Extrait de l'émission CPU release Ex0195 : Trains.
Dans le transport ferroviaire, l'écartement entre les rails est un standard qui a mis du temps à réellement s'imposer. Oui, évidemment qu'il y a un standard, qui est né d'une longue histoire, de conflits, de consensus, et aussi de retours de terrains afin d'éviter que les convois déraillent à tout va.
Et pour commencer, puisqu'on est à Toulouse, je suis allé mesuré l'écartement des rails du tram pendant sa… longue période d’indisponibilité : 1,435 m entre les deux rails. Ce qui se trouve être le même écartement que les voies de la SNCF (oui, je sais, je vous le dit de suite, ce qui tue le suspens et du coup me fait potentiellement perdre votre audience, mais tant pis). Pour le métro, j'ai commencé à forcer une porte pour descendre sur la voie mais Infested Grunt m'a retenu par le colback in extremis au moment où j'allais poser le mètre ruban métallique sur le rail électrifié. Et il m'a dit que l'écartement entre les deux rails du VAL est de 1,62 m sur les 2 premières lignes.
Ouais, deux rames, deux mesures.
Et comme la troisième ligne de métro ne sera pas le VAL, mais Alstom avec le même écartement que le tram, plus si j'ajoute le train roulant du téléphérique de la station de ski Rangueil, chez Tisseo, la maintenance s'écartèle.
Mais revenons au sujet.
Lors des débuts du chemin de fer en France dans la première moitié du XIXème siècle, chaque entreprise concessionnaire d'une ligne a édicté ses normes décidées par les ingénieurs qui la construisaient. Les écartement de rails pouvaient être spécifiques, même le sens de circulation sur les doubles voies pouvait changer : les trains pouvaient rouler à gauche ou à droite suivant les entreprises exploitantes.
Et ça, c'était un peu partout comme ça en Europe.
Une régionalisation des lignes qui devint vite compliquée quand il fallait s'équiper d'une locomotive ou de wagons chez d'autres et ensuite construire les interconnexions entre ces petites lignes. Finalement, un consensus s'établit sur plusieurs pays avec l'écartement dit de Stephenson, qu'on nommera voie normale
afin de ménager des susceptibilités politiques. En gros, un écartement de 1,44 m, plus ou moins 15 mm.
Un écartement pragmatique, car déjà un standard de fait pour les chariots, diligences et j'en passe... car tout simplement l'écartement possible entre deux bœufs de trait, rapport à leurs gros [bip]. et des chevaux des chars romains des estafettes de César : Hue Ferrari ! Hue Mazeratti !
(ouais, vous l'aviez pas vue venir, c'est bien une citation d'une précédente émission sur le chiffrement).
La voie normale de Stephenson eu du mal à s'imposer dans son propre pays, le Royaume-Uni. Il a fallut une loi pour qu'elle devienne standard en 1845. Et encore ! Il a fallut aménager les lignes déjà construites pour les convertir. Pour certaines, cela voulait dire agrandir les ponts, les tunnels et les quais de gare. D'ailleurs la compagnie qui desservait l'Ouest de l'Angleterre et le Pays de Galles ne termina cette conversion qu'une cinquantaine d'années plus tard. Entretemps en 1890, est signé la convention de Berne sur le trafic international de marchandises où entre autres, la Suisse, la France et l'Allemagne adhèrent à ce standard pour améliorer les interconnexions ferroviaires.
Et à ce moment là, le transport ferroviaire est une affaire qui roule et qui déroule des kilomètres de voies ferrées. Mais les investisseurs privilégient alors la desserte entre grandes villes, tout simplement car elles s'annoncent rentables.
Devant l'explosion de la demande en chemins de fer mais l'absence de gros capitaux privés intéressés par leur sort, certains départements ruraux demandent la possibilité de construire leurs propres lignes. C'est ainsi qu'à côté du réseau ferré entre les préfectures gérées par des entreprises purement privées, se construisirent les voies ferrées d'intérêt local
, un statut qui a été consolidé en 1879. Mais au lieu d'utiliser le standard sur les écartements, ces lignes qui étaient souvent indépendantes l'une des autres, utilisaient des écartement nettement plus court : dénommés métriques
, car les rails étaient séparés d'un mètre, voire en-dessous, jusqu'à 60 centimètres ! Donc deux fois plus étroits que les voies normales
.
Les avantages d'un écartement plus étroit sont évidents : moins de surfaces à acheter pour construire la ligne, des ponts et des tunnels plus étroits donc bien moins coûteux à construire. On a clairement une construction à l'économie. Du coup, locomotives et trains sont plus étroits, mais conviennent justement au trafic voyageur nettement moins important.
