Extrait de l'émission CPU release Ex0158 : Du VideoLAN à VLC.
Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui ne te rends pas compte combien il est facile à notre époque moderne de lire une vidéo sur n'importe quel ordi.
Parce que oui, on revient de très loin, où regarder une vidéo n'a pas été évident du tout.
Moi-même, le quasi-boomer, j'ai eu droit aux cassettes VHS importées d'Angleterre, des États-Unis ou du Japon qui n'étaient pas du même format vidéo, et donc illisibles sur un magnétoscope de salon VHS acheté en France. Et, j'en ai déjà parlé, les plus riches avaient aussi leurs galères avec leur Laserdisc, où là, tout ne tournait pas forcément à la même vitesse.
Puis vint internet et des ordinateurs personnels assez puissants pour enfin lire du son haute-qualité et des vidéos… qualité VHS.
Sauf qu'on était pas du tout au bout de nos surprises : les vidéos marchaient rarement partout. Il fallait installer un lecteur vidéo, un de plus. Quasiment à chaque fois différent : Window Media, Quicktime, Real Media, ASF, DivX, et j'en passe… On découvrait souvent que le format de fichier AVI n'était pas un format vidéo, mais un format conteneur, et que donc la vidéo et l'audio pouvaient avoir été encodés dans un format plus ésotérique.
Bref, avant de lire une vidéo qui t'a été pointée par un ami, avant même d'avoir lancé le téléchargement, tu savais qu'il y avait une chance infime de passer moins de temps à paramétrer correctement sa lecture sur ton ordi personnel qu'à la regarder tout court.
Comment ça, je suis de mauvaise langue ? Mais même pas ! C'est du vécu : Au début des années 2000s, entres autres Crimes contre l'Humanité, je produisais pour une chaine de télévision du contenu type zapping du web
… Tu vois, le truc bateau qui coûte pas grand chose à produire pour remplir une grille télé avec un budget riquiqui, en allant piller à gauche à droite du contenu sans le payer (et attention, je vous le rappelle les enfants : le piratage , c'est mal).
Ben au bout d'un mois à ce régime à regarder professionnellement des vidéos de bonhommes bâtons qui rejouent de prestigieuses scènes de baston kung-fu, j'avais quasiment installé une dizaine de players vidéos sur mon PC professionnel et facile plus de 300 codecs audio ou vidéo. C'est là que j'ai appris le concept de flux de production audiovisuel en entrée, avec la normalisation des contenus avant de les préparer pour le montage vidéo lui-même sur un banc de montage professionnel et pourtant totalement informatisé. Eh ben même là, on y arrivait pas, donc on enregistrait sur cassettes DV mon ordinateur avant de renumériser la vidéo sur le banc de montage !
J'ai découvert que même au sein d'une même marque et une même génération d'appareils enregistreurs de la vidéo-surveillance, on n'avait pas forcément des codecs compatibles.
En plus, Enfant du Futur Immédiat, j'étais sous Windows, donc pas avec une source unique de logiciels, et forcément en cherchant des codecs sur des sites douteux, j'avais téléchargé des programmes bien vérolés que l'antivirus de l'entreprise était incapable de correctement voir. Je te dis pas le désespoir de mon directeur de la sécurité informatique qui n'avait pas le droit de m'empêcher d'installer des logiciels… et par la même mon propre désespoir car un jour dans ma semaine de travail était exclusivement consacré à la remise au propre par mézigues de mon Windows 2000 Professionnal.
Et le pire est que les professionnels ont leurs propres format vidéos dits broadcast
ou cinéma
, parce que les applications industrielles de multiplex ne sont pas les mêmes que celle en usage familial de marrantes vidéos chopées dans les liens idiots du dimanche.
Par exemple, savais-tu que les projecteurs numériques des salles de cinéma professionnels utilisent un format vidéo spécifique, le DCP (Digital Cinema Package) ? Et évidemment, ces codecs ne se trouvent pas facilement dans la logithèque du monde du libre. Sauf quand y'a des gens qui estiment qu'il y a besoin de les implémenter et qu'ils y mettent beaucoup de temps, d'intelligence de sueurs et de larmes.
Grace notamment à Rodolphe Village du cinéma Utopia à Tournefeuille, et Nicolas Bertrand qui en a fait sa thèse CIFRE, le lecteur vidéo VLC peut prendre en charge le format vidéo DCP. Ce qui est très utile pour les petits cinémas itinérants ou ceux de campagne quand ils n'ont pas les moyens de se payer les très coûteux équipements de projection vidéo professionnels.
Oui, tous les cinémas n'ont pas forcément droit aux subventions d'équipement du CNC : En 2017, j'ai été invité dans un petit cinéma dans le très charmant village de Prémian, dans l'Hérault, pour une soirée de sensibilisation à la sécurité informatique dans la salle de cinéma municipale. Et en discutant avec nos adorables hôtes, j'ai appris que leur cinéma chéri, l'unique salle de projection à 30 km à la ronde a été rénovée par l'énergie des bénévoles, sans un kopek de financement du CNC car la salle n'a pas assez de hauteur sous plafond. Sympa pour le désenclavement des habitants qui n'avaient qu'un ADSL famélique à 128 kbauds. Et en 2017, faute de Netflix ou même du replay d'une chaine télé, la majorité des habitants allait se distraire sur grand écran, mais le projecteur asservi au PC portable ne pouvait envoyer les fameux fichiers DCP.
Vu qu'ils utilisent VLC, et même si actuellement la salle est fermée avec la crise sanitaire, je pense qu'ils peuvent enfin utiliser ces fameux fichiers DCP, ce qui facilitera les relations avec les distributeurs de films.
Eh oui, VLC sert aussi pour le très grand écran, le silver screen !
Oui, là aussi, on a un très bel exemple de contribution au logiciel libre, même si je ne pourrais lire avec le prochain James Bond retardé de plus d'un an, pour des raisons qui n'appartiennent qu'à Hollywood la babylonnienne et le MPEG-LA. Entres autres. Et les codecs à brevet sont un sujet récurrent, comme nous en avions parlé sur leur coût d'usage.
Enfant du Futur Immédiat, oui, lire une simple vidéo pouvait vite devenir l'enfer, si un logiciel universel, orange, conique, et disponible sur tous les OS ne permettait pas de le faire… et encore… je ne t'ai pas parlé des DRM.
Texte : Da Scritch
Illustration sonores : Éric Aufière - Best of web (habillage pour 123sat), Michel Jonasz - Tchi taa Cinéma, fanfare 20th Century Fox
Illustration : Common logo for VideoLAN projects, an illustration by Richard C. G. Øiestad of Furu systems of a traffic cone.