Version longue de l'interview diffusée dans l'émission CPU release Ex0114 : Design spéculatif, biotech et algorithme prédictif.
Enregistrée en juillet 2019 au sein de la Bibliothèque de la Goldsmiths University de Londres.
Bio is the new Black invite artistes, designers, philosophes, scientifiques et ingénieurs à explorer les multiples questions éthiques, critiques et de créations qui se posent avec les technologies de bio-fabrication.
Aujourd’hui nous interviewons David Benqué :
- enseignant associé à la Goldsmiths University de Londres ;
- aventurier des nouveaux imaginaires ;
- designer et chercheur, il finit sa thèse « Future.shape() » au Royal College of Art de Londres, financée par Microsoft, qui est une critique spéculative de la prédiction algorithmique via la pratique du diagramme ;
- et parce que sinon, ça serait trop facile, il passe du Mac à Linux.
- Première partie :
- Un jardin acoustique aux plantes modifiées génétiquement générant une mélodie biologique. Une fiction où l’individualité est poussée à son extrême par la culture de ses propres cellules humaines comme une extension du soi. Une foire commerciale où l’on peut venir admirer les prouesses des technologies alimentaires et des nouvelles cultures de viande en laboratoire. Voici quelques exemples des travaux de David Benqué que l’on peut retrouver sur son site personnel
- Ces travaux datent d’avant ta thèse si je ne me trompe pas. Quel est l’intérêt, pour toi, d’aller interroger les technologies de bio-fabrication par le design spéculatif ?
- Tu as exposé dans différents endroits, sais-tu quelle a été la réaction du public à ces productions ?
- Tu es chercheur en design, nous savons toi et moi que c’est une situation délicate dans le monde académique. Utilises-tu toujours le design spéculatif pour tes recherches ?
- On retrouve un certain nombre de travaux dans le design spéculatif traitant de la biologie synthétique, je pense aux travaux d’Alexandra Daisy Ginsberg par exemple. Il y a effectivement une belle adéquation avec ce médium et cette biotech puisqu’il s’agit pour les équipes pluridisciplinaires qui traitent de ces nouveaux vivants de designer (plutôt dans son sens anglais) des nouvelles molécules, qui peuvent produire des nouvelles encres, de la lumière, de l’énergie, etc… Penses-tu qu’on arrive à trouver d’autres formes d’imaginaire par rapport à la biologie qui ne soit pas celui d’une maîtrise de la nature par l’homme ?
- Deuxième partie :
- Je vais lire deux extraits du livre de Jeremy Rifkin, « Le siècle biotech, le commerce des gènes dans le meilleur des mondes » publié en 1998 dans sa version anglaise. David, est-ce cela le but du design spéculatif ?
- Lors du workshop avec le public organisé pour « Semicopia », une fiction est présentée sous la forme d’une foire marchande, mettant en scène une production alimentaire bio-technologique, où la science, grâce à la production massive et plurielle de viande artificielle peut nourrir une population grandissante. Quel est ton but quand tu travailles avec un public extérieur ?
- Est-il de rendre le public acteurs de ces scénarios, en les outillant et/ou de participer au débat en se rendant compte de la pluralité des futurs induits dans la réflexion ?
- Jéremy Rifkin, dans le premier extrait, revient sur la question des valeurs, je crois me souvenir que Dunne et Raby voient eux aussi les valeurs comme des
matières
(à comprendre comme des matériaux tel que le serait le bois ou le métal) avec lesquelles travailler, ce que d’ailleurs, ils s’exercent à produire avec une forme de design paramétrique où les scénarios dépendent d’aspirations politiques et considérations personnelles de la part des groupuscules qu’ils imaginent. - Comment on peut réfléchir cette question des valeurs en design ?
- Un des reproches que l’on peut faire est que le débat produit n’est pas (ou rarement) analysé. Il y a aussi un autre reproche qu’avance Luiza Prado designer et artiste brésilienne installée à Berlin, pour qui les dystopies imaginées par les designers seraient la réalité des populations du sud. Qu’est ce que tu répondrais à ces deux formes de
reproches
?
- Troisième partie :
- Je me suis permise de traduire pour notre audience francophone la fiction issu de ton projet « Presage ». Cette fiction est accompagnée d’une série d’illustration, qui sont des rendus 3D d’instrumentation scientifiques fabulatoires qui reprennent les codes des instruments scientifiques. Dans ce travail, tu fais un lien entre l’instrumentation scientifique et le désir de prédiction des mesures faites en laboratoire. Peux-tu nous en dire plus ?
- Cela me fait également penser à un objet qui m’intéresse également : l’humain sur puce, ou avatar sur puce ou encore
you-on-a-chip
. Ces petits humains miniaturisés seraient des formes de modèles, une bibliothèque de soi miniature afin de faire des traitements personnalisés et prédire la meilleure réponse biologique à un certain traitement. En as tu entendu parlé ? - Dans ton travail David, on peut retrouver une forme d’Institut Paranaturaliste à l’image des travaux de Louis Bec, qui reprenaient les codes scientifiques, tels que la représentation anatomiques éclatés ou encore le rapport de mission scientifique pour produire une para-nature. Pour Louis Bec, grand ami du philosophe Vilém Flusser, la distinction entre réel et fiction ne tient pas : nous comprenons le monde à l’aune de nos histoires et vis et versa. Quel est ton rapport à ce couple réalité/fiction ? A-t-il un sens pour toi ?
- Quel est le problème selon toi d’une science qui cherche à s’appuyer sur des modèles prédictifs ?
- A-t-on d’autres modèles à proposer ? Lesquels ? Ou des façons de les construire autrement ?
- Tu construis actuellement une histoire de la prédiction, appelé « Counting the future ». On comprend bien qu’un des rôles de la recherche en design, est pratiquement une recherche d’enquête de type police scientifique (ce à quoi tu te réfères d’ailleurs avec ta collecte sur les murs de ton atelier), et tient à présenter nouvellement des faits par le design graphique par exemple. Est-ce que tu peux expliciter ce projet ?
- Qu’est ce que tu y a appris de plus intéressant ?
- Les recherches approfondie en sciences sociales (Maestrutti, Lafontaine) appuient le fait que l’imaginaire est ce qui drive les politiques de la recherche aujourd’hui. Dans ta recherche par exemple, l’imaginaire du prédictif et de l’IA, amène une rentrée d’argent colossale pour les scientifiques qui sert leur dessein. On fait par exemple souvent référence à une fiction célèbre, « Engine of creation » de Drexler pour parler de l’aventure nano. Quel est ton avis sur cette question ? La science est-elle drivée par l’imaginaire ?
- Quel est le rôle que tu vois pour les designers aujourd’hui qui veulent penser les techno-sciences, celles des algorithmes prédictifs ou des biotechnologies ?
- Qu’est-ce qu’il faut apprendre ou montrer à de futurs designers ?
Texte et interview : Élise Rigot
Photo : © David Benqué, with his kindly authorization.