Extrait de l'émission CPU release Ex0135 : lost + found (volume 9 : confinés, toujours).
Bonjour à toi, Enfant du Futur immédiat, toi qui commence à tourner en rond dans ton île à « Animal Crossing », à moins que cela soit autour de ton lit.
Oui, je sais, dans cette émission qui revient sur l'actualité du moment, celle du Confinement, puisque la majeure partie en a été enregistrée la semaine précédente, tu va écouter des points de vues qui ont plus de dix jours pour vous, du coup, une partie des actualités datent un peu, mais nous avions tellement d'informations et d'excellentes interviewes à publier que je n'ai vraiment pas eu le cœur à passer à la trappe une partie des sujets.
Et certains évoluent très très vite. Notamment la construction d'équipement médicaux de protection pour le personnel soignant ou de respirateurs.
Justement, le 6 avril dernier, la cellule investigations de Radio France a sorti une enquête édifiante, montrant combien en ces temps de crise sanitaire, la recherche de fournitures de protection ou de ces équipements médicaux est devenue un Far-West démentiel : entre chaque pays interceptant les cargaison en transit pour d'autres pays quand cette cargaison a eu le mauvais hasard de passer par leur territoire (et la France n'a pas particulièrement brillé, hélas) , ou les surenchérisseurs qui rachètent cash les cargaisons directement sur les tarmacs d'aéroports, et bien souvent à des fins de spéculation. Comme les conventions européennes obligent à ne pas payer complètement avant d'avoir reçu et testé la marchandise, évidemment, les commandes ont de plus en plus de mal à arriver dans nos contrées, surtout que maintenant les Amériques commencent à être durement touchées. Entre ça, les usines qui présentent des certificats douteux, les intermédiaires louches, et même… les hôpitaux se faisant la guerre au sein d'une même région pour s'assurer d'avoir un stock au jour le jour… Ben oui, les prix d'achats s'envolent pour le secteur hospitalier, accentuant encore la pénurie à cause de cette spéculation meurtrière.
Et c'est là que les fablabs, les hacker-spaces, doivent donner l'impulsion pour justement pallier à cette pénurie, remettre de la proximité entre la fabrication et l'usage.
C'est là qu'on voit des masques cousus maisons. Oh certes, ils n'ont pas la qualité de protection requise par le standard FFP2, mais… ils ont le mérite d'exister. On voit aussi les visières de protection, qui ont l'avantage d'être très facilement imprimables et construits, et là, par contre, ils représentent un sérieux plus pour le personnel soignant.
On va en parler dans quelques instants avec Guillaume, combien cette mobilisation est rafraîchissante et formatrice.
Les fablabs, les hacker-space qui pour certains étaient aussi emblématiques d'un certain capitalisme toxique, ou bien d'un technologisme destructeur, se révèlent dans cette époque compliquée, qu'au contraire ils amènent le retour à des actes citoyens, militants et de proximité. Et qu'ils sont là pour répondre à de réelles problématiques.
Et ceci, de même que je trouve totalement aberrant (et attention, je ne parle qu'en mon nom propre sans engager les autres animateurs de l'émission CPU ou l'association Radio <FMR>) [je trouve donc totalement aberrant] qu'on en vienne à faire des demandes de dons pécuniers pour l'hôpital public, après une vingtaine d'années de décisions politiques à fermer lits d'hospitalisations et postes de personnels soignants.
Alors peut-être que la scène des makers que nous célébrons dans notre émission va devoir apprendre non seulement à trouver les réponses mais aussi à pointer l'évidence : on a supprimé trop de moyens sur une fonction vitale, la santé publique, et l'initiative privé ne fera pas tout.
L'épidémie de Covid-19 est un coup de semonce : nous aurions pu avoir à faire face à une maladie beaucoup plus contagieuse et à un plus fort taux de mortalité. Oui, le bilan est actuellement pas fameux, et il devrait peut-être nous secouer.
Oui, peut-être est venu le temps de sacraliser une spécificité européenne : la santé publique. Je vous rappelle que Boris Johnson a mené campagne pour le Brexit en faisant croire qu'il allait permettre de sauver la NHS, la sécu britannique, alors que son programme est de la privatiser et de la revendre à la découpe pour mimer le fonctionnement du secteur de la santé aux États-Unis, cet autre pays déshérité.
Enfant du Futur Immédiat, il y a un autre point qui m'effraie, qui déjà me donnait des cauchemars avant cette épidémie. Une autre fausse bonne idée qui se répand dans certains cerveaux comme la Peste : le solutionnisme technologique. Et aussi la singulière appétence des politiques pour les outils très intrusifs, la surveillance globale généralisée des citoyens.
Certaines entreprises nous montrent à coup de big data comment les gens ont voyagé, et en creusant un peu, on voit beaucoup de données appartenant à des citoyens européens. Sauf que, gros hic, ces données semblent avoir été récoltées d'une manière peu claire, et je doute que la demande d'autorisation couvrait à l'époque la production d'une cartographie pour illustrer une épidémie. Ça sent l'enfumage et un énorme relâchement vis à vis du RGPD, ce qui est totalement anormal. Et encore plus anormal, aucune réaction de la CNIL et de ses homologues européens devant des infractions caractérisées.
Là aussi, pandémie ou pas, il n'est pas tolérable qu'on accepte la surveillance totale. D'ailleurs, celle-ci n'a pas tant que ça aidé en Chine, puisqu'elle a surtout servi à faire taire les médecins qui tiraient la sonnette d'alarme en décembre et en janvier. Museler les voix dissonantes, parce que c'est bien connu : c'est en tuant le porteur de mauvaises nouvelles, qu'on croit qu'elles n'ont pas eu lieues. Et je ne serais pas surpris que les chiffres de mortalité en Chine soient très politiquement camouflés, afin d'exporter le mode de vie ultra-surveillé comme modèle à suivre. Dans une autre démocratie, Israël utilise les mêmes moyens logistiques que la lutte anti-terroriste pour ficher les contaminés potentiels. On imagine la brèche monumentale qui vient de s'ouvrir, dans un pays fortement militarisé.
Non. Ma conscience, votre conscience j'espère, nous dicte l'inverse : On ne doit pas accepter de réduire notre vie privée pour des raisons de santé. Et d'ailleurs, les données médicales sont fortement encadrées car justement elles sont des données privées extrêmement sensibles, qui ne demandent qu'à être avalées par des prestataires privés, à être valorisées par des banques et des assureurs, ou à expérimenter
une vie encore plus kafkaïenne.
Et toutes les entreprises qui proposent elles-aussi des logiciels espions à télécharger pour faire croire qu'on pourrait évaluer si vous avez côtoyé un porteur du Coronavirus, alors qu'on n'a ni précision ni même une couverture de tests suffisante en France, devrait être dénoncés par notre communauté comme de dangereux charlatans. Pour reprendre l'analogie avec le Far-West, des bonimenteurs du même genre que les vendeurs d'huile de serpent à guérir de tout, qui se faisaient raccompagner aux portes des villes enduits de goudrons et de plumes, après avoir plumé les naïfs.
Le simple fait que des personnes se fassent porte-parole de telles solutions
d'espionnage est inacceptable, lesdites personnes devraient être grillées et devoir s'excuser de leur manque flagrant d'éthique ou de clairvoyance qu'elles aient pu publiquement faire.
[D'autres sujets me préoccupent grandement, durant le confinement, et après. Mais si je vous en parle, je sortirais très largement du cadre de notre émission CPU. Et si nous t'encourageons à sortir de ta zone de confort, j'ai pas envie non plus de polémiquer sur des sujets qui n'ont rien à faire avec l'objet social de la concession de notre créneau horaire.]
Alors qu'avec cette pandémie, nous vivons en production la plus grosse invasion de singes du chaos qu'on aie pu vivre depuis Hitler. Oups, ben voilà, j'ai mon point Godwin… Certains vont enfin pouvoir se lâcher et me soupçonner d'avoir la même mauvaise foi que n'importe quel éditorialiste généraliste. [Comme ça, cela leur fera plaisir. J'aime faire des petits cadeaux…]
Tout ça pour te dire que :
Il va falloir revoir les politiques, Il va falloir revoir nos priorités.
Il va falloir évoluer ou dépérir.
Enfant du Futur Immédiat, c'est dans les crises que se révèlent les êtres humains : là où ils sont les pires, et là où ils sont les meilleurs. Prends des notes, elles pourraient te resservir.
Texte : Da Scritch
Illustration : Parodie de la peinture La Liberté guidant le peuple, auteur non crédité, via @LarrereMathilde. D.R.