Extrait de l'émission CPU release Ex0106 : Révolutionner une entreprise.
Il y a longtemps,… fort longtemps,… une tribu mélanésienne d'hommes et de femmes échouèrent leurs bateaux sur une île isolée. L'île était grande, la forêt dense, l'océan fécond, la nature généreuse… la tribu prospéra, les générations nouvelles nées prirent la place des générations très âgées.
Un jour, un homme vint d'une autre île, il dit que les dieux des ancêtres ne pouvaient rien faire contre le nouveau Dieu qui faisait des miracles. La tribu l'écouta poliment et passa à autre chose.
Quelques générations plus tard, une autre tribu arriva par la mer, leurs pirogues étaient portées par de gigantesques baleines, soufflantes et crâchantes. Ces hommes et femmes à la peau claire s'établirent sur l'île dans un coin libre. Ils y rasèrent la forêt, poussèrent les terres des collines pour y ériger leurs grandes maisons. Au milieu de leur village, ils bâtirent un immense ruban, dur comme la pierre.
Attirés par ce ruban, s'y posèrent d'immenses oiseaux brillants, qui portaient en eux des présents fabuleux.
Cette nouvelle tribu était bénie de son dieu : elle savait comment lui parler et le satisfaire pour obtenir ses faveurs. Ces humains qui chevauchaient avec leur dieu étaient reconnaissants envers les premiers venus : ils leur partageait quelques cadeaux qui émerveillaient les yeux de tous, ces cadeaux n'étaient visiblement pas fait par les humains ni dans leur monde.
Mais un jour, ces hommes et ces femmes à la peau plus pâle que les premiers venus firent leurs bagages. Ils mirent à terre leurs cahutes et partirent tous en même temps. Et depuis, les baleines colossales et les oiseaux brillants ne sont plus jamais revenus sur l'ile.
Sans la présence de ce dieu, la vie semblait plus morne. La tribu des hommes et des femmes qui vivaient sur cette île depuis des siècles se demandaient ce qu'a fait la tribu à la peau claire pour être divinement bénie. Comment pouvaient-ils eux aussi obtenir des présents légendaires ?
Ils reconstruisirent les cahutes en bois et torchis, ils firent des sculptures géantes de bois et de feuilles en forme d'avions cargo, d'antennes et de citernes, ils invoquèrent les animaux fabuleux en leur parlant dans des écouteurs faites de coques et de lianes.
Ce peuple de l'île de Tanna en Océanie ignorait les inventions technologiques, il n'était pas au courant de la Seconde Guerre Mondiale et il ne connaissait pas le concept de logistique.
Ils ont tenté de reconstituer ce qu'ils avaient vu, en espérant vainement que les gigantesques avions allaient revenir sur la base aérienne abandonnée. Et comme il discutait avec d'autres peuples des îles Vanuatu, qui eux aussi avaient assisté au ballet des navires cargos et des avions cargos, le culte se propagea et ces peuples construisirent eux aussi ces immenses figurines en bois.
Dans son livre intitulé « Les Cultes du cargo », publié en 1974, l'anthropologiste Peter Lawrence écrit :
Les indigènes ne pouvaient pas imaginer le système économique qui se cachait derrière la routine bureaucratique et les étalages des magasins, rien ne laissait croire que les Blancs fabriquaient eux-mêmes leurs marchandises. On ne les voyait pas travailler le métal ni faire les vêtements et les indigènes ne pouvaient pas deviner les procédés industriels permettant de fabriquer ces produits. Tout ce qu’ils voyaient, c’était l’arrivée des navires et des avions.
(Citation de la traduction via wikipedia)
Ce rite religieux n'est pas exclusif aux peuples en autarcie dits primitifs
, il se retrouve aussi dans nos sociétés occidentales que nous croyons si rationnelles. Il n'est pas rare de voir des comportements que l'on peut juger aberrants, qui sont répétés aveuglément afin d'espérer une conséquence heureuse, et ceci à l'échelle d'équipes, d'open-spaces, d'industries entières. Entre la start-up qui veut recréer Facebook et les managers qui appliquent des méthodes de gestion de projets inefficaces parce que les Anciens ont toujours fait ainsi, les exemples ne manquent pas.
Le culte du cargo est une sorte de cage mentale, où, au lieu de chercher à comprendre la vraie raison d'un problème, on suppose que tant qu'on refait comme font les autres, ça peut marcher.
Un peu comme si on continuait à appuyer sur l'interrupteur d'une ampoule grillée.
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Et c'est dans ce plus pur style naïf que j'ai voulu imiter l'émission « Sur les épaules de Darwin », en espérant attirer la même audience que France Inter.
Texte : DaScritch.
Photo : D.R., détail, via skepticalagile