachait jusqu'ici tout aux autorités de peur que les clients n'annulent leur contrat. On avait simplement demandé à retarder les livraisons. Les survivants s'étaient retranchés dans la salle de réunion du chantier. Jusqu'ici, on avait assez d'eau et les livreurs de pizzas en scooter étaient trop agiles pour les pelleteuses dans leur nid. On avait du réseau et du courant, mais on était pas dupes : l'accident de pelleteuse est l'impondérable des opérateurs réseaux.
Mais comment y pallier ? Heureusement, nous eûmes une idée brillante : redonder notre alimentation électrique par un groupe électrogène et nos fibres optiques par un réseau privé en faisceau hertzien.
Mais c'était déjà trop tard : les pelleteuses avaient déjà creusé le déficit du datacenter ! Nous ne pouvions plus financer nos solutions de secours !
[Jingle Alerte Enlèvement]
Ceci est une Alerte Pelleteuse : la connexion internet a disparu depuis ce matin à 11h18. elle aurait été emportée par un véhicule lourd de chantier conduisant une pelle hydraulique autoportée jaune de marque Caterpillar modèle 352 C13 Cat.
Si vous êtes en présence de ce véhicule, ou si vous le voyez passer, surtout ne tentez rien par vous-même, mettez-vous à l'écart en sécurité et appelez la gendarmerie la plus proche.
[crash, statique, bip, musique]
Texte : Da Scritch
Voix complémentaire : Thibault
Illustration sonore : Jingle Alerte enlèvement
Photo : Cat 352 Next Gen, via quellidelmovimentoterra.it D.R.