Extrait de l'émission CPU release Ex0136 : Traitements du son.
On a vu, le son est parfois recrâdé en studio par abus des technologies de traitement. Pourquoi teinter aussi le son ? On a tout fait pour l'avoir le plus pur, et là, on va le salir volontairement ?
Un peu comme ce putain de désentrelaceur, un trucage vidéo utilisé pendant 30 ans dans les lives musicaux à la télé française pour donner un cachet cinéma
, Gérard Pulliccino a introduit et abusé de cet engin dans l'émission Taratata, et toutes les autres émissions de variété ont fait de même. Alors qu'à la base, on a une perte de qualité de l'image.
Mais je ne jetterai pas plus la pierre. Je vais la poser là, et je vais bâtir mon argument.
Dans l'espace naturel de la conversation, à l'écoute, il y a le son pur, et il y a ses réflexions. Soit des réflexions par des obstacles très proches, ce qui prolonge le son, donnant ce que l'on appelle une réverbération, ou reverb
quand on se la pète in english. Soit des réflexions très distinctes par des obstacles très distants, ce que l'on appelle un écho, ou echo
quand on se la pète in english.
La reverb et l'écho sont donc exactement le même effet, mais avec des paramètres différents. Et pour un local fermé de prise de son, ils en définissent l'acoustique du lieu, si on ajoute l'isolation des sons extérieurs.
Si on peut construire en dur un studio, radio, cinéma ou d'enregistrement, un lieu dédié à la prise de son qu'on appelle en anglais un sound stage
, en plus d'avoir la meilleur isolation phonique possible des bruits extérieurs, on fera en sorte d'avoir les murs les plus mat
possible. Je ne parle pas de la peinture puisqu'on met de la mousse, afin d'étouffer au maximum les échos venant de l'intérieur… Qu'on mesure avant tout prise d'un claquement de doigt.
Blague à part, l'acoustique se mesure avec un tuyau d'orgue, un sonomètre et un chronomètre. Mais tout le monde n'a pas ça sous la main pour mesurer la réverbération d'une pièce.
D'ailleurs, on devrait éviter autant que possible les grandes baies vitrées ou les murs d'écrans. Bon après, c'est aussi un parti-pris esthétique cette impression d'enregistrer depuis les chiottes, mais une heure complète d'émission comme ça vous cassera vite les oreilles.
On va plutôt avoir des murs avec des espèces de sculpture de bois ou de la moquette. D'ailleurs, le tapis persan sous la batterie d'un groupe de rock n'est pas là pour rendre hommage au morceau « Kashmir » de Jimmy Page et Robert Plant, mais pour éviter la réverbération des instruments avec le sol et que les coups de caisse fassent vibrer les autres micros.
Mais le son est alors trop étouffé, ce qui le rend artificiel à l'oreille. Car votre oreille, ou plutôt votre cerveau, va chercher inconsciemment les sons réfléchis par les surfaces, afin de localiser la source autour de nous, ou imaginer d'où vient la voix. Et faute d'écho, votre processus d'écho-location en tâche de fond va faire une division par zéro, ce qui peut être perturbant.
Après tout, que serait un enregistrement d'un orgue sans le fantastique volume intérieur de la cathédrale St-Étienne. Et ça serait bête de ne pas profiter de la basilique St-Sernin, pour enregistrer des chœurs avec sa nef de 115 mètres de long et une voûte de 21 mètres de haut.
[[ Enregistrements effectués dans lesdits lieux avec la bénédiction l'aimable autorisation des autorités ecclésiastiques respectives. ]]
Donc, pour redonner de la brillance à la prise de son, certains ingénieurs du son ajoutent une réverbération artificielle, un écho.
Avant, on faisait ça avec un haut-parleur et un micro isolés dans une pièce. Pierre Tchernia racontait qu'à l'ORTF dans les années 1950s, il ne fallait pas tirer la chasse des toilettes durant une pièce dramatique en direct, sinon c'était les chutes du Niagara à l'antenne. Quand la Maison de la Radio fut construite, ils ont séparés la chambre d'échos et les WC. C'était plus pratique.
Avoir des horaires pour aller aux toilettes… un système tellement à chier qu'on dirait l'organisation de Radio <FMR>…
Pour les échos plus long, on a aussi utilisé des magnétophones avec une boucle magnétique courte, mais l'écho reste sec et manque de réverbérations, de sons reflétés de multiples fois.
On peut aussi tendre un ressort devant un haut-parleur pour faire une reverb. Ce type d'instrument revient actuellement à la mode chez les musiciens électroniques, et cela donne un tout autre son aux synthés. Merci Toxic Avenger pour la démonstration.
On peut aussi décider que la brillance, le fait que la pièce n'aie pas un son totalement mat, sera un choix volontaire et même travaillé. Les grands studios de prise de son de musique ont des salles qui ne sont pas mats mais ont une acoustique particulière, des réverbérations spécifiques en fonction du style recherché, pour les orchestres symphoniques, les formations de musique de chambre, les groupes de jazz.
La plupart des multi-effets de studios proposent des réglages d'écho ou de reverb. Selon qu'on fait une réflexion du son par un mur émulé à moins de 50 cm ou de plus de 50 m. En général, quand l'engin d'un tel type d'effet est cheap, eh bien cela s'entend tout de suite. À moins de ne pas utiliser de presets et d'être très patient obtenir ce que l'on veut.
À l'inverse, comme le son voyage à 340 m/s, dans les grandes salles de concert, le spectateur peut ne pas avoir un son suffisamment clair, soit à cause du brouhaha du public, soit de la reverb naturelle de la salle. Et du coup, au fond d'une salle, vous aurez un son moins clair qu'à côté de la façade, la pile de hauts-parleurs à côté de la scène. C'est la règle de dispersion de l'énergie : si vous êtes à 2 m ou à 10 m d'un feu de cheminée, vous ne ressentirez pas la même température.
Pour y palier, lesdites salles de concerts peuvent s'équiper de hauts-parleurs supplémentaires à une certaine distance de la scène. Ceux-ci diffuseront le même son qu'en façade, mais retardé de quelques millisecondes, selon sa position en fonction de la scène. Et croyez-moi que pour éviter des interférences genre annulation de phase, le réglage est vraiment touchy. Vraiment.
C'est le cas de salles de concerts particulièrement bien équipées et conçues, comme par exemple à Toulouse, le Bikini. Parce que in Bikini, dura rock.
Seul le texte est en licence Creative Commons, le sonore est © Radio <FMR>.
Texte : Da Scritch.
Illustrations sonores : jingle cinéma pour Canal+ par Michel Jonasz, Philippe Eidel et Arnaud Devos, Led Zeppelin « Kashmir »,
Photo : Enregistrement d'une voix de cette chronique à la Cathédrale St Étienne, le 11 Mars 2020, CC Da Scritch