Extrait de l'émission CPU release Ex0133 : Nintendo, pensée latérale des technologies désuètes.
Costaud, velu et colérique, c'est en 1981 qu'apparait pour la première fois sur les bornes d'arcades la première mascotte de jeu vidéo de Nintendo. Car oui, leur premier personnage emblématique est avant tout un colossal big boss, un méchant intuable et irascible.
La mascotte est Donkey Kong !
Costaud car il est capable de tordre des échafaudages en fer à béton, soulever sans soucis des barils pleins en épaulé-jeté, et ferait dans les 3 mètres de haut. Velu car il l'est et un poil soupe-au-lait. Et colérique car très très très jaloux de la petite amie d'un ouvrier du chantier, au point de rejouer l'enlèvement des sabines.
Il va donner son nom à un jeu d'arcade qui sera un gros carton car la borne Donkey Kong va envahir les États-Unis et l'Europe, permettant de recycler la borne de shoot-em'up Radar scope, qui a pas réussi à séduire les exploitants de salles d'arcades.
Et pourtant, à peine dans les catalogues des distributeurs, sa carrière semble compromise avec un risque de procès pour parasitisme, King Kong venant d'être ressuscité par la Paramount en 1975 avec Jeff Bridges et Jessica Lange.
Donc Shigeru Miyamoto, le créateur de Donkey Kong, va le baptiser d'un nom proche. Sauf qu'il va faire une erreur de traduction entre japonais et anglais, ce que l'on appelle de l'engrish
. À l'époque, il est persuadé que donkey
veut dire têtu
, il va donc l'appeler Donkey Kong, le roi des ânes. Dommage, à une lettre près, il aurait eu Monkey Kong
, le roi des singes… Malgré le fou-rire de l'équipe de Nintendo of America, le nom va rester.
Oui, Donkey Kong est le méchant qui donne son nom au titre du jeu. Sa mission sera d'arrêter des hordes de charpentiers qui s'aventurent sur des échafaudages fragilisés, au mépris du danger, puisque portant une casquette et non pas un casque de chantier BTP certifié NF EN 397. Tout ça parce qu'il est épris de la Lady qu'il a emmené pour un dîner aux chandelles de force sur la terrasse en haut, jaloux comme un poux de l'amour de la belle dame pour l'ouvrier moustachu, Jumpman.
La borne d'arcade cartonnant, le secteur de l'ordinateur familial et de la console de jeu vont démarcher Nintendo pour adapter ledit jeu. Car en 1981, Nintendo n'a pas encore sorti de console de salon à cartouches. Et encore, le mot adaptation
est très gentil, vu le fossé qu'il y a entre la borne d'arcade et les sympathiques petits micros 8 bits. C'est donc en cartouche pour ColecoVision et Atari 2600 que le géant entra dans les foyers, suivi par de multiples adaptations sur les micros de l'époque.
Nintendo fera de son côté une adaptation catchy sur Game & Watch, qui reprend la mécanique du premier niveau du jeu d'arcade. Une console de poche luxueuse à double écran, mais surtout la toute première console Nintendo à proposer le D-Pad, la croix directionnelle, signature des manettes Nintendo.
Mais les Studios Universal n'apprécièrent pas cette création parasite de leur licence King Kong, et comme aux États-Unis, tout fini par des procès, ce fut le départ de longues procédures judiciaires… toutes gagnées par Nintendo car le nom de King Kong n'appartenait pas à Universal. Et ça, suite à un procès initié par Universal eux-mêmes concernant le film de 1975, les opposant à Paramount, RKO et les héritiers de Merian Cooper, créateur originel du personnage.
Oups.
Une longue procédure menée par l'avocat américain de Nintendo, John Kirby, dont Nintendo aurait voulu lui rendre hommage en donnant le nom de Kirby à un de ses personnages.
L'ennemi de Donkey Kong, Jumpman, obtiendra sa carte verte sous le nom de Mario avec son frère Luigi, qui montèrent une PME de plomberie. Ils officièrent dans le Royaume Champignon avec une tenue plus casual, et Mario fera chavirer le cœur de la princesse Peach. Ce qui est à peu près aussi improbable qu'un roi de France devienne serrurier, ou un prince british épouse une actrice d'une série américaine mineure.
Mais je m'égare au gorille…
Donkey Kong va malheureusement se retrouver au chômage, le créneau de la demoiselle en détresse lui ayant été ravi dans Super Mario Bros par Bowser, tortue dinosaure du type Kaiju koopa si j'en crois la classification de Linée.
Il retrouvera un emploi après un stage qualifiant de l'ANPE, le Pôle Emploi de l'époque, habillé d'une cravate, mais encombré de son gamin venu en stage d'observation de 3ème avec une casquette de rapeur.
C'est Kevin Bayliss qui a créé le style graphique du jeu Donkey Kong Country sur SNES pour le studio Rare ; ses sprites ne sont pas dessinés, mais rendus et animés en 3D sur un station Silicon Graphics. Résultat : un look et une fluidité exceptionnelle pour l'époque, et une notoriété qui permettra à Donkey Kong de décrocher un poste de speakerine sur France 2. Donkey Kong continuera sa vie vidéoludique avec Donkey Kong 64, Donkey Conga, Donkey Kong Jungle Beat et j'en passe.
Il tape sur les congas, ça agace le voisin (bis)
La borne d'arcade originale fut maintes fois émulée, ou ré-écrite, mais ce n'est qu'en 2018 que Nintendo proposera une version officielle réellement basée sur le logiciel de la borne d'arcade. C'était du temps où Mario était charpentier, Donkey Kong ne portait pas encore la cravate, et n'avait pas suivi des stages d'anger management pour sa reconversion professionnelle.
Est-ce que le 22ème niveau est toujours le kill screen du jeu ? Ça, c'est à vous de le découvrir. Tout comme l'excellent documentaire « The King Of Kong » narrant l'impitoyable concurrence entre retro-gamers américains pour obtenir le high-score absolu sur cette borne d'arcade. Car le vrai ennemi de Donkey Kong, ce sont ces acharnés qui depuis 40 ans, tentent d'obtenir le score parfait, à coup d'équations, de réflexes au centième de secondes et de tricherie éhontée.
Tu m'étonnes que le grand singe soit un poil énervé.
Texte : Da Scritch
Illustrations musicales : gameplay de la borde d'arcade Donkey Kong, bande annonce du film « King Kong » (Paramout, 1975), gameplay de Donkey Kong Country, jingle de l'émission DKTV sur France 2
Illustration : Donkey Kong, portrait CC-By-NC Thanh Nguyen, détail