Extrait de l'émission CPU release Ex0155 : Cyberpunk.
Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui te demande pourquoi je regarde discrètement derrière moi avant d'insérer cette disquette.
Eh oui, encore une fois, ma paranoïa aiguë est revenue au galop, parce qu'aujourd'hui nous allons te parler d'un genre très particulier de science-fiction. Dans la branche hard-science, famille dystopie, j'appelle le genre cyberpunk, une protoculture qui a influencé les ados des années 1980s, les mêmes qui maintenant codent et conçoivent des objets connectés. Et j'en sais quelque chose : Le cyberpunk fut ma littérature de mes premiers émois adolescents sur un Amiga, une Silicon Graphics et un Cray XMP (oui, moi aussi, j'ai gravé sur chrome
).
L'œuvre qui va marquer toute une génération et lancer le cyberpunk est un film, « Blade Runner », une adaptation très infidèle mais géniale d'une nouvelle de Philip K Dick. La vision construite par Ridley Scott va illuminer les auteurs, et le plus novateur d'entre eux, William Gibson.
Ce film est avant tout le tournant après la décennie 1970s, où le Nouvel Hollywood
s'est lâché avec une science-fiction particulièrement noire : « Colossus : The Forbin Project » (« Le cerveau d'acier »), « Soylent Green » (« Soleil Vert »), « Rollerball » et « Westworld » (« Mondwest »), des visions particulièrement amères de l'avenir construit par les humains, où la technologie ne les sert plus, mais donne priorité à d'immenses multinationales particulièrement hostiles aux individus. Des dystopies où des fragments de civilisation décadente s'asphyxient lentement dans leur superbe, deux secondes avant une quelconque apocalypse.
Arrive donc en 1982 « Blade Runner » qui dépeint un 2019 poussiéreux, noir, usé, où les pluies acides tombent continuellement sur une foule de parias cosmopolites qui hantent des trottoirs ne voyant jamais le soleil.
Le même mois où sort « Blade Runner » dans les salles obscures arrive un autre film qui va lui aussi sculpter ce genre de science-fiction, « Tron ». Et lui, il va parler de l'humain qui va plonger dans les univers virtuels jusqu'à en dissoudre son corps. Il va définir graphiquement les réseaux informatiques où se jettent les netrunners
pour échapper au poisseux monde physique. Mais l'univers infographique est à peine moins glauque que celui de chair et de sang.
Comme le dit l'intro de la série britannique « Max Headroom », contant l'histoire du premier présentateur télé complètement virtuel : Nous sommes 20 minutes dans le futur
. Il n'y aura pas de guerre contre les IA, car les humains paient pour se déshumaniser.
Enfant du Futur Immédiat, tu es sûrement encore trop jeune pour lire ce qui était publié dans la mythique revue Métal Hurlant, parce que c'était tellement gratiné dans le genre orgiaque que ton papa n'acceptera de te passer les BD que dans 10 ans. Et le dessinateur italien Liberatore qui publiait à côté [dans l'Écho des Savanes] va aller un ton au-dessus avec sa bd « Ranxerox », contant les déambulations d'un cyborg hyper-violent qui s'éprend d'un être de chair dans une débauche de drogues et de câbles haut-débit. Et ces visions seront amplifiées par les dessinateurs et réalisateurs japonais comme Otomo Katsuhiro (le créateur d'« Akira »), Shirō Masamune (le créateur d'« Appleseed » et de « Ghost in the Shell ») ou Yoshiaki Kawajiri (le réalisateur des « Cyber City Oedo 808 »).
Comme disait Jacques Goimard quand il était directeur de collection chez Pocket SF :
Le Cyberpunk, c'est un polar avec des boulons.Le remix de « L.A. Confidential » avec des newsgroups usenet et des drones de surveillance armés. Un monde à anti-héros, vivant dans les bas-fond, où les junkies améliorés technologiquement, sont prêts à se connecter à n'importe quoi tant qu'ils pourront payer leur dose.
Que serait cyberpunk sans drogues ?
La réponse est bien connue :
Beaucoup plus sain.
Quoique... des nations mourantes, remplacées par des mégapoles tentaculaires dirigées par des multinationales, des zones de non-droit mais toujours avec connectivité. Y'a de quoi se farcir d'antidépresseurs aux opiacés de synthèse.
Mouais...
J'ai repris le jeu de rôle édité par Talsorian en 1988 « Cyberpunk 2020 », qui compilait bien le gestalt de cette ambiance, et j'ai voulu voir ce qu'il en est, dans notre année 2020. Et en soit, notre réalité n'en n'est pas si éloigné : regarde les files d'attentes devant les Apple Store pour chaque nouvel iPhone, regarde l'économie des petits auto-entrepreneurs qui pédalent sur commande d'une app pour livrer de la junk-food, regarde la rapacité de certaines méga-usines pour influencer les élections sur d'autres continents, et regarde ces entreprises louches qui revendent des outils de surveillance policières à des narcotrafiquants…
Si tu manques des éléments, pas de soucis, tu retrouveras les références sur la page web de l'émission cpu.pm/0155
. Tiens, c'est marrant, le web n'existera que plus tard, mais les auteurs l'ont parfaitement décrit. Durant cette heure dans ce futur alternatif, nous te parlerons de ces œuvres non pas sur leur intrigue, mais sur les univers qu'ils ont construit, de ce que décrit le genre générique cyberpunk
. Nous ferons plutôt un bilan de ce qui y a été prédit, et de ce qui finalement a eu lieu.
Aussi bien technologiquement, que politiquement.
Enfant du Futur Immédiat, ne fait pas comme ton tonton junkie qui branche cette fibre sur la colonne vertébrale, la braindance n'est vraiment pas recommandée pour se faire des vieux os.
Texte : Da Scritch
Illustration musicale : Vangelis « Blade Runner (end titles) »
Sonore © Radio FMR
Photo : Sculpture par Chromatix, artiste permanent de Mixart-Myrys, CC-By Da Scritch.