Et les courbes peuvent être plus serrées, ce qui donnait des lignes qui y ont gagné leur surnom de tortillard
.
Mais moins d'emprise au sol implique moins de stabilité. Ça plus d'autres économies dans l'équipement firent que ces lignes locales
étaient nettement moins rapides que les lignes normales
.
L'exploitation de ces voies ferrés d'intérêt local
se faisait par des petites sociétés, souvent d'économie mixte, mais le désenclavement de ces zones rurales n'a jamais atteint l'équilibre financier. Après la première Guerre Mondiale, ces petites compagnies souffrirent vite la comparaison avec l'exploitation d'une ligne d'autocar, qui était nettement plus souple sur les trajets et dessertes. Et comme construire une route profite aussi aux charrettes et camions, contrairement à une voie ferrée, inutile de préciser que politiquement, l'air du temps avait changé.
Ces réseaux ferrés dit métriques
étaient non seulement obsolètes, déficitaires mais surtout très dangereux.
En 1938, au moment de la constitution de la SNCF par la nationalisation de toutes les compagnies privées à la fin prévue de leur concession, 40 000 km du réseau de chemin de fers français sont à écartement normal, alors que le réseau de voies ferrées d'intérêt local
à écartement métrique fait 20 000 km. Dès sa première année, la SNCF en fait fermer 10 000 km de voies, soit un sixième de l'ensemble de son réseau.
Or, régulièrement, on voit ressortir des cartes sur la différence de maillage de la France par des chemins de fers, entre le début du XXème siècle et maintenant. Désormais, vous saurez qu'une partie a dû disparaître réellement pour des raisons de sécurité, mais aussi parce que dans l'entre-deux-guerres, on était aux débuts de l'automobile triomphante, des autobus intercommunaux et surtout de l'exode rural, les campagnes se dépeuplant à cause de l'explosion de l'emploi ouvrier en ville. Donc la remise à niveau de ce réseau n'était alors pas nécessaire et surtout pas facile à financer.
Resteront des petits trains touristiques concédés et opérés par des associations, mais Infested Grunt vous en parlera bien mieux que moi.
De nos jours, si l'écartement est normal
sur quasiment tous les réseaux ferrés en France, il n'est pas partout pareil en Europe, car tous les pays n'ont pas adhéré à la convention de Berne, du moins la partie ferroviaire, ou mis les moyens pour convertir l'écartement ferré. Ainsi l'Espagne utilise un tout autre écartement. Si on peut arriver quasiment en TGV jusqu'à Barcelone et Irún, c'est grâce à des voies spéciales où les trains habituels du réseau espagnol ne peuvent passer tel que.
Et figurez-vous que les problèmes entre voies métriques et normales furent d'actualité encore tout récemment chez nos voisins Suisses dont un quart du réseau est encore en métrique. Ironique, alors que c'est eux qui ont initié et soutenu la convention de Berne… Il y a une vingtaine d'années, des compagnies ferroviaires helvétiques ont dû concevoir le GoldenPass Express, un train à écartement variable. Et excusez du peu, il a fallut jusqu'à rallonger les quais de gare, ce qui a causé des conflits entre les différents opérateurs. Comme ils sont suisses, je vannerai bien qu'ils ont vu le temps passer
, mais on sait jamais, on a toujours besoin d'une place dans un bunker montagnard par l'ambiance actuelle à la gare de Kiev, à Moscou.
Peut-être vous posez-vous la question si les rails sont vraiment parallèles. Et en fait, non : ils sont légèrement inclinés l'un vers l'autre de 5 ° pour la France. Tout comme la bordure de la roue n'est que d'un côté. Et que les roues sont légèrement coniques, une forme qui à l'origine servait à démouler les roues en fontes.
Ah oui, j'allais oublier ! Pour les spécialistes des tests en valeur foireuse, il y a-t-il eu une valeur d'écartement de 0 mm ? Ben à peu près, car dans les années 1900s fut expérimenté en Allemagne un monorail pour le métro suspendu de Wuppertal. Le concept du monorail fut repris par Jean Bertin dans les années 1960s pour son aérotrain, un véhicule sur coussin d'air capable d'atteindre de hautes vitesses avec un rail central pour le maintenir sur la voie, mais comme le projet concurrent du TGV pouvait utiliser les voies normales de la SNCF, l'aérotrain fit rapidement pschiiiit !
Texte : Da Scritch.
Voix complémentaire : Solarus.
Photo : Locomotive Southern Railway 1401, exposée au Museum of History and Technology, CC-0 via the Smithsonian Institution