Extrait de l'émission CPU release Ex0128 : Les sprint des lois.
Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui traine un peu des pieds pour démarrer l'application de cartable numérique le matin.
Parce que, nom d'un caramel mou, qu'est-ce qu'il te casse les bonbons, ce soft métier ! Bon alors, comme la maitresse va encore râler qu'on fait trop du franglais, on va dire logiciel métier
, qu'on qualifie parfois abusivement de progiciel
. Parce que y'avait la syllabe pro
et que ça faisait trop bien en présentant le projet au patron.
Et alors, autant le choix d'un logiciel anodin au sein d'une entreprise peut fortement impacter son mode de fonctionnement, celui d'un logiciel métier peut être encore plus important, car il peut être très rapidement remodelé… mais à condition que ceux qui en sont utilisateurs soient vraiment écoutés, et pas forcément les décideurs qui n'en font qu'à leur tête. Eux qui mettent jamais les mains dans le cambouis numérique.
Oui, thank you, captain obvious
! Mais figure-toi qu'une telle précision n'a rien d'inutile car j'ai déjà vu des trucs boîteux dont tout le monde se plaint, mais à voix basse, sans en référer à la hiérarchie toute puissante. Décisions top-to-bottom.
Alors déjà que dans plein d'organisations et de grandes entreprises, il y a une culture insulaire tellement particulière que les termes usuels sont remplacés par d'autres termes qui ne veulent pas forcément dire la même chose. Tiens, j'ai eu droit à des tickets
pour des réponses à un e-mail
, ou encore une boite réseau
pour un dossier partagé
. Donc, déjà, il a fallut que tu t'habitues à ce sabir qui t'évoque pas du tout ce qui est attendu par tes collègues.
Il existe donc tout une faune cachée dans ce darknet qu'est l'intranet d'entreprise, de logiciels qui ont été conçus pour un usage strictement interne par un groupe très limité d'utilisateurs, et dans un usage très spécifique.
J'ai vu des sociétés qui eurent la suite Lotus Notes installée à la place des clients d'e-mails, parce que le manager a été convaincu par un commercial d'IBM qu'en quelques scripts, il pourrait facilement ajouter les fonctions métiers utiles. Sans se rendre compte que Lotus Notes ajoute son vocable qui ne voulait plus rien dire, et que les process imposés sans liberté bloquaient complètement les traitements de cas particuliers… Finalement, Lotus Notes n'amusait que lui et était haït par tout le reste du personnel, même par son boss. Surtout que ledit boss final a vu passer le montant de la licence annuelle d'IBM.
Alors, qu'est-ce qui peut mener une entreprise ou une organisation à ne pas se contenter de l'existant et de créer son propre logiciel pour un usage purement interne ? Il peut y avoir plusieurs raisons :
- Parce que ton entreprise est sur un secteur tellement particulier, qu'il a besoin de procédures internes particulières. Par exemple, la correction des copies du Bac. Dont le process passe en dématérialisé cette année, et apparemment, la mise en place est loin d'être parfaitement huilée : on vient de découvrir que la suite logicielle de numérisation saute les schémas faits au crayon à papier. Adieu les plans en géo !
- Parce que tu es contraint à des obligations légales sectorielles sur lequel aucun éditeur de logiciel n'a réussi à répondre de manière satisfaisante. C'est le cas pour les cabinets médicaux ultra- spécialisés, les cabinets de notaires et d'autres secteurs où des progiciels existent mais ne sont pas suffisamment spécialisés à ce besoin.
- Parce que tu es équipé de machines outils très spécifiques, qui demandent un pilotage très précis et sur lequel tu as certes des API, mais pas de logiciel clés en mains disponibles, ou insuffisamment complets. Comme par exemple les centrifugeuses d'une centrale nucléaire militaire en Iran.
- Et enfin, tu peux avoir recruté une armée mexicaine de développeurs dont tu ne sais quoi faire, et où tu ne peux appliquer les méthodes habituels de plan sociaux parce qu'ils t'ont déjà gentiment montré que sans eux, la boîte ne tourne pas. Alors tu les mets sur un projet interne qui va les occuper sans qu'ils se rendent immédiatement compte que tu les a placardisés sur un illusoire projet support.
Bon, ce tout dernier cas, je ne l'ai jamais vu. Mais on peut fantasmer, non ?
Alors oui, quand on devient développeur professionnel, il n'est pas rare de se retrouver à utiliser un de ces progiciels maisons, voire même à être employé pour le maintenir. Et parfois, les règles métiers élémentaires ne sont pas parfaitement respectées, car ledit logiciel n'est pas destiné à sortir de l'intranet de l'organisation. Alors la doc, les tests, la qualité du code source... OSEF tant que ça fait le job.
Du coup, le design ressemble à un template bootstrap car il a été fait avec le template de CSS Bootstrap. Y'a du jquery dans le javascript, avec du javascript éparpillé en inclusion brutale dans le code HTML servi… Et l'ensemble du site n'a pas vraiment été fait pour tourner avec autre chose qu'un vieux internet explorer. Parce que tout simplement, la gestion informatique fait qu'on pouvait se permettre d'avoir internet explorer sur tous les postes de l'organisation.
Ça sent un peu la poussière, mais… Ça fait le job.
Et toi, Enfant du Futur Immédiat, tu arriveras là-dedans, et on te demandera de refaire une fonction, d'en ajouter une nouvelle... et tu vas devoir expliquer que ce petit outil maison qui ne fait pas des miracles mais qui faisait très bien son job jusque-là, il mériterait d'y passer non pas des heures ou des jours, mais quelques semaines dessus pour le remettre d'équerre, le moderniser dans le look, donner un sérieux coup de jeune dans son moteur, refaire sa doc et compléter des informations rafraichies, le préparer pour les dix prochaines années à venir pour que l'on puisse se dire dans quelques années oui, il est un peu vieux, mais… il fait le job
.
À mois que d'ici là, un progiciel édité par une entreprise tierce corresponde exactement aux besoins internes de l'entreprise. Et là, il va falloir faire une révolution culturelle, expliquer que les termes ont changés, parce qu'on a mis les vrais termes métiers qu'utilisent les autres entreprises. Ou encore expliquer à un cadre très enthousiaste et pressé que non, le code n'est plus du ressort de l'entreprise, et qu'on ne pourra créer comme ça une nouvelle fonction, qu'il faut regarder ce que l'on peut faire avec l'existant et la documentation.
Et tu verras dans l'œil attristé de certains dirigeants qu'ils n'ont plus ce jouet malléable qui était imprégné dans l'ADN de l'entreprise, et que par là-même, l'organisation n'a plus cette délicieuse petite indépendance, cette culture insulaire, ce… petit truc que les autres n'avaient pas et qui déstabilisait tant les ex-salariés infidèles passés chez l'ennemi, la concurrence, et qui n'y trouvaient plus ce petit outil confortable sur le bureau de leur PC… Le petit service interne qui faisait que l'entreprise avait du génie informatique interne, un vrai progiciel
sur lequel tout le monde pestait (avec plaisir).
Enfant du Futur Immédiat, oui, des fois, il vaut mieux créer que ré-employer l'existant. Mais pas tout le temps. Et il faut garder à l'esprit que l'important dans une entreprise n'est pas forcément de créer des outils internes, mais que leur bon développement soit un support réellement utile à l'entreprise.
Texte : Da Scritch.
Illustration : Icône du logiciel kdevelop, set d’icônes par défaut de KDE4. CC, exagérément zoomé sans anti-alias.