Extrait de l'émission CPU release Ex0085 : Histoires de la cryptographie, 2ème partie : Le mystère d'Enigma.
Fragile construction de la fin de la Grande Guerre, forgée d'un remembrement des terres du vaincu prussien et du démissionnaire russe, la Pologne était à la merci d'une ré-invasion par ses deux encombrants voisins soviétique et allemand.
Fondés dans les premiers jours de l'indépendance de la Pologne, les services de renseignement polonais sont déjà très en pointe dans le décryptage. À peine né, le Biuro Szyfrów (Bureau du Chiffre) est sur le qui-vive, entre deux fronts. Il a permis dès avril 1920 de contrer l'offensive de la Russie soviétique pour ré-envahir la Pologne.
1929, la douane de Varsovie bloque un colis expédié depuis l'Allemagne, de l'équipement radio à en croire son manifeste. Le représentant du fabricant allemand exige que ce colis soit renvoyé en Allemagne avant de passer en douane. Ce paquet devait être expédié par la malle diplomatique, il est passé par le courrier normal par erreur.
On est samedi après-midi, la lourde insistance du représentant Allemand met la puce à l'oreille. Le Bureau du Chiffre, qui est aussi compétent en émetteurs radios, est aussitôt prévenu. Ses spécialistes vont ouvrir très délicatement le colis ; celui-ci contient, non pas une radio, mais une machine Enigma. Du samedi soir au lundi matin, l'engin est analysé sous toutes les coutures, puis soigneusement remonté, ré-emballé et renvoyé à son expéditeur.
Les services polonais connaissent donc par quel nouveau procédé l'armée allemande chiffre ses messages radio. Or il se trouve que la machine peut être achetée auprès du fabricant, Arthur Scherbius. Les polonais en achètent une par des biais détournés pour ne pas attirer l'attention.
Posséder la machine ne suffit pas : sans connaître les réglages il est toujours quasi-impossible de retrouver le message en clair. L'état-major Polonais est très inquiet, surtout avec la popularité croissante du NSDAP, le parti d'Adolf Hitler.
Le Bureau du Chiffre a déjà réfléchit sur les nouvelles méthodes pour casser les codes, et convient qu'il faut désormais des mathématiciens. Ils avaient mené des tests de recrutement à la fin des années 1920s dans des universités à l'Ouest du territoire, donc ayant une pratique de la langue Allemande.
Les officiers vont recruter 3 étudiants qui se sont montrés prometteurs : Marian Rejewski, Henryk Zygalski et Jerzy Różycki. Ces 3 jeunes hommes arrivent à déduire des empreintes du chiffrement Enigma en utilisant des méthodes purement mathématiques. Cette étape permet de réduire les pistes pour une attaque en force brute et donc de gagner du temps.
En 1931, Hans-Thilo Schmidt, un fonctionnaire du Chiffre Allemand retourné par les espions Français, fournit suffisamment de documentation pour que les Polonais arrivent à reconstruire une machine Enigma par ingénierie inverse. Mais figurez-vous que la direction du Bureau du Chiffre continua à laisser ses trois jeunes décrypteurs s'escrimer quotidiennement sur le code d'Enigma ; sans leur dire que le bureau d'à côté possède les codes de chaque jour sur plusieurs mois.
Oui, il vaut mieux avoir une bonne méthode de cassage plutôt que de se reposer sur la taupe Hans-Thilo Schmidt, car la source peut tarir du jour au lendemain.
Zygalski va donc continuer à s'escrimer tous les jours, et va mettre au point une méthode avec de grandes feuilles perforées.
L'équipe décodera de nombreux messages dès 1933, au moment où Hitler devint Chancelier.
Pour industrialiser le décryptage, les Polonais concevront les fameuses bomba kryptologiczna, des engins mécaniques automatisant l'attaque par force brute.
Leur nom vient du bruit du mécanisme testant chaque possibilité, évoquant le tic-tac décomptant le temps avant que le code ne soit explosé. Mais ces bombes devinrent inutiles quand en octobre 1936, les Allemands remplacèrent une pièce qui induisait une faiblesse dans le chiffrement d'Enigma. Heureusement, les Polonais avaient d'autre machines pour mener leur travail de sape, certaines très artisanales comme les feuilles perforées de Zygalski.
Les 25 et 26 juillet 1939, devant l'imminence de la guerre, les services secrets Polonais organisent une réunion avec leurs homologues Français et Anglais. Ils vont tout leur dévoiler et leur donner l'intégralité de leurs travaux : messages décodés, clones d'Enigma militaires et prototypes des bombes incluses. Après cette réunion, les militaires Polonais détruisent leurs propres installations et archives, les cryptanalistes polonais fuirent pour rejoindre les services de déchiffrement Français. À temps : l'armée Nazie envahi la Pologne le 1er septembre.
Durant la guerre, il y eu une forte suspicion envers ces génies mathématiques. Ils furent sous-employés, mis sur des missions mineures… Jerzy Różycki péri avec d'autres collègues des services du Chiffre de Vichy dans le naufrage du paquebot Lamoricière en 1942.
Après guerre, Marian Rejewski revint en Pologne, mais ne dit rien de ses activités passées… jusqu'en 1967.
Henryk Zygalski s'exila en Angleterre où il enseigna les mathématiques statistiques, et sans avoir le droit d'évoquer son CV d'avant-guerre.
Auteur : DaScritch
Photo : Enigma militaire pour la marine allemande. Greg Goebel GVG/PD public domain.