Extrait de l'émission CPU release Ex0222 : lost + found (rentrée 2025) seconde partie).
Bill Atkinson nous a quittés le 5 Juin 2025. Et même si ses travaux les plus connus concernent Mac Classic, l'OS d'Apple qui fut utilisé entre 1984 et 2002, son apport à la sémantique graphique a été aussi sur les autres systèmes fenêtrés.
Bill Atkinson se destinait à des études en neurosciences, mais alors qu'il écrivait sa thèse de doctorat, un de ses anciens profs, Jef Raskin, lui envoie un billet d'avion aller-retour, l'incitant à venir visiter son employeur pour un week-end ; une start-up qu'il décrit comme passionnante. C'est donc ainsi que Bill Atkinson se retrouve avec Steve Jobs qui lui fit découvrir Apple Computer et le présente à la trentaine de salariés. Nous sommes en 1978, Apple Computer est en train d'exploser avec son premier hit, l'Apple II. Steve Jobs arrive à convaincre Bill Atkinson de quitter ses études en ces termes : N'est-ce pas plus fun de surfer en haut de la vague des innovations que de pagayer dans le creux ?
. Bill et Steve vont très vite s'entendre, ils resteront des amis proches, et jamais il ne s'est ennuyé chez Apple.
Bill Atkinson est… Le Gourou
Il porta en deux semaines le langage Pascal UCSD sur Apple II, alors que ses collègues ne juraient que par la programmation Assembleur. Il le fait pour convaincre l'équipe des avantages d'un langage de programmation indépendant du matériel, proposant des bibliothèques de fonctions réutilisables et extensibles. Pascal restera son principal langage chez Apple.
Notamment pour le Apple Lisa, le premier ordinateur de la firme à la pomme avec une interface graphique. Convaincu par ce qu'il a démontré en Pascal, Steve Jobs le nomme designer principal du GUI du Lisa, l'interface graphique. À ce titre, et avec son mantra simplicité et intégration
, Bill impose d'inclure la souris dans le carton de l'ordinateur pour simplifier son interface et il invente la barre de menu en haut de l'écran. Ou encore, il est co-créateur avec Steve Jobs du concept visuel de rectangle arrondi, qui fut la signature visuelle du MacIntosh et plus tard de l'iPhone.
C'est donc sur le Lisa qu'il créa nombre d'éléments graphiques signatures, mais il coda aussi des primitives de dessin accélérés, des optimisations très appréciées à une époque où les CPU aux capacités de calculs limités éditaient aussi la mémoire graphique. Pas de GPU, pas d'accélération matérielle, ces notions arriveront en microinformatique avec l'Amiga en 1985. Un des algos qu'il créa permet de dessiner rapidement des cercles pleins sans avoir à faire appels aux fonctions trigonométriques sinus et cosinus ; ceci en redécouvrant un procédé déjà été décrit par Jack Bresenham.
Je parle d'une époque où le concept de fenêtre et de souris n'existent pas en dehors du Xerox Park. Seuls quelques dizaines de milliers de privilégiés ont pu le voir en action, et seulement un millier travaillent avec. Nous sommes 10 ans après The Mother of All Demos, et les ordinateurs accessibles aux entreprises et au grand public sont encore extrêmement lents. L'équipe d'Apple a l'intuition que si une interface fenêtrée est un poil trop peu réactive, que la souris a ce petit lag perceptible, alors l'expérience utilisateur ne sera pas convaincante et donc tout ce travail sera fait en pure perte. D'où les besoins d'optimiser les temps de rendus.
L'ensemble de ses procédures primitives graphiques furent réunies dans la bibliothèque QuickDraw, qui a permit d'accélérer, d'industrialiser l'aspect du GUI de Lisa puis du Finder du Mac. Un projet qui lui a pris 4 ans, 24 ans selon Steve Jobs qui voyait en Bill Atkinson le bosseur fou visionnaire. C'est cette bibliothèque QuickDraw qui était étendue par les cartes graphiques couleurs et accélérées sur le Macintosh en gardant les mêmes points d'appels. Car oui, on l'oublie un peu vite, les premiers Macintosh étaient purement monochromes, noir sur blanc en 512 pixels par 368. Oui, plus petit qu'une icône de Mac actuelle.
Comme le Lisa, le Mac est un des premiers ordinateurs familiaux qui ne démarrent pas directement sur un langage de programmation. Il faut des logiciels complets pour le faire vivre. Atkinson développera MacPaint, l'un des deux logiciels commerciaux achetables lors de la sortie du premier MacIntosh, en 1984. Un soft conçu pour fonctionner sur un système équipé à l'époque que de 128 ko de RAM. Écrit en 5 800 lignes de Pascal et 2 700 lignes en assembleur, son code minimaliste était une démonstration brillante de la bibliothèque QuickDraw. Sa barre verticale d'outils en deux colonnes sera la signature de son interface ; laquelle inspirera directement de futurs poids lourds de l'industrie infographique : DeluxePaint par Electronic Arts, Paint sous Windows par Microsoft et surtout Photoshop racheté plus tard par Adobe. Autre avancée méconnue de ce logiciel : la possibilité d'un Undo, de revenir en arrière. D'une seule étape, soit, mais la possibilité de corriger une fausse manœuvre dans une composition graphique était une avancée révolutionnaire qui défiait la consommation de RAM de ce type de logiciel.
