Extrait de l'émission CPU release Ex0119 : Crie si tu sais… III.
Je suis Guillaume et je vais vous raconter l'histoire de Deckard, chasseur de recruteurs réplicants.
[carton titre : Los Angeles, Novembre 2019]
La nuit était tombée depuis un bail, et les gouttes cognaient sur la bâche au dessus de moi. C'est le seul moment où je demande qu'on me foute la paix : quand je suis attablé à un comptoir, soit d'un bar, soit d'une échoppe de rue. Dans l'heure, je voulais manger tranquille mes nouilles avant qu'elles soient détrempées, qu'importe que la pluie me tambourine l'épaule.
Mais un gars à la mine burinée et peu souriante m'a abordé.
[Gaff] — Eh ! Toi ! J'ai besoin de toi !
Il m'a montré sous le nez sa carte professionnelle. Il n'avait pas besoin de cette formalité : on faisait mine de ne pas se connaitre, mais nous avions parfaitement deviné qui était l'autre.
[Gaff] — J'ai une mission importante pour toi.
[Deckard] — Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
[Gaff] — T'es le seul à avoir les compétences requises. T'as l'expérience pour ne pas te faire piéger. Je veux le Deckard et ses tours de magie.
[Deckard] — Piéger ?
[Gaff] — Le précédent que j'ai envoyé sur ce dossier n'a pas fait long feu. Grillé lors d'un entretien ou il n'a vraiment pas fait le poids.
J'aurais plutôt préféré ne plus me retrouver dans ce genre d'affaires, mais il y a des arguments qu'on ne peut éviter.
J'étais convoqué dans un de ces bâtiments ambitieux qui écrasent la mégapole pour un entretien. L'immeuble était une masse immense qui écrasait les autres gratte-ciels, il n'arborait aucune marque, aucun nom. J'ai dû laisser le mien à un puis deux puis trois comptoirs pour m'ouvrir l'accès aux étages supérieurs.
J'entrais dans une salle qui se voulait cosy, mais qui trahissait un certain froid dans son agencement. Je devinais la silhouette de mon interlocutrice derrière le bureau. À la diode de sa vapoteuse.
[Rachel] — Bonjour, je suis Rachel, chargée de recrutement pour Tyrell consulting & staffing.
[Deckard] — Bonjour. Deckard.
Elle prit une pause pour jeter un rapide coup d'œil sur un papier devant elle, avec la même concentration que j'ouvris mon attaché-case pour mon bloc notes : Pour faire croire à son interlocuteur que sa parole mérite d'être consigné.
[Rachel] — Je regardais votre profil, et il comportait de nombreux points intéressants.
[Deckard] — Ah. Vous m'en direz tant.
Ce n'est pas la première fois qu'on me faisait le coup.
[Rachel] — Nous avons un poste très intéressant pour vous
[Deckard] — On me le dit souvent.
[Rachel] — Chez Scott Business Machines.
Sortir The Big Name, la boite que tout le monde connait, le plus gros exportateur national. Ils le font tous. Le ton se veut posé. Elle me dévisage pour chercher une réaction émotionnelle, mais l'effet de surprise a du mal à jouer quand on vous l'a déjà proposé. Peut-être a-t-elle interprété mon manque de réponse pour une prétention.
[Rachel] — Nous sommes une entreprise prestigieuse avec des rapports privilégiés. Nous avons plusieurs équipes qui collaborent avec Scott Business Machines.
[Deckard] — Rappelez-moi pour qui vous travaillez ?
[Rachel] — Tyrell consulting & staffing
[Deckard] — Mmm... Malgré ses dimensions tentaculaires, un bon enquêteur a des contacts un peu partout en ville.
[Rachel] — Allons... Bien sûr qu'on connait vos talents. Pourquoi croyez-vous que vous aie approché ? Pour votre charme ?
[Deckard] — Pour mon charme ? Faites-moi rire. J'ai mes entrées chez Scott Business Machines, ils n'ont jamais entendu parler de votre entreprise.
[Rachel] — Oui. Effectivement... Nous ne sommes pas encore prestataires niveau 1, mais par notre excellence, nous y travaillons.
[Deckard] — Vous n'êtes pas les premiers à m'aborder et à revendiquer le niveau 1. Je connais bien le principe.
[Rachel] — Bien ! Puisque vous connaissez l'industrie....
[Deckard, la coupant] — Votre industrie... Vous savez ce qu'ils font des CV ? Il les répliquent.
[Rachel] — Nos concurrents, sûrement. Mais pour nous,plus humain que l'humaintelle est notre devise.
[Deckard] - Parfait
Le test était positif. Je ne suis même pas sûr qu'elle s'en était rendue compte. Je pris mon attaché case, me leva et fit un sourire poli : un sourire calculé par plusieurs études psychologiques, faire croire à des rencontres ultérieures, sans forcément inciter à une relance spontanée.
[Deckard] — On vous rappellera
[Rachel] - Eh ! Mais ? C'est moi qui dit ça, normalement !
Mimant encore ce sourire qu'elle comptait de toutes façons me sortir, je tournais les talons sans un mot, et me dirigea vers la sortie.
Je venais encore de perdre mon temps avec un robot recruteur qui tournait à vide et n'avait aucun poste concret. Mais je ne me faisais aucune illusion : Elle répliquerait mon CV encore et encore avec quelques variations, histoire de leurrer les IA recrutrices des grandes entreprises qui écument Linkedin.
Je ferais jouer de mon droit au retrait d'un bon coup de RGPD, afin de faire retirer ce recruteur réplicant.
Conteurs : Élise Rigot, Guillaume et DaScritch.
Texte : DaScritch.
Fond sonore : Bande originale du film « Blade Runner » par Vangelis © Atlantis/EMI.
Illustration : Rachel, Blade Runner fan art par Vampire1472 ? via imgur, D.R., détail
La version sonore de cette chronique est sous copyright.