Extrait de l'émission CPU release Ex0216 : Réparabilité.
Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui te dit que
Mais je vais pas en racheter un neuf, c'est que l'alim qui vient de griller !
Alors qu'en fait, tu galères déjà rien qu'à tenter d'ouvrir le gizmo. Et là est toute la question : Que faire quand un appareil toujours vendu n'a pas de manuel de réparation, et que même les pièces détachées ne sont pas disponibles ? En gros, quand le fabricant fait tout pour que d'autres ne puissent réparer à sa place la machine qui t'appartient.
Pourquoi verrouiller le dépannage ? Pourquoi des entreprises font tout pour empêcher leurs clients ou d'autres entreprises de réparer leurs appareils ou fixer leurs défauts de conception ? Ce ne sont pourtant pas des machines médicales dont bricoler les tripes peut mettre des gens en danger, hein ?
Y'a un peu de tout comme stratégie : coller plutôt que visser, empêcher une pièce de se démonter, ne pas proposer de pièces détachées, poursuivre les forum qui propose de télécharger le manuel pour atteinte au copyright…
Comme il n'est commercialement pas facile de dire c'est pour que vous en achetez un neuf
ou encore on fait notre marge grâce aux dépannages sur site
, le prétexte officiel est bien souvent d'empêcher le vol d'informations commerciales, de limiter la construction de copies. Il se trouve que l'ingénierie inverse, ou rétro-ingénierie, n'est pas interdite en Europe, sauf dans le cas de brevets.
Bon, tu vas me dire, un tel fabricant doit tellement se prendre de mauvais commentaires que personne n'ira en racheter un neuf. Et pourtant Apple… [[oooh!
et autres désapprobations dansle fond]] a bien changé depuis Steve Wozniak : t'es obligé d'aller voir un genius
dans un bar
où ils ne te proposent même pas une verveine ou un soda.
Bon, OK, exemple trop clivant.
Enfant du Futur Immédiat, je vais prendre un cas pratique : ton McDo du Mercredi Midi. Car toi, comme tous tes petits coreligionnaires de l'école, tu n'as qu'une envie : un moment de malbouffe et de sirop saturé en saccharose le tout nappé d'un jouet inclus dedans avec sa fameuse mascotte du clown tueur en série de diététiciens.
Et le dessert, ton dessert favori : Le McFlurry™, cette glace onctueuse à l'italienne avec son topping sirupeux.
Et eux, ils ont carrément renoncé au McFlurry™ en dessert. Et pas pour se donner bonne conscience ou la crainte que les 285 calories de réconfort les force à changer de taille de pantalon, non.
Parce que trop souvent, les machines à glaces du McDo sont en panne.
[Jingle Plantage]
Au début de la franchise McDonalds'™, il y avait deux frères qui ont révolutionné le burger, créant le principe du fast-food par la manière d'organiser la cuisine et la préparation dudit mets. Ils étaient tellement fiers de leur temps passé à chorégraphier le mouvement de leurs équipes en cuisine que leur restaurant était un laboratoire où ils ont invité gratuitement les fondateurs d'autres chaînes de restaurants ultra-connus comme KFC, Burger King, Pizza Hut et j'en passe. Ouais, gratuitement,… trop bons, trop c�ns.
Mais Richard et Maurice McDonald n'avaient pas envie de se développer en dehors de la Californie, car ils avaient peur, ou plutôt ils ont eu l'expérience que la qualité et les modes de fabrications n'étaient pas suivi par les gérants de leurs autres adresses, et que donc, il fallait continuellement être dessus pour qu'ils respectent leurs standards de qualité qu'ils s'imposaient.
Oui, je sais parler de qualité
pour un McDo peut sembler antinomique pour certaines oreilles à l'affût sur notre radio, mais jusque dans les années 1930s, la nourriture américaine n'était pas réputée pour sa qualité, le ketchup a même été inventé pour atténuer les effets d'intoxications alimentaires. Je te renvoie sur la série documentaire « Pionniers de l'industrie alimentaire» passée sur la chaine Planète+ et pour le gras du dossier, sur le film « Le Fondateur », même si un poil romancé, où Michael Keaton va incarner l'acteur suivant de mon histoire : Ray Kroc.
