Extrait de l'émission CPU release Ex0136 : Traitements du son.
Souvent des audiophiles autoproclamés vantent la pureté du son sur les enregistrements de musique classique, ou plutôt de musique savante.
Ils n'ont pas tort.
Dans un orchestre, on a une très vaste gamme d'instruments, chacun ayant un timbre et un volume sonore particulier, qu'un amateur s'attend à retrouver distinctement dans sa nuance ; des caractéristiques qui signent à la fois la formation instrumentale, le jeu des musiciens et la direction du chef d'orchestre. Donc les prises de sons sont extrêmement soignés, comme les mixages, et on y note une quasi absence de traitement audio pour embellir le son
.
Mais peut-être que nos amis audiophiles ne savent-ils pas que les enregistrements des partitions d'avant 1920 sont sûrement faites dans une tonalité qui n'est pas forcément celle voulue par le compositeur.
Avant d'aller plus loin, je vais décrocher ce vieux téléphone en bakélite agréé France Télécom. Si vous avez un peu fait de la musique et cherché à accorder une guitare, vous savez que ce son qu'on entendait est un La. Pour les plus techniciens, cette Tonalité à Invitation à Numéroter
est à 440 Hz.
Sauf qu'à travers le temps et selon les régions, la note La a varié en fréquence. Grace à Patrice Bailhache et son (passionnant) « Histoire de l'acoustique musicale », je peux vous faire écouter le mouvement de cette note.
Lors de son inauguration en 1495, l'orgue de la cathédrale de Halberstadt en Allemagne, a un La fixé à 506 Hz. En 1688, celui de l'Église Saint-Jacques à Hambourg est fixé à 489 Hz. Alors que 12 ans après, le La était accordé à Paris vers les 404 Hz, note found, donc (désolé, elle était facile). Bref, le diapason avait une fourchette assez large selon les régions.
Au XVIIème siècle, la Musique baroque avait un La situé vers les 415 Hz, mais là aussi, cette fréquence variait suivant les pays.
Il était même fréquent que chaque orchestre aie son diapason, et donc ses fournisseurs exclusifs d'instruments. En fait de diapason, l'orchestre s'accordait selon la tonalité du hautbois, un instrument dont le son varie suivant la température, l'humidité, l'usure de la hanche double et la musculature des lèvres (je ne déconne même pas : j'en ai joué).
Même si les grands voyages étaient rares avant les chemins de fers, cette diversité de tonalité devait sûrement mettre en rogne quelques rock-stars en tournée Européenne comme Mozart ou Verdi.
Et justement, le premier qui a imposé une standardisation de cette note fut Guiseppe Verdi, qui fit définir la vibration du La à 432 Hz dans une loi de la toute jeune République Italienne en 1884. Une note qui fut adoptée par la France et l'Espagne, mais que d'autres pays refusèrent non seulement pour des raisons artistiques mais aussi… politiques, les Allemands étant calés sur 440 Hz, la tonalité dite de Stuttgart
, en référence à une conférence de 1834, qui se basait sur les travaux de Johann Heinrich Scheibler, un fortuné marchand prussien à la fois audiophile et inventeur du tonomètre.
C'est l'internationalisation des orchestres, la possibilité d'enregistrer les interprétations et le courant électrique alternatif qui a mené à une standardisation internationale de cette note La sur la troisième octave, dont la fréquence fondamentale a été fixée internationalement à 440 hertz en 1939.
On imagine très très bien l'impact économique d'un tel standard, non seulement sur la fabrication des diapasons, mais aussi sur les facteurs d'orgues, les fondeurs de cloches, les facteurs d'instruments à vent… et j'en passe. Ainsi, les pianos Steinway étaient livrés avec un La sur 457 Hz à la sortie d'usine. Et quand on sait la difficulté et le temps que met un accordeur à régler un piano, vous avez intérêt à vous accorder sur la note fondamentale au moment du devis. Ces différences de tonalité de base peuvent mener à des soucis insoupçonnés quand, pour préserver la voix d'un ténor, un orchestre doit changer la hauteur de son La, et donc doit racheter tous les instruments à cuivre, qui, eux, sont accordés en dur
dans le hardware.
En mai 1939 donc, dans les locaux de la BBC, eut lieu une conférence internationale qui impliquait à la fois des orchestres, des fabricants d'instruments, des ingénieurs du son et des électroniciens. La question était non seulement de définir un La internationalement, mais aussi de faire en sorte que le courant de porteuse électrique, qu'il soit à 50 ou à 60 Hz, ne perturbe pas la prise de son, ou soit facilement isolable sans modifier les notes.
La fédération britannique des accordeurs de pianos avait dicté un standard national de 439 Hz. Mais un ingénieur fit remarquer que 439 est un nombre premier. Alors que 440 est un nombre factorisable, 2 × 2 × 2 × 5 × 11, donc plus facile à manipuler, donc une fréquence plus facile à synthétiser avec l'électronique de cette époque.
C'était l'une des dernières décisions internationales avant la Seconde Guerre Mondiale.
Et vu à la fois l'année de cette standardisation (1939) et le pays l'ayant déjà adoptée, (l'Allemagne), c'est hallucinant le nombre de théories du complot circulant sur internet prétendant que les Nazis ont fait un coup de force pour contrôler le cerveau humain avec des sonorités occultes. Je ne vous donnerais aucun lien : c'est affligeant.
Revenons plutôt au corps du sujet.
L'American National Standards Institute (oui, cet ANSI-là) en avait fait un standard industriel pour les États-Unis en 1936 et L’Organisation internationale de normalisation publiera en 1955 la norme ISO-16.
Alors, cela ne vous a pas échappé que cette standardisation du La à 440 hertz est contemporaine de la popularisation du Theremin, premier instrument électronique qui, par nature, n'a pas de note fixe. Le besoin de se révolter face à ce conformisme et les nouvelles possibilités de l'électronique allaient être les germes de la musique contemporaine…
Et si vous pensez que le La est désormais constant car standard, eh ben je vais vous décevoir : des enregistrements montrent que des musiciens continuent à avoir leur fréquence du La. Et pas uniquement par flemme d'accorder leur guitare, cela peut être pour respecter l'esprit du compositeur de l'œuvre musicale classique ou aussi pour chercher une tonalité différente. John Lennon et Prince préféraient se caler sur 432 Hz. Et pour le Love Symbol de Minneapolis, je serais curieux de savoir comment il reréglait ses synthétiseurs.
Et des fois, cette fréquence non standard n'est pas volontaire. Le groupe Kraftwerk avait un souci récurrent durant leurs concerts dans les années 1970 et 1980 : la fréquence de l'alimentation électrique de la salle de concert pouvait varier, pour peu que le restaurant à côté allume ses fours ou que l'usine du quartier s'arrêtait, ce qui pouvait changer la tonalité mais seulement d'une partie des instruments : ceux qui sous-divisaient leur générateurs de fréquence depuis le 50 Hz, ou encore les moteurs pas-à-pas des magnétophones et des tourne-disques.
Il arrivait aussi qu'on ajuste la justesse de la note pour s'accorder à la personne fortunée qui chante. Ici, Madame Florence Foster Jenkins qui assassinait Mozart dans la joie, persuadée qu'elle avait une voix exceptionnelle.
Son pianiste était fort bien payé, et depuis, on a inventé le vocodeur.
Seul le texte est en licence Creative Commons, le sonore est © Radio <FMR>.
Texte : Da Scritch.
Illustrations sonores : Megadeth « Symphony of destruction », banque sonore Audivis Tempo par Radio France, Math.sin(𝘹), Florence Foster Jenkins « Reine de la nuit »
Photo : diapason, CC Pierre Guinoiseau, détail retourné