Extrait de CPU release Ex0003 : Les élus politiques face aux geeks.
Nous sommes aux États-Unis en 1990 et l'histoire commence par un vol de logiciel.
Apple soupçonne que le code source des ROM, l'équivalent du BIOS de ses ordinateurs MacIntosh, n'aie été dérobé. La firme à la pomme est dans un instant critique, car la gamme ultra-rentable de ses ordinateurs Apple II a été retirée du marché, mais les ventes de MacIntosh ne décollent que doucettement, sûrement dû à un prix de vente assez imposant ; pendant ce temps, des émulateurs de MacIntosh commencent à fleurir et pourrait noyer l'original si ces ROM courent dans la nature, comme cela a faillit être le cas avec ses Apple II.
L'enquête dudit larcin est confiée au FBI, qui peut enquêter sur les crimes fédéraux, c'est à dire ayant eu lieu sur plusieurs états, grâce à son maillage de bureaux locaux et d'agents de terrains.
John Perry Barlow, entres autres parolier du groupe de rock Grateful Dead, se retrouve perquisitionné dans cette affaire. Mais lors de cette intervention dans son domicile, il se rend vite compte que les agents fédéraux menant la procédure ne comprennent pas l'informatique. Il n'était donc pas sûr que ses droits de citoyen soient correctement protégés, et notamment le premier d'entre eux qui est d'être présumé innocent, puisque la nature même du délit était totalement imperméable aux agents de police. Comme il le dit lui-même : « avant même de pouvoir prouver mon innocence, il fallait que je décrive le délit. »
Or, depuis la fin des années 1980s, les États-Unis sont dans une époque de forte judiciarisation des délits informatiques, allant jusqu'à l'absurde : l'éditeur de jeux de rôles Steve Jackson Games fut perquisitionné sur des soupçons de piratage informatique. En fait, la préparation éditoriale d'un jeu de rôles sur l'univers cyberpunk était vue comme un manuel criminel. On y parlait à outrance de hackers et de piratage. Oui, pour une œuvre littéraire de science-fiction, les ordinateurs de Steve Jackson Games furent confisqués, mettant à mal une entreprise qui était florissante.
Ainsi naquit l'EFF, le 6 Juillet 1990, organisation à but non-lucratif est fondée par John Perry Barlow, John Gilmore et Mitch Kapor.
Elle a pour mission de concilier les « conflits inévitables qui ont commencé à se déclencher à la frontière entre le cyber-espace et le monde physique ».
Si de nombreuses organisations de défense citoyennes existent déjà aux États-Unis, comme l'ACLU (l'American Civil Liberty Union), elles n'étaient pas encore suffisamment spécialisées et impliquées dans la révolution informatique.
La Electronic Frontier
est une référence directe à l'ère des pionniers du Far West : une zone de liberté, d'opportunités, au-delà des frontières connues où tout est à écrire. Cette référence libertaire, libertarienne et libérale se heurte à une autre logique : Le bloc de l'Est s'effondre et l'URSS est en train d'imploser. Les forces de l'ordre doivent donc repérer au plus vite quelles sont les menaces potentielles, quitte à s'y méprendre : Pour elles, il est acquis que l'ennemi intérieur est là, les hippies de la Silicon Valley veulent faire tomber l'ordre établi.
En réponse à cet état d'esprit, John Perry Barlow écrit en 1996 la Déclaration d'Indépendance du CyberEspace, attaquant la Communication Act, loi qui selon lui risquait de mettre internet sous la coupe du gouvernement Américain.
Des organisations existent à travers le monde qui tentent elles aussi de réduire ces cassures idéologiques entre le monde physique et internet, comme La Quadrature Du Net, mais l'EFF reste la référence, car elle est sur l'ensemble de la chaîne politique : du lobbying auprès des législateurs, l'interpellation des gouvernements, et surtout l'assistance juridique.
Et l'EFF se montre bien vite forte utile pour le secteur informatique, allant aussi bien avant les lois, devant l'exécutif et au créneau devant les tribunaux, parfois jusqu'à la Cour Suprême des États-Unis. Et à l'heure de la multiplication des traités internationaux économiques, qui remettent en cause lois nationales et droits des citoyens, l'EFF a la masse critique suffisante pour attirer le regard des médias.
Très rapidement, l'organisation s'est internationalisée, comme Internet. Et avec l'apparition d'autres fondations autour des standards informatiques (comme le W3C), du logiciel libre (comme Mozilla) ou de gestion de l'infrastructure d'internet (comme l'IETF), elle a trouvé des alliés de poids, qui n'hésitent pas à relayer ses campagnes.
L'EFF est désormais un modèle non seulement pour la Quadrature Du Net, mais aussi pour Amnesty International et Reporters Sans Frontières, qui sont désormais sensibilisés sur les armes numériques, extrêmement puissantes contre la Démocratie.
Mais tout le problème est justement l'omniprésence du numérique, et donc la démultiplication des terrains d'intervention de l'EFF. Du coup, n'est-elle pas allée trop large ? et ne fait-elle pas un peu trop le jeu de certaines très grandes entreprises ?
Le texte retranscrit intégral de cette chronique est disponible sur le site de son auteur.
Auteur : DaScritch