Extrait de l'émission CPU release Ex0126 : Un regard sur le vivant.
L’écriture cunéiforme a évolué pendant trois mille ans pour s’adapter aux contraintes et à la plasticité de son support, l’argile, qui lui a permis de devenir une écriture-sculpture.
Et il se peut que l’argile ait également été le ferment d’une sculpture du vivant.
Matière friable, l’argile est rapidement considérée dans l’antique Mésopotamie comme un élément primordial. Si de nombreux récits des origines développent l’idée d’un homme sculpté dans l’argile (Adam fut modelé avec de la glèbe, le Golem est fait d’argile, etc…), la communauté scientifique se penche désormais sérieusement sur le rôle de l’argile comme échafaudage déterminant dans l’apparition et l’organisation de la vie. En se mélangeant à de l’eau de mer, la structure de l’argile forme un hydrogel — état spongieux — où des molécules passant à proximité se retrouvent captées en forte concentration. L’argile catalyse alors les réactions susceptibles d’advenir entre ces molécules en favorisant la polymérisation de molécules organiques complexes. Parmi les minéraux qui constituent l’argile, le mica possède une structure en feuillets qui seraient au cœur de ce bouleversement. Depuis 2007, la biologiste Helen Hansma défend son hypothèse : « Life between the sheets ». L’eau aurait entraîné les biomolécules qui se seraient retrouvées piégées, protégées par la fine épaisseur des feuillets de mica qui auraient commencé par servir de membranes artificielles.
Le mica aurait contraint les molécules à réagir entre elles et à se structurer en cellules étanches grâce aux cycles jour-nuit qui provoquent la dilatation et la contraction des feuillets de mica. C’est typiquement avec ce genre d’oscillation mécanique qu’on peut induire chez les cellules cardiaques un mouvement contractile. Et c’est peut-être ce même mouvement de va-et-vient qui aura permis d’animer la matière et de la conduire à se retrancher dans une forteresse de phospholipides : la membrane cellulaire.
Visuellement, le mica respire, dilatant ses feuillets et laissant entrevoir les timides tentatives d’union des molécules dans ses saillies. À chaque strate, à chaque étage du mica, s’est probablement déroulé une lutte pour fabriquer les premiers tressaillements de la vie. C’est là, dans un de ces feuillets, que la grammaire des êtres s’est mise en place. Plusieurs fois ? Des millions peut-être, mais il ne nous reste qu’une unique grammaire de la vie : celle qui s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui et qui ébranle chaque cellule et chaque être vivant, et pas un seul fossile ne nous a encore prouvé le contraire.
Texte : © Marie-Sarah Adenis, tous droits réservés.
Lecture : Élise Rigot.
Photo : mica, par Pascal Terjan, CC-By-SA