Ray Kroc est celui qui a racheté le concept et le nom aux frères McDonalds' originaux et institué le système de franchise. Les restaurants franchisés sont indépendants, mais par contrat doivent respecter à la lettre certaines conditions dont les recettes, l'aménagement des cuisines et le maquillage du clown.
Et entre autres, Ray Kroc a remplacé les délicieux milkshakes au lait naturel par des sundae au lait en poudre reconstitué. Le maître des Doubles Arches Dorées a aussi imposé dans ses contrats que ses franchisés qui ouvriraient des restaurants à sa marque ont obligation de se fournir exclusivement en certains modèles de machines de cuisine, par le biais de son entreprise. Ben oui, si tu crois que le patron du McDo de la place Wilson va se fournir en friteuses chez Darty à côté ou chez un fournisseur pro comme Metro, tu vas tomber de haut.
D'ailleurs, comment Ray Kroc a connu les Richard et Maurice MacDonald ? En tant que VRP en machines à milkshakes ! Eh ! Jamais mieux servi que par soi-même.
Or, depuis quelques décennies, les machines à McFlurry spécifiquement produites et vendues par Taylor pour les restaurants McDonalds' sont devenues complexes : elles malaxent, elles chauffent, mais aussi, elles congèlent la préparation le soir pour ne pas gâcher le produit. Ben oui, réfléchit, c'est pour l'écologie.
Donc le fabricant choisi, Taylor, a ajouté un peu d'électronique et même un microcontrôleur et un afficheur. Et vlatipas que ça ne te surprendra pas : plus c'est complexe, plus ça tombe en panne.
Et dans le cas présent qui t'allèche les babines, ces machines à McFlurry modèle C602 sont proverbialement si peu fiables qu'elles sont souvent toutes en panne. Et les franchisés n'ont pas le droit d'utiliser une autre machine, et ont obligation par contrat de proposer tous les produits de la gamme McDonald's, dont… les McFlurry. Un site a même été créé : McBroken.com qui recense en temps réel les restaurants McDonalds où il n'est pas possible dans l'immédiat de commander un McFlurry car toutes leurs machines Taylor C602 sont out of service
.
Oui, certains restaurants ont tenté le coup de la scalarité et de la redondance et se sont équipées de plusieurs machines à McFlurry, facturées neuves environ 20 000 € HT. Ce qui veut dire que, et ça, tout DevOps pourra te le confirmer, plus tu mets de machines identiques pour éviter une panne, plus tu as de pannes avec ce type de machines.
Enfin… une panne… c'est ce que te laisse supposer l'écran de la machine à glace, car souvent, l'équipier en cuisine voit qu'elle refuse de délivrer la glace et affiche un glacial message ultra-cryptique sur son afficheur. Message qui n'est absolument pas présent dans le manuel. À toi de comprendre que le message ressemblant à un code d'erreur MySQL veut en fait dire que le brassage de glace ne peut commencer car la température n'est plus la bonne.
Comprendre ça, comme si t'avais que ça à faire alors que t'as 75 doubles CBO à sortir dans le quart d'heure, plus les frites et les sodas. Ça en jette un froid en plein coup de feu en cuisine. Alors évidemment, tu fais appel au technicien Taylor qui va te facturer le déplacement sur site et en attendant t'as perdu une journée de vente de glaces par un jour de canicule. Cela ne te rappelle pas par hasard l'histoire des tracteurs John Deere ? Ben figure-toi que c'est pas le seul point commun.
Enfant du Futur Immédiat, c'est pas une raison pour se mettre en boule comme Michael Douglas dans le film « Chute Libre » parce qu'il arrive 5 mn trop tard chez l'autre clown pour commander sa formule petit-déjeuner
.
[William, le client] — Je voudrais une one-melette jambon normal et une one frite normale
[Sheila, hotesse de caisse] — Je suis désolée. Nous ne servons plus le petit déjeuner, nous sommes passés à la formule déjeuner
[William] — Je voudrais un petit déjeuner
[Sheila] — Vous n'en n'aurez pas : on n'en sert plus.
[Extrait VF du film « Chute Libre »]
Non.
