Extrait de l'émission CPU release Ex0143 : Le son laser.
Avec la démocratisation des CD enregistrables, les disques durs de capacité confortable, et la popularisation du format mp3, très vite les labels ont vu que leurs disques commençaient à se faire copier, et ils craignirent que les ventes de disques s'effondrent. Ils avaient raison.
Le rip d'un CD pour dupliquer ou convertir en mp3 se fait généralement avec un lecteur CD-Rom d'ordinateur ; très rapidement en 2000, des entreprises cherchent à les empêcher en jouant sur les différences de format entre Compact Disc audio et CD-Rom, créant des incompatibilités artificielles. Ce hack sera celui utilisé par la protection anti-copie la plus répandue : Copy control.
Leur truc était de générer plusieurs tables d'allocations pour le CD, dont seule la première est juste. Les lecteurs CD audio ne liront théoriquement que la première déclaration de table d'allocation, les lecteurs CD-Rom liront la deuxième qui est buguée, ce qui empêchera toute tentative de rip.
Le procédé inclut d'autres protection comme des incohérences dans les bits de correction d'erreurs, des sauts de déclarations de piste… Bref de multiples infractions au standard.
Or, si le piratage est interdit, la copie pour un usage privé est autorisée dans le cercle familial, puisqu'il s'agit d'une exception au droit d'auteur. Et depuis l'arrivée de la cassette audio, les sociétés de droits d'auteurs perçoivent en France une perception spécifique pour la copie privée sur les supports vierges, qu'ils soient cassettes, CD enregistrables, mais aussi disques durs, disquettes, clés USB et même smartphones. Une taxe qui est théoriquement remboursable pour les professionnels mais très difficilement dans les faits, et qui ne couvre que les copies à usage personnel, pas les copies illicites comme les mp3 téléchargés illégalement.
Eh oui. Mais on en reparlera un autre jour.
Donc Copy control fut complété un peu tardivement d'un logiciel embarqué dans la partie CD-Rom pour permettre
certaines actions :
- lire le CD depuis l'ordinateur (sous Windows),
- ripper dans un format audio propriétaire WMA avec DRM,
- et graver des copies avec une qualité audio dégradée.
Bizarrement, cette ouverture n'a pas déclenché l'enthousiasme des consommateurs, la tendance des ventes étant toujours à la baisse.
Plantage !
Philips, qui a pourtant un label musical, prend très vite ombrage des bricolages de Copy Control et interdit strictement l'usage du logo officiel Compact Disc sur tout album usant de mesures techniques anti-copies ; et Philips dans le même communiqué va troller les autres majors en promettant un graveur de CD capable de contourner les mesures anti-copies. Mais la disparition de ce logo sera anecdotique, contrairement à l'apparition d'une signalétique bien plus visible indiquant que l'album que vous allez acheter inclus un dispositif anti-copie.
Dommage collatéral : Le CD avec un système anti-copie était illisible chez une part non-négligeable d'acheteurs. Et à l'époque, il était impossible d'obtenir remboursement à la FNAC ou chez Leclerc d'un CD acheté et déballé, justement par soupçon de piratage : le consommateur était doublement puni en plus d'être accusé, à tort, d'être un pirate.
Et souvent, pour lire les albums protégés
, le consommateur se tournait vers le peer-to-peer, le piratage sauvage et le gravage ͕ͅa̶̪ͮ߰߮͜n̼͓᷇᷉̄᷈߫̐̍ͭ͠ã̸̭̳̊᷁҆ͥ͞҉̀r͙ͨc̠͋̓҃̄߬̾͟͏҃͜ḣ̶̠̙̜߭ͩ͜҉i̷̝̊͋̑q̡͈͔͓߭ͫ͟u̡͖̙̜̞̾͒҃̓᷀́͞e͚̲҃᷉, pour obtenir une version audible de l'album qu'il avait pourtant acheté, ledit particulier jurant qu'on ne l'y reprendrait plus.
Comment des équipes commerciales ont-elles pu se fourvoyer à ce point ?
Pourtant, cela faisait 10 ans que fameux procédé Macrovision anticopie des VHS posait des problèmes de lectures sur les magnétoscopes haut-de-gamme, ce qui pénalisait… les clients les plus susceptibles d'acheter d'autres VHS.
Les protection anti-copies devinrent un repoussoir, sujet de procès par des associations de consommateurs contre les majors qui les emploient, avec un argument inattaquable : le vice caché introduit ne comporte pas une liste exhaustive des appareils conformes au standard CD affectés par ladite protection. Je ne suis même pas sûr qu'il soit possible de mettre une telle liste, si elle existe, au dos d'une jaquette d'album.
La bataille est techniquement perdue car les protections
n'empêchent pas un rip par la voie analogique, ou des logiciels comme iTunes ou cdparanoia. Et surtout, les ventes d'albums continuent à s'effondrer.
Et pourtant… l'industrie a non seulement persévéré, mais a carrément franchit la ligne rouge quand Sony-BMG a piégé ses albums avec un logiciel qualifiable de malicieux : un rootkit.
XCP (Extended Copy Protection) était une mesure de protection anticopie ne respectant aucune éthique logicielle : Il s'installait dès que le CD était inséré dans un ordinateur sous Windows [qui à l'époque avait une fonction qu'on peut qualifier de très dangereuse : l'exécution automatique d'un programme contenu sur tout support amovible]. XCP masquait son identité, cachait ses fichiers, modifiait des appels systèmes, empêche sa désinstallation, espionne l'usage du PC et pire, créait des trous de sécurité dans Windows qui n'en n'avait pas besoin à l'époque.
Tombant dessus, le chercheur en sécurité Mark Russinovich aura cette sortie assassine le jour d'Halloween 2005 :
Les mesures de protection anti-copie sont allées trop loin.
À peine découvert, le mécanisme du rootkit est réemployé dans des virus. Le spécialiste Bruce Schneier urge les éditeurs d'antivirus et Microsoft à bloquer le malware. Sony-BMG d'abord nie le rootkit, puis reconnaît à demi-mot, et publie un pseudo-correctif… qui ne fait qu'aggraver le trou de sécurité. Le Pentagone appréciera moyen de retrouver XCP dans son réseau.
Pendant 2 semaines, chaque matin amène sa mauvaise surprise. Sony-BMG est obligé de retirer en cata ses albums des magasins à 1 mois de Noël. En 15 jours, la réputation de la major est en miettes, les ventes de ses stars se sont effondrées.
Son PDG viré, Sony-BMG reconnaîtra les actes de piratage. Un comble.
Et par la même, il devenait évident que les lois réprimant les copies illicites étaient beaucoup trop en faveur des éditeurs de disques.
D'ailleurs à ce sujet… J'ai un message personnel :
En ces riches heures, j'ai eu fort à ferrailler en place publique à l'époque des loi DADVSI et Hadopi, notamment avec le patron d'Universal Music, Pascal Nègre. Ce monsieur représentait 40 % de l'édition musicale en France, et d'ailleurs était justement le président de la SCPP, la Société civile des producteurs phonographiques.
Pascal Nègre souhaitait des lois fortes contre le piratage musical, avec des propositions qui me semblaient inacceptables pour le particulier. Et il n'était pas le seul, j'en ai vu d'autres dans un autre secteur du divertissement. Sauf que sa position de n °1, sa garde-robe de mac, son rôle de juge à la Star-Ac et ses sorties tonitruantes en ont fait un méchant cathartique.
Mais à sa décharge, il fut le seul patron de major musicale, sur les 5 à cette époque, à avoir refusé d'incorporer des protections anti-copies sur ses CD. Car il savait que les lecteurs professionnels, la plupart des autoradios et une bonne partie du public ne pourraient lire lesdits CD.
Oui, Pascal Nègre, si jamais tu m'écoutes ou que tu me lises, on a plusieurs fois discuté sans se rencontrer, et je te reconnais cette immense qualité : celle d'avoir refusé de punir un client pour ce qu'il n'est éventuellement pas, d'avoir respecté sa présomption d'innocence, à la différence de la majorité de la SCPP. Et j'imagine que cela n'a pas dû être simple pour imposer ta décision au sein de ton propre employeur.
Le destin te fut cruel : de patron d'Universal, te voici animateur radio sur RFM, car tu t'es trompé dans l'ordre des lettres en postulant chez FMR… C'est affreux.
Après l'affaire Sony-BMG, l'insertion de mesures anti-copies dans les CD est officiellement abandonné par les majors en 2006.
Au final, toutes les protections anti-duplications de CD audio ont été des échecs : Le logo anti-copie était devenu un motif de refus d'achat, les majors perdaient des procès face aux associations de consommateurs, ce qui leur faisait une mauvaise publicité... Et une évidence : l'industrie du divertissement vend des appareils volontairement défectueux.
Ces mesures de protection ont coûté cher pour ne pas éviter l'inévitable : la dématérialisation de la musique, illégale… ou pas.
Texte : Da Scritch.
Illustration : CC0 1.0 Public Domain non crédité via FSFE.org