Extrait de l'émission CPU release Ex0219 : Masterclass Jordan Mechner, deuxième partie.
Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui t'es sûrement rué sur le documentaire interactif « Making of Karateka » suite à notre précédente émission. Émission où, d'ailleurs, on t'a embarqué dans une longue interview avec Jordan Mechner ; auteur d'un jeu vidéo qui a acquis le statut convoité de titre culte
devenu une franchise : « Prince of Persia ».
Mais je me rends compte qu'on ne t'avait pas présenté le jeu original lui-même.
Et ça, c'était intentionnel de notre part : Jordan a commencé comme développeur très jeune, encore au lycée, sur un micro qui est vu maintenant comme primitif, l'Apple II, mais qui à l'époque donnait une puissance incroyable à ces possesseurs : créer de la logique, du graphisme, des sons, de l'interaction, et dupliquer par soi-même ses créations pour en faire profiter les autres.
L'inverse des bornes d'arcades et des consoles de jeux à cartouche.
C'était l'ère des ordinateurs 8 bits, où l'Apple II émargeait à côté des TI-99, TRS-80, Commodore 64 et pour l'Europe des ZX Spectrum et autres Thomsons. Et ça, on en a déjà causé.
Là, maintenant, on va parler donc de la création d'un jeu qui a rendu son auteur mondialement célèbre, et comment il est passé du statut d'auteur-artiste qui doit quasi tout faire, à celui de directeur artistique. Et entretemps, Jordan Merchner a goûté à d'autres formes de créations comme le cinéma ou la bande-dessinée.
Ce n'est pas rien : S'essayer à des créations moins interactives, pour y piocher de quoi rendre celles sur ordinateurs encore plus intéressantes. La contrainte et le mouvement, ce qui définit bien finalement l'histoire de sa famille, comme il le raconte justement dans sa bande-dessinée « Replay : mémoires d'une famille ».
Enfant du Futur Immédiat, nous allons aussi découvrir avec Jordan Mechner comment il a délégué la fabrication sur ce qu'il a créé, poli, chéri pendant des années : des adaptations sur d'autres plateformes informatiques, l'arrivée d'autres développeurs, dessinateurs, musiciens. L'émergence d'autres compétences comme dans « The Last Express » où on est pas loin de la motion capture, ou encore la joie de tout chef sachant cheffer : la gestion de projet, du budget et RH.
Que du bonheur.
Oui, la transformation de sa propre carrière est un sujet important.
Parce que, finalement, pourquoi l'image du personnage en miroir de « Prince of Persia » a cet aspect visuel, ou les contraintes qui ont dicté la création de la souris dans le tout premier jeu, oui, c'est super intéressant sur comment l'imagination permet de transformer les limitations techniques en création géniale… L'informatique n'est pas figée, et évolue toujours à une vitesse fulgurante.
Des adaptations sur les autres plateformes, on voit que chaque sous-traitant l'a fait à sa manière : soit du moyen, soit du très bon, voire même de l'excellent pour la SNES ou l'intro des versions pour ordinateurs japonais.
Que l'art de programmer des jeux en assembleur se perde n'est pas une mauvaise chose : des frameworks de programmation comme Unreal Engine ou BabylonJS vous permettent de vous consacrer plus sur la mécanique du jeu, de faciliter les portages, et à en chasser les bugs. Enfin, on suppose.
Revenons au premier titre de la saga par son intro.
Prince Of Persia s'ouvre sur un texte, où l'on apprend que le Grand Vizir Jaffar a profité du déplacement officiel du Calife pour prendre le pouvoir. Mine de rien, on est direct dans l'ambiance par la musique et surtout ce carton titre qui fait furieusement penser aux films des années 1930s. Revenons à l'intrigue dont la mise en scène rappelle l'ouverture de « Karateka », et un autre carton explique que la princesse doit épouser dans l'heure l'infâme Jaffar, ou périr sous la lame du bourreau. Son seul espoir est un jeune et courageux guerrier, qui est actuellement au fond du donjon.
Notre univers de déambulation est une vue où l'on voit plusieurs niveaux de planchers. À chaque bord, on a un changement d'écran, sans même un scrolling, puisque l'Apple II ne le permet pas, et la plupart des portages vont garder cette absence de transition. À chaque écran, donc, ce découpage en plateformes où l'on trouvera des grilles, des fossés, des dalles truquées, d'autres instables, des dangers mortels comme des piques, des portes-hachoirs, des gardes prêt à vous passer par le fil du sabre et autres périls mortels.
Une heure pour remonter un gigantesque labyrinthe.
Le jeu a peu de bruits, d'animations,… à une époque où les autres platform games comme Rick Dangerous cumulaient les ennemis à l'écran et les animations cartoon. Là, non, l'ambiance est différente, tout aussi pleine de dangers, et les personnages ont des mouvements fluides, comme des humains. Pas de points, pas de chrono affichés en permanence, on a un certain minimalisme, mais l'enjeu de sortir du trou dans l'heure est bien présent à l'esprit du joueur.
Voilà, il y a étonnement une économie dans la présentation qui sont dictées par les limitations techniques de la plateforme informatique originelle, et en même temps, une réelle tension menée par une ambition cinématographique. Ce qui va inspirer deux jeux français ultérieurement, que sont « Another World » et « Flashback ». Même s'ils étaient développés sur des ordinateurs nettement plus puissants, ils vont reprendre cette idée d'économie de moyen, de réduire l'inflation hystérique d'ennemis bruyants à l'époque, pour construire de vraies scènes de cinéma et établir des level design malins qui ne peuvent être terminés en bourrinant sur le bouton d'action.
Même après l'avoir terminé y'a quelques dizaines d'années, « Prince of Persia » dénote toujours par la fluidité de son mouvement sur un décor simple, aussi bien sur un Apple II poussé dans ses derniers retranchements que sur des machines largement plus puissantes. Et depuis, le jeu a changé de dimension, est devenu une franchise, s'est complexifiée, et a tenté de nouvelles mécaniques.
Et derrière, il y a un auteur.
En nous, Enfant du futur immédiat, on a voulu rendre hommage à ce créateur, et comment sa carrière a évolué.
Texte : Da Scritch
Illustration : couverture du livre « La création de Prince of Persia, carnets de bord de Jordan Mechner 1985-1993 », D.R.