Extrait de l'émission CPU release Ex0130 : Presse informatique.
Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui rafraichit frénétiquement ton site d'info favori, parce que tu n'as pas encore compris l'intérêt du flux RSS, tu me le fait rappeler après que je te montre combien c'est génial.
Oui, le flux RSS était génial, car on avait un journal continuellement à jour, contrairement au papier. Et c'est pas évident de créer un vrai magazine papier.
Entres autres Crimes contre l'Humanité, je dois confesser que j'ai eu la joie, l'adrénaline et le bonheur sadique d'avoir participé au lancement de 3 magazines distribués en kiosques. D'un nombre de pages et d'un format décidé à l'avance, qu'il fallait écrire nombre de pages sur des sujets divers mais connectés pour pas que ta revue ne soit considéré comme une plaquette publicitaire. C'est marrant la maquette, la panique de la page blanche qu'il faut remplir avant 18 h samedi pour que le monteur PAO aie le temps de bosser, en lui fournissant des photos de qualité…
Et crois-moi, car à l'époque je publiais déjà sur internet en écrivant mes balises HTML à la main, la deadline est un exercice aussi stressant que jouissif, et l'immense panique car tu n'est pas sûr que le fichier envoyé à l'imprimeur avait bien toutes les pages dans l'ordre te donne des frissons mémorables.
Tout ça pour donner des informations plus ou moins sérieuses à un lectorat qui va acheter ladite revue, sur des sujets qui me passionnaient.
Quelle chance ! Quelle chance d'être reporter dans son domaine favori. Je serais presque prêt à le faire gratuitement et… ah ben je le fait déjà et même je paie pour t'informer.
Il fut un temps où pour suivre l'information sur l'informatique, il fallait aller chez son marchand de journaux. Et espérer que celui-ci aie Science&Vie Micro, l'Ordinateur Individuel ou Tilt dans ses rayonnages. Au mieux les informations dataient de la semaine précédente. Et c'est tout ce que tu avais : rien à la télé, quasi rien à la radio. Et sinon, les bruits de moquette de la petite boutique informatique du quartier.
Ah si, le mercredi, jour du Canard Enchainé, t'avais Hebdogiciel, le journal satirique et mordant de l'informatique, où des pages de listing de code se disputaient avec des articles parfois assassin. Le dessinateur Carali l'illustrait alors que le fondateur du Psykopat Illustré n'arrivait pas à suivre la micro-informatique [de son propre aveu].
Puis ce fut l'explosion de la micro familiale et de la presse magazine de cette spécialité par ricochet.
Et ladite presse spécialisée arrivait avec à la fois une professionnalisation, mais aussi des cadeaux bonus. On a très vite vu arriver aux États-Unis et au Royaume-Uni des cassettes offerts avec les revues. Puis vinrent les disquettes et les CD-Rom encartés dans le magazine sous blister. Bien souvent, ces médias véhiculaient une collections de logiciels en freeware, mais aussi des versions de démonstrations de logiciels commerciaux.
Alors évidemment, il fallait que l'écosystème de l'ordinateur en question aie suffisamment d'utilisateurs pour que la couteuse production de ces bonus soit décidée.
Acheter un magazine pour 20 francs était bien souvent moins cher que de tenter de télécharger par modem un graticiel un peu imposant. Fais le calcul du temps qu'il fallait pour chopper une démo d'une trentaine de mégaoctets quand t'avais au mieux qu'un modem 56 kbds et que le tarif téléphonique à la minute était à -65 % entre 0h30 et 6h30.
Mais l'inclusion d'un tel contenu avait une contrepartie non dite : impossible de dire du mal de l'application ou du jeu qui était offert avec le magazine. Donc des fois, un gros malaise s'emparait du lecteur quand il essayait ledit logiciel de démo et que l'article décrivait… autre chose.
Puis vint internet, certains journaux papier montèrent un site ouèbe pour faire leur promo, ce qui, pour l’actualité informatique, nous permit d'avoir enfin des nouvelles des États-Unis et du Japon immédiatement, à condition de les lire en VO. Et naquirent sur internet les premiers organes de presse spécialisé exclusivement dédiés à ce support. On les appela les pure players. C'est une autre histoire que je t'ai déjà raconté.
L'arrivée de pure players dans le domaine de l'informatique voulait dire qu'on avait des nouvelles fraîches non plus une fois par mois, mais immédiatement. Sous réserve de disponibilité du site d'information spécialisé Mac les soirs d'annonces par Apple.
C'était fatal : le papier allait disparaitre ! Parce que les services de Presstalis font la distribution coute cher, parce que le papier se périme plus vite qu'une mise à jour de l'antivirus Avast, et que toi-même tu préfère de jolies animations avec du bruit plutôt que des pages avec du texte qui ne bouge pas, so boring… Et tout ça, je t'en a déjà parlé.
On a souvent accusé la presse informatique et celle de jeu vidéo de porter aux nues des produits moyens. C'est faux : c'est le lecteur qui refuse de payer plein pot des articles sérieux et préfère que la publicité lui offre des images chatoyantes à la place.
Et toute la problématique est là : devant l'annonceur qui paie quasiment toutes les factures de ton foyer, comment rester impartial ? comment tenir une équipe de qualité ? comment faire des enquêtes au long cours ?
Enfant du Futur Immédiat, long et ardu est le chemin pour reconquérir l'accès au portefeuille du lecteur. Alors si tu ne veux plus lire que le dernier jeu AAA est forcément génial, que la dernière carte vidéo haut-de-gamme défonce sa reum
en raytracing, ou que le smartphone haut de gamme est The Gizmo to have in your pocket
… Peut être faut-il songer à payer pour une information qui ne soit pas qu'une plaquette publicitaire.
Texte : DaScritch.
Photo : Magazines informatiques dans un kiosque de presse à l'aéroport de Milan, CC-By-SA Luigi Rosa