Extrait de l'émission CPU release Ex0153 : iGEM, International Genetically Engineered Machine competition.
Certes, les travaux éthiques sur la biologie de synthèse se développent et témoignent d'une réelle prise de conscience. Ils expriment un souci de responsabilité et une volonté d'affronter les problèmes de manière efficace et ouverte.
Toutefois, on peut se demander si l'analyse des impacts de la biologie de synthèse sur la société et la culture ne procède pas d'un souci de prévenir ou de surmonter des réticences, traditionnellement suscitées par les innovations technologiques. On a vu croître depuis vingt ans la méfiance vis-à-vis du nucléaire, des OGM, de la vaccination. Celle-ci se trouve exacerbée par les grands discours assortis de promesses mirifiques destinées à encourager les investissements publics et privés. En l'occurrence, les promoteurs de la biologie de synthèse annoncent, sans vergogne, la mise au point pour demain
d'organismes synthétiques adaptés à tous nos besoins d'énergie et de santé. En donnant libre cours à cette rhétorique de la promesse, ils réveillent des inquiétudes profondes à l'égard de la technologie.
Dans le cas de la biologie de synthèse, la méfiance à laquelle il faut faire face procède directement de l'expérience des OGM. En effet, la question fuse invariablement dans les débats publics : la biologie de synthèse ne serait-elle qu'une manière de faire en grand
des OGM ? Au lieu de greffer quelques gènes, cette nouvelle biologie permet de remplacer tous les gènes et pourrait donc être bien plus efficace que les OGM ? Question pertinente si l'on écoute Drew Endy et les promoteurs du BioFab, qui présentent la biologie de synthèse comme un dépassement de l'artisanat et du bricolage à l'œuvre dans la production d'OGM. Conscients de leur ambition, ces derniers ont compris très tôt la nécessité d'associer des éthiciens à leurs travaux. Mais la mission confiée à ces derniers n'est pas d'interroger la légitimité des recherches d'un point de vue moral ; elle est plutôt d'aider à piloter le projet, en anticipant sur les problèmes. Il s'agit de gouvernance plutôt que d'éthique. La question morale Que dois-je faire ?
n'est jamais posée. Pour cette communauté scientifique, il est tacitement admis qu'on doit faire de la biologie de synthèse. Il faut simplement réguler, anticiper les obstacles et blocages, tout mettre en œuvre pour maximiser les bénéfices en diminuant les risques. Bref l'éthique est souvent mobilisée pour légitimer l'entreprise techno-industrielle aux yeux d'un public qui pourrait être sceptique.
Texte : Bernadette Bensaude-Vincent et Dorothée Benoit-Browaeys, extrait de « Fabriquer la vie : où va la biologie de synthèse ? » (Seuil, 2011). Citation à fins documentaires, © Éditions Le Seuil
Sonore : © Radio FMR
Illustration : Chimera-postcards for the lunch bag, CC-NC-ND-By Sandra Strait