Extrait de l'émission CPU release Ex0159 : Légendes confidentielles du minitel, première partie.
Monsieur X, comment fut accueilli le terminal dans les foyers français ?
Quand le Grand Public eu vent des premières rumeurs pendant les stades d'essais… Il y eu beaucoup de scepticisme.
Pas uniquement parce que c'est dans la définition même du Français face à la nouveauté, non… pas que ça…
Dans les années 1970, l'image du téléphone en France est alors… rustique
, dirions-nous.
En 1978, il faut un an pour le futur abonné entre le moment où il passe commande d'une ligne téléphonique, et le moment où cette ligne arrive chez lui. Et ceci malgré les signatures du chef de poste, du responsable de service communal, du sous-directeur de canton, et du directeur départemental, donc la voie hiérarchique à la française n'est pas en cause, puisque même aider par de discrets versements à huiler la machine à décision n'accélérait pas le câblage.
Cette lenteur d'ouverture de ligne classait mondialement la France, en célérité d'équipement téléphonique, derrière le Congo Brazzaville, mais heureusement, devant l'URSS.
Avouez qu'il aurait été malvenu que le futur usager reçoive par colis La Redoute son minitel tout neuf plus de 6 mois avant d'être enfin raccordé au réseau téléphonique…
Donc une accélération des mises en ligne fut faite dans la deuxième partie des années 1970s, afin d'éviter le ridicule. On a même fait appel à des électriciens pour tirer des lignes téléphoniques.
Les décideurs voulaient aussi éviter un fiasco lors du lancement du Minitel. Ils ont du coup multiplié les expériences de terrain, comme celle de Vélizi ou en Alsace, ce qui retarda d'autant le lancement national pour 1983, soit le deuxième septennat de Valéry Giscard d'Estaing. Ce qui frustrait un peu le président sortant, car il aurait aimé que tous les foyers eussent cette pièce de technologie française au moment de sa ré-élection.
Bon euh donc… euh… d'ailleurs, que veut dire Minitel
?
Le Ministère de l'Industrie avait chargé l'agence Havas de la recherche du nom. Alain Minc était pris par une tournée d'été sur la Côte d'Azur, donc injoignable.
Minitel
est l'acronyme de Médium interactif par numérisation d'information téléphonique
. Puisqu'à l'origine, les créatifs de l'agence avaient compris qu'il ne servira que pour la consultation de l'annuaire téléphonique.
N'oublions pas qu'à l'époque, l'annuaire distribué gratuitement aux abonnés du téléphone n'est que l'annuaire de son département. S'il est limitrophe d'un autre, ou s'il a besoin d'un numéro d'un abonné qui est arrivé en cours d'année… eh ben… il lui reste les renseignements téléphoniques, où parler à l'opératrice coûte assez cher.
Donc, oui, le Minitel
, rien qu'avec cet usage, aurait été révolutionnaire. Mais c'est dire le manque de vision sur cet appareil.
En tout cas, cela donne l'idée d'une puissance informatique accessible, proche, portable voire même trimbalable… Le terme véhicule une idée positive.
Les constructeurs qui planchaient dessus le maudiront !
Le nom leur mettait une pression supplémentaire : les industriels devaient réduire encore la taille de l'engin. Le choix du nom les obligea à abandonner définitivement les logiques de tubes à vide pour des micro-processeurs.
Ils durent du coup faire appel à des designers pour concevoir un appareil compact, monobloc et souvent chamarrés. Heureusement, bien de ces modèles concepts ne furent pas produits en masse