En 2010, Apple a célébré l'importance de QuickDraw et MacPaint en donnant le code source de ces deux logiciels au Computer History Museum, où ils sont en consultation libre sur leur site web.
MacPaint était un initiateur qui eut une brève vie commerciale. Sa dernière version, la 2.0, sortira en 1987, car il fut très vite éclipsé par ces logiciels qu'il a inspirés.
En 1985, Bill Atkinson va tenter de donner vie au Dynabook, un concept informatique imaginé par Alan Kay, qui préfigurait nos tablettes. Si le projet matériel n'a pas convaincu le management d'Apple, le logiciel arrivera à maturité ; un soft qui organise la connaissance multimédia en fiches liées entre elles de façon sémantique. Et là aussi, Bill Atkinson va marquer l'informatique.
Ce logiciel s'appelera Hypercard, le premier logiciel grand public de contruction d'application en WYSIWYG et no-code, ou quasi no-code, car derrière l'interface de construction en glisser-déposé, le code en langage HyperTalk se construisait et ne demandait qu'à être étendu. Là encore, un logiciel séminal, qui a tant amené.
Comme nous l'avons dit dans notre série sur l'URL, HyperCard a précédé de très peu le web, de 2 ans.
Lors de la présentation de ce logiciel dans la grande conférence MacExpo, le 11 août 1987, Bill Atkinson termine sa conférence devant une foule hyper-enthousiaste par une présentation glaçante : le nombre de morts du Sida. En 1987, parler de cette maladie est encore tabou, même si une proportion non négligeable des développeurs dans la Silicon Valley sont gays.
Atkinson offrira la licence d'HyperCard à Apple, qui distribuera son logiciel sur chaque nouveau MacIntosh. HyperCard sera le moteur derrière nombre de logiciels d'entreprise, mais aussi d'un jeu d'aventure mythique : « Myst ».
HyperCard dépérira car quand Bill Atkinson quittera Apple, personne ne maintiendra le logiciel. Un émulateur en ligne d'HyperCard est maintenu par The Internet Archive, permettant de faire tourner sa conséquente logithèque.
C'est en 1990, que Bill Atkinson quitte son premier employeur. Avec deux autres ex-collègues Andy Hertzfeld et Marc Porat, ils fondent une boîte dont le nom ne vous dira rien, mais à l'influence énorme : General Magic.
Bill n'a pas abandonné l'idée de construire un Dynabook, une tablette optimisée pour son HyperCard, et Apple a préféré co-financer ce projet dans une entreprise externe. General Magic veut créer les éléments pour construire un PDA, un ordinateur qui tient dans une poche et qui fait aussi téléphone. Oui, les ancêtres du smartphone. Et ceci alors qu'Apple, de leur côté, va construire leur premier PDA, le Newton, après avoir été dans le premier tour de table de General Magic. Sympa.
General Magic va développer OS et utilitaires pour animer les PDA de gros constructeurs d'informatique et de géants des télécoms. Cet OS, Magic Cap, restera confidentiel, mais il inspirera les OS embarqués à venir comme Palm Pilot ou l'iPhone. Sa filiation avec HyperCard est évidente à l'usage.
Comme le dit l'autre co-fondateur, Andy Hertzfeld dans le documentaire « General Magic the movie » :
Mettez l'utilisateur au centre. Il y a plein d'autres opportunités de passer d'autres sujets avant l'utilisateur, comme la rentabilité, ou un but stratégique bien à vous. Mais à long terme, vous devez toujours penser à l'utilisateur en priorité.
Visionnaires, avec des partenaires renommés, General Magic ne décollera pourtant pas. L'entreprise ferme ses portes en 2001, et son très fourni portefeuille de brevets fut racheté par Bill Allen, co-fondateur de Microsoft.
Parmis ces brevets : la reconnaissance d'écriture manuelle, les communications entre appareils appairés et les premiers emoji animés… 25 ans après, ces fragments sont indispensables dans nos outils actuels.
Après cette aventure, tous les salariés furent débauchés par des géants. Bill Atkinson entre en 2007 chez Numenta, boite créée par Jeff Hawkins qui avait créé son ex-concurrent Palm Pilot. Cette fois-ci, il se tourne vers l'intelligence artificielle. Là aussi, son travail sur les neurosciences et son art de la programmation sèment les graines d'une autre révolution : les LLM, les Large Language Models, le domaine actuel phare de l'IA.
Éloigné du clavier, Bill Atkinson avait une grande passion pour la photographie de la nature. Il a même autoédité « Within the Stone », un livre de microphotographies de pierres, une incroyable déambulation dans l'univers minéral. Là aussi, cette activité artistique lui permit de peaufiner certains procédés numériques, et le motivera à concevoir quelques logiciels photos sur iPhone comme PhotoCard.
Bill Atkinson s'est éteint paisiblement à 74 ans, entouré de sa proche famille. Il nous lègue un immense vocabulaire graphique, et des outils qui furent salués par l'industrie en les recréant, en les perpétuant.
Textes : Da Scritch
Photo : Bill Atkinson, tenant le premier MacIntosh, © Apple, D.R., détail