Extrait de l'émission CPU release Ex0095 : Crie si tu sais… II.
Je vais vous raconter l'histoire d'un jeu dont tu étais le héros.
C'était au collège, on se passait les disquettes entre nous ; Parce que les ordinateurs étaient très très chers, et les jeux aussi étaient chers. Mais il y avait des copains malins qui avaient des disquettes avec des jeux copiables. Sans les protections, sans avoir le manuel ou la boite, et surtout sans le dire aux parents parce que c'est pas bien de voler.
Les copains constituait des listes de jeu, et pour 5 ou 10 francs, 8 fois moins cher que le jeu neuf et véritable, le copain ramenait le lendemain une disquette avec le jeu parfaitement fonctionnel. Et même parfois le manuel résumé en une page sur l'imprimante à aiguilles. Il manquait bien souvent des détails, mais cela suffisait si on aimait bricoler, tester des touches ou des commandes.
À côté, on était la même bande qui jouait aux jeux de rôles. On adorait jouer à Donjons & Dragons, l'Appel de Cthulhu, l'Œil Noir.
À cette époque, on commençait à voir les premiers jeux d'aventures sur ordinateurs, mais il n'y avait pas de vrais jeux de rôles. On disait alors que c'était des jeux dont tu es le héros
, comme les jeux en livre de poche. Et la plupart du temps, c'était des interfaces de texte, avec un graphisme immobile à l'écran. Les commandes étaient souvent des mots simples comme regarder
, aller ouest
ou tirer
. Toute l'aventure était dans les phrases que répondaient l'ordinateur.
Un jour, un copain a obtenu un nouveau jeu, Noir
. Un jeu d'aventure entre gangsters et policiers où on incarnait un détective. La surprise est que ce jeu piraté était d'un éditeur connu, mais il n'est jamais sorti. En fait, il était vaguement annoncé, mais personne n'en savait plus. Quelqu'un a probablement piqué une des disquettes de développement.
Alors moi, je n'ai pas joué à ce jeu, en tout cas pas longtemps, parce que j'avais pas le bon ordinateur. Il fallait un Commodore 64, mais cet ordinateur était vraiment trop cher.
Tu mettais la disquette dans le lecteur, tu lançais la commande, t'avais une intro Cracked by the Timelordz
et…
Et le jeu commençait. En jaune sur fond noir était dessiné le logo Noir
. Tu appuyais sur une touche et… Et un texte défilait, racontait que tu étais dans ton bureau de détective, seul, avec un journal, une bouteille de whisky et des cigarettes. Alors évidemment, tu demandes à l'ordinateur de te décrire. C'était un rituel dans ce genre de jeu.
Et là, la surprise ! Le jeu décrivait ce que tu portais : une veste en jeans, une chemise, la couleur des chaussures... On était vraiment le héros ! Et sur le bureau de mon camarade, il y avait un sticker avec le singe de la marque Waïkiki
, le jeu parlait d'une carte postale des plages de Waïkiki !
Après, il y avait l'histoire dans le journal qui t'emmenait sur une première affaire, et le reste est assez classique, on avait déjà ce genre d'histoires.
Le logiciel avait aussi quelques bugs : l'ordinateur chauffait beaucoup, le lecteur de disquette ne s'arrêtait pas, ce qui était vite insupportable. Mais pourtant les trois copains qui l'ont eu étaient fascinés et ont passé le week-end suivant à y jouer, toute la journée.
Et c'est là que les choses sont devenues vraiment très étranges. Chacun des trois ont joué toute une journée, chacun a eu des déconvenues dans le jeu, l'un ayant eu une bagarre dans un bar, l'autre a réchappé à l'incendie d'une voiture, et le troisième jeté par des malfrats dans le fleuve du haut d'un pont. C'est du moins ce que l'on sait car il avait noté sa progression dans le jeu… et qu'il en mort dans son sommeil, noyé ! Les deux premiers se sont réveillés, l'un le bras cassé et l'autre le visage brûlé… sans qu'on puisse dire comment !
Très vite, les parents, les docteurs, les policiers ont demandé ce qui s'était passé… et le jeu piraté fut découvert, le petit trafic aussi. C'était fini les ordinateurs pour ces trois-là, et pour d'autres.
Comment un jeu sur un ordinateur pouvait-il faire ça ? Est-ce que c'était une tentative pour supprimer le piratage qui a mal tourné ou quelque chose d'autre ?
Ce que l'on sait, c'est que des gens très sérieux sont passés, des militaires, des messieurs avec des uniformes qu'on ne voit qu'à la télé, et même des messieurs qui parlaient anglais avec une obsession autour de 3 mots : Secure Contain Protect
… Je trouvais que c'était vraiment beaucoup de moyens et de gens pour un simple jeu piraté… Une fois qu'ils étaient passés, on n'a plus jamais retrouvé les disquettes de ce jeu. Jamais plus jamais. D'ailleurs, j'ai eu beau écumer la presse de l'époque, les magazines et livres savants sur l'univers vidéoludique ou les forums sur internet, jamais personne n'en n'a entendu parlé.
Dommage...
Depuis, quand on me parle d'un inédit sur un ordinateur antique, j'ai… comme une méfiance.
Auteur : DaScritch, d'après le dossier SCP-687
Photo : Max Pixel CC0 public domain