Extrait de l'émission CPU release Ex0125 : Financer du logiciel libre.
Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui vient de lancer un projet en logiciel libre mais qui n'a pas encore songé à le budgéter…
Oui, après tout, tout ira pour le mieux, juste besoin d'un repo pour le code, et cela ira. Mais au fur et à mesure, t'auras besoin d'un graphiste, d'un nom de domaine, d'un hébergement, et surtout de beaucoup de temps pour coordonner tout le monde. Ou au moins trier les bugs remontés par les utilisateurs. Et puis à côté, il faudrait dépanner des contributeurs qui sont au chômage, payer des outils qui testent la qualité de code, les failles de sécurité ou le fonctionnement de l'interface,…
Et mine de rien, tu te retrouves vite avec beaucoup d'argent engagé.
Bon, qu'est-ce que tu fais, du coup ? Mettre une licence d'utilisation payante ?
Tu peux pas : t'as lancé le projet en logiciel libre !
Ben euh… vendre des produits dérivés ?
Euuuuhhh... t'as pas encore de logo ou de mascotte et ça fait encore de l'argent à dépenser avec un risque d'invendus.
Alors… faire la quête ?
Franchement, le crowdfunding, c'est usant. Ça te fait pas pester ce bandeau d'appel aux dons pour la wikipédia ?
Enfant du Futur Immédiat, dans les premières années de l'informatique familiale, il y avait les logiciels payants, les logiciels piratés et les freewares. Le freeware était séduisant car il était gratuit, mais tu l'obtenais sans son code source. Il a fallut la popularisation des licences BSD puis GPL pour que les utilisateurs puissent aussi avoir accès au code source, au même prix que le logiciel exécutable, ce qui permet de s'instruire, de l'inspecter, de le modifier, voire d'améliorer le logiciel.
Et avec le temps, les bécanes devenant moins chers et ayant une logithèque plus fournie, la culture du développement est devenue bien moins liée à la possession d'un ordinateur, puisqu'il devenait de moins en moins obligé de savoir programmer pour utiliser son ordinateur. On est passé d'une passion de makers à un mode de consommation. Et le logiciel libre est devenu pour une grosse partie d'utilisateurs le logiciel qu'on pouvait se procurer pour se donner des frissons de hackers.
Puis vint le moment où le nombre d'utilisateurs qui se tournèrent vers les logiciels libres crût de manière exponentielle, pour différentes raisons :
- parce que le logiciel libre est plus malléable que son homologue payant,
- parce qu'il est réputé plus fiable,
- parce qu'il répond mieux à certains besoins,
- parce qu'il est beaucoup plus facile à déployer…
Mais qui dit des utilisateurs plus nombreux, dit un public plus exigeant et ceci… pour pas un rond !
Ben oui, le logiciel libre, c'est gratuit ! Y'a qu'à se baisser !… Et en fait non, faut aussi parfois y mettre du fric ? Comme pour les licences d'Apple ou de Windows ?
Alors que tu croyais que le logiciel libre, c'était le summum de l'ultra-libéralisme, où tu as out-sourcé le développement de ton logiciel par des goyos trop contents d'y bosser gratuitement et le support est compris dans le prix !
Régulièrement, pour financer ceux qui le créent, on entend la proposition de mettre en place une taxe, une redevance, un impôt quant à l'usage du logiciel libre, entres autres.
Oui, lors des dernières élections présidentielles en 2017, une taxe sur l'usage du domaine public fut proposé dans le programme du parti La France Insoumise. L'idée de la taxe pour créer un fonds semble séduisante, mais elle oblitère un point important :
Le domaine public, comme le logiciel libre, a été créé sur l'idée fondamentale que l'Humanité a besoin d'un fond universel de connaissance, dont l'usage est gratuit afin d'inciter à puiser dedans ou de créer de nouvelles ressources intellectuelles. Vouloir le taxer revient à taxer l'air ambiant, à la différence qu'on parle d'une ressource inépuisable par nature.
Or, une taxe, outre de financer les collectivités publiques, peut être utilisé pour donner une direction à une activité économique : soit pour punir, soit pour inciter.
Tu fumes ? C'est pas bien, on taxe lourdement tes clopes !
Tu donnes aux Resto du Cœur ? C'est bien, on t'offre une déduction fiscale.
Donc, taxer le domaine public, certains voudraient punir l'usage du logiciel libre ou l'interprétation d'une sonate de Bach, qu'ils n'auraient pas mieux fait. Paradoxal ? Je dirais plutôt très mal réfléchi
.
En attendant, nous n'avons toujours pas trouvé comment financer le logiciel libre de manière pérenne.
Voilà qui me rappelle cet échange du développeur Nicholas C. Zakas avec sa mère :
[Maman] — Ton père me dit que tu as inventé quelque chose ? ESLint ?
[Nicholas] — Oui.
[Maman] — C'est quoi ?
[Nicholas] — [un logiciel] qui trouve et corrige les problèmes dans javascript.
[Maman] — Oh. Et les gens s'en servent ?
[Nicholas] — Pratiquement tout ceux qui écrivent du javascript.
[Maman] — Et combien as-tu reçu en retour ?
[Nicholas] — Rien.
[Maman] — Je ne comprends pas du tout l'industrie où tu travailles.
[Nicholas] — Moi non plus.
Alors heureusement, il y a de très grandes entreprises comme... Microsoft (eh oui !), Mozilla, Google ou des plus petites comme Gandi qui financent régulièrement des projets open-source plus modestes. Mais malheureusement, ces initiatives sont trop rares. J'ai récemment entendu qu'une entreprise avait arrêté son contrat support avec un prestataire qui édite un projet open-source, parce que, je cite, la version est trop stable
.
Enfant du Futur Immédiat, Tristan Nitot avait écrit dans la précédente décennie une phrase qu'il n'utilise plus car elle prête à confusion : si c'est gratuit, c'est vous le produit
. Mais pourquoi le logiciel libre est gratuit ? Peut-être parce que la plupart des développeurs n'en vivent pas…
Texte : DaScritch.
Illustration : Le Prêteur et sa femme par Quentin Metsys (1514), domaine public. Collections du Louvres via la Wikipedia. Détail.