Si t'es un nerd, et que t'as déjà parfaitement réparé ta brosse-à-dents multifonction, y'a strictement aucune raison pour que tu n'arrives pas à déplanter leur fichue machine et avoir en cadeau un double topping. Surtout si tu connais le patron du fast-food du coin, et que le week-end, vous allez vous faire une choucroute végane dans une petite échoppe du centre-ville. Ben quoi ? Il a le droit, non ?
La légende veut qu'un dev en regardant l'intérieur du bazar a marmonné :
Je l'aurais mon McFlurry. J'aime pas ça, c'est trop sucré, mais j'ai des principes. Comme le petit déjeuner.
[William, le client] — Voilà : je voudrais un petit déjeuner.
[Rick, le gérant] — Nous ne servons plus de petit-déjeuner.
[William] — Je sais que vous ne servez plus de petit déjeuner, Rick. Sheila vient de me dire que vous ne servez plus de petit déjeuner, mais… …pourquoi je vous appelle par vos prénoms, moi ? Je ne vous connais même pas. Je dis encoreMonsieurà mon patron, ça fait sept ans et demi que je bosse pour lui, mais voilà que j'entre ici, je ne vous connait ni d'Ève ni d'Adam et je vous donne du Rick et du Sheila comme si on était aux Alcooliques Anonymes.
[Extrait VF du film « Chute Libre »]
[Thème musical de Mac Donald chanté a capella d'une manière énervée]
C'est ainsi qu'un couple a monté une entreprise, Kytch, pour réparer contre le gré de McDonalds' et de Taylor leurs machines à la demande de leurs restaurants qui veulent continuer à servir des desserts. Cette boîte a été très sollicitée par nombre de patrons franchisés, qui leur ont prêté quelques exemplaires, ce qui leur a permis de reproduire, tester, comprendre, et trouver des solutions. Et du coup, Kytch a même conçu une carte électronique à base de Raspberry Pi (phrase qui fait rire Enflammée derrière parce qu'elle adore les framboises)… donc je disais une carte électronique greffée dans la Taylor C602 afin de tenter d'éviter les erreurs les plus courantes, d'afficher des messages nettement plus explicites que les originaux et de signaler les futures pannes prévisibles.
Et ben tu vas pas me croire. Cette entreprise s'est faite poursuivre par le fabricant Taylor pour retro-engineering, ce qui est strictement interdit par le DMCA, le Digital Millenium Copyright Act, la loi anti-piratage poussée par Hollywood. McDonalds' et Taylor ont envoyé plusieurs courriers à leurs franchisés disant que les interventions de Kytch les mettent juridiquement en danger en cas d'accident corporel. Rien que ça.
Et Taylor a même récupéré une des cartes Kytch pour la copier à sa marque, matériel et logiciel inclus. Oh oui, la belle ironie ! Et évidemment, Kytch les a poursuivi pour viol de copyright puisque Taylor a carrément copié leur logiciel. Là, on n'est plus dans le retro-engineering.
Cette histoire est tellement folle qu'on en est actuellement à d'intenses opérations de lobbying des deux côtés. Washington voit actuellement s'affronter les fabricants de machines professionnelles et les réparateurs non-officiels de ces machines pour introduire enfin aux États-Unis le droit à la réparation, et donc reconnaitre que les acheteurs d'une machine ont le droit d'en être propriétaires et de pouvoir les réparer ou les faire réparer en dehors du circuit des concessionnaires.
Bref, Enfant du Futur Immédiat, dans cette histoire plus acidulée que sucrée, t'es pas prêt de l'avoir, ton McFlurry. C'est peut-être pour ça que McDonalds' France te propose des fruits dans ton Happy-meal™ : Le couteau a moins de chance de tomber en panne.
Texte : Da Scritch
Illustrations sonores : extrait VF du film « Chute Libre » © Regency Enterprises, Warner Bros. Pictures. — Restaurant kitchen is busy, CC-0 — Macdonalds' atmosphere R84, CC-0 — Mac_sms1, CC-0
Photo : photographie d'étape de remplacement de batterie d'iPhone 13, CC-By-NC-SA iFixit, détail