Extrait de l'émission CPU release Ex0171 : Alerte de sécurité civile. Ce texte est une adaptation d'un billet de blog.
11 septembre 2001.
Mes soirées vont bientôt être prises pour l'organisation des 20 ans de Radio <FMR>, on souhaitait faire une grosse boum en ville, une fiesta à tout péter. Mais dans l'immédiat, je bosse dans une grosse boite de services multimédias. Et en ce début de Mardi après-midi, le réseau internet est lent, très lent, terriblement lent. On saura assez vite pourquoi :
À New-York, un avion s'est écrasé sur le World Trade Center. À l'époque, mon bureau était dans une régie d'une petite chaine de télé par satellite. Un de mes collègues trouve sur le récepteur satellite, un feed, un signal vidéo envoyé par une agence de presse pour les informations télévisés. Des images prise d'hélicoptère, sans aucun habillage ni son… des images tellement irréelles qu'elles sont hypnotiques, effroyablement belles. Nous n'aurons les images au niveau du sol que plus tard pour en réaliser leur horreur.
Sur place, le réseau mobile au standard américain CDMA s'est effondré très vite car incapable de gérer la charge, les trois quarts des télévisions et radios sont muettes, car les émetteurs locaux étaient sur l'une des tours jumelles.
Dix jours plus tard, vendredi 21 septembre 2001, 10h17
je suis en réunion à l'étage en-dessous, quand un BANG ! fait claquer une très lourde porte blindée. Stupéfaction. Tout le monde s'accroupit par réflexe.
Deux secondes après, le faux plafond s'effondre pendant que toutes les vitres explosent et que de lourdes armoires basculent. Le deuxième choc est tout aussi violent et tout le monde se rue vers les issues de secours. Nous étions dans le quartier du Mirail, à moins de 2 km de AZF. Et heureusement, je n'étais pas à mon bureau : un lourd morceau de verre blindé était planté à ma place.
Mais dans l'immédiat, tous les salariés de la boite se retrouvent sur le parking, on voit un immense nuage en champignon d'un marron sinistre.
Des hurlements de femmes retentissent devant le portail fermé de l'école primaire voisine. Vingt ans après, ils me glacent encore le sang.
Très vite, le réseau mobile va saturer comme une partie du réseau fixe. Je le vois en temps réel car mon Nokia a un mode debug, et je vois que les cellules opérateurs réservent de la ressource pour chaque appel au 112. Les autres appels sont quasi-impossibles, seuls les SMS passent. Dans l'après-midi, seuls les très rares abonnés à internet par ADSL auront un moyen de communication.
Sur l'invitation du patron, on tente de rentrer chez nous. Le métro est stoppé, et toutes les rues ne sont plus qu'embouteillages. Celles sortant de la rocade ont 5 cm de suie brune, j'en ressens une nervosité silencieuse car je ne me souviens même plus des coups de klaxons forcenés.
Je retourne sur ma boite en attendant que tout se dégage, car le vent était plus favorable là où j'étais, alors que le panache allait vers le centre-ville. Ayant bossé à AZF et à la Poudrière, je sais qu'ils y manipulent des gaz très toxiques, donc inutile de s'y exposer à pleins poumons.
Alors que le ciel était très nuageux à 10h, il est complètement dégagé 2 heures après.
Avec la petite dizaine de collègues restés sur place, on ironise sur les consignes de l'annuaire papier en cas d'accident industriel. Car à l'époque, on disait à la population de s'y référer en cas de catastrophes. Seulement les consignes semble déconnectées de la réalité et inappropriées par la violence de l'événement :
- Les sirènes de l'alerte civiles n'ont pas sonné, ni dans l'instant, ni dans la minute, ni dans l'heure. Mais plus tard, beaucoup plus tard.
- Comment fermer les fenêtres et se calfeutrer quand toutes les vitres sont en miettes ?
- La consigne aussi de se mettre sur Radio France Toulouse, station locale qui a été supprimée depuis 4 ans pour créer un réseau national, Le Mouv.
- Les équipes de Le Mouv, justement, à l'époque basées à Toulouse, produisent des émissions, sauf pour la partie information qui devait être validée à Paris ; ils sont donc hiérarchiquement dans l'incapacité d'informer.
- France 3 a pu faire un décrochage, mais la télé locale TLT n'a même pas pu faire un flash dans la matinée.
Ce 21 septembre 2001, je me suis rendu compte combien les procédures d'alertes à la population sont fragiles. Car comme toute procédure de sauvegarde, elles ne fonctionnent correctement que si elles ont été testées et maintenues.
En mémoire aux 31 personnes disparues dans cette tragédie
Texte : Da Scritch
Photo : La vitre du studio de Radio <FMR>, Toulouse, le 21 septembre 2001, CC-By-NC-ND Pierre Priot.