Extrait de l'émission CPU release Ex0116 : See you, Space Cobol.
Le progrès entre les calculateurs électro-mécaniques et les ordinateurs purement électroniques est que la programmation n'est plus mécanique mais stockée dans une mémoire électronique ré-inscriptible. De là, ces programmes vont pouvoir aller au-delà de la résolution de formules mathématiques.
Chaque opération logique est représentée dans la mémoire électronique par une valeur arbitraire, c'est le langage machine, celui qui est directement exécuté par l'ordinateur. Mais celui-ci demande énormément d'efforts à lire et à écrire pour les humains.
En 1949 est présenté A-0 System, un programme traducteur transformant les symboles mathématiques en langage machine. Il s'agit du premier linker (éditeur de liens), la première étape d'un compilateur. 3 ans plus tard, B-0 fera encore plus fort : transformer des termes anglais en langage machine. En soit, B-0 est le premier compilateur, et jette les bases des langages de programmation modernes.
Et derrière cette prouesse extraordinaire pour l'époque, il y a une une femme au caractère bien trempé, qui va révolutionner l'informatique en créant une base importante de l'industrie logicielle.
Grace Hopper est la conceptrice du premier compilateur, elle est Le Gourou
Née à New-York en 1906 d'une famille de militaires, Grace Murray est diplômée de l'Université de Yale en 1930 en mathématiques et physique, et deviendra docteur en mathématiques. Elle se marie en 1930 à une professeur de mathématiques de l'Université de New-York, et quand elle divorcera 15 ans plus tard, elle gardera le nom de son ex, Vincent Hopper.
Quand les États-Unis s'engagent dans la Seconde Guerre Mondiale, Grace Hopper tente de s'enrôler dans la Marine, qui la refusera à cause de son âge, 34 ans, de sa petite taille et de son poids en dessous des 54 kg requis. Elle refusera que son rôle de professeur soit considéré comme effort de guerre et obtint une dérogation exceptionnelle pour intégrer le Corps de Réserve de la Marine, où elle intègre l'équipe de programmation de l'ordinateur électromécanique Mark I.
Elle y co-écrit plusieurs papiers scientifiques sur la programmation avec le responsable du Harvard Computation Lab.
Le 9 Septembre 1947, elle reportera que fut trouvé dans l'ordinateur Mark II un papillon de nuit coincé entre les lampes. Si elle n'a pas créé le terme de bug
ou l'action de débugger
, l'incident étant très courant dans les centraux téléphoniques, elle restera célèbre pour avoir scotché l'insecte en pièce-jointe dans le journal d'erreur de la machine, suivi de la ligne first actual case of bug being found
, Premier cas avéré d'un insecte dans la machine
.
En 1949, elle devient Directrice du développement pour l'UNIVAC I, où elle va révolutionner l'informatique avec A-0 et B-0, qui deviendra plus tard FLOW-MATIC.
À l'époque, on me disait que je ne pouvais y arriver, car les ordinateurs ne comprennent pas l'Anglais. […] C'est pourtant plus simple pour la plupart des gens d'écrire une phrase en Anglais plutôt que de manipuler des symboles. […] Donc j'ai décidé que les opérateurs de données devaient pouvoir écrire leurs programmes en Anglais, et que la conversion en code machine devait être faite par les ordinateurs.
Grâce à elle, l'informatique peut faire autre chose que de l'arithmétique, mais les obstacles dans cette industrie sont nombreux pour imposer cette idée. Passée chez IBM en 1957, c'est sur cette vision qu'elle co-concevra la base du langage Cobol en 1959, lors de la conférence initiant le comité CODASYL.
Cobol permet d'écrire en anglais Subtract income tax from pay
(soustraire l'impôt sur le revenu de la paie brute) plutôt qu'avoir à programmer en octal, manipuler des symboles abscons ou se retrouver bloqué par les limitations de la machine. Et il sera le premier langage informatique normalisé et commun entre plusieurs constructeurs d'ordinateurs.
En 1967, atteinte par la limite d'âge de 60 ans, Grace Hopper se retire de la réserve de la Marine Américaine, mais la Marine lui obtient une dérogation exceptionnelle, lui permettant de continuer à officier en tant qu'officier. Oui, déjà à l'époque, la crise des compétences…
Dans les années 1970s, alors directrice du groupe des langages de programmation de la Navy, elle tente de briser la culture des grands barebones centraux du Pentagone par des réseaux de mini-ordinateurs utilisant des requêtes réseaux vers les bases de données.
Elle partira effectivement à la retraite en 1986, étant à 80 ans le plus vieux officier toujours en activité dans une des armées américaines, avec le grade d'Amiral.
Malgré sa retraite, elle continuera ses activités informatiques en tant que consultante pour la société DEC.
Ces conférences étaient riches en anecdotes, en démonstrations visuelles et avec son ton de narration, elle en héritera le surnom de Grand-ma COBOL
.
La chose la plus importante que j'ai réalisé, à part construire le compilateur, est d'avoir formé des jeunes gens.
Par son autobiographie « Grace Hopper, Navy admiral & computer pioneer », elle souhaitait inspirer les femmes à s'orienter vers la marine ou l’informatique.
Elle nous quittera le 1er janvier 1992 à l'âge de 85 ans et fut enterré avec les plus grands honneurs militaires.
Texte : DaScritch
Voix complémentaire : Élise Rigot
Photo : Commodore Grace M. Hopper, USN en 1984, par James S. Davis pour la Marine Américaine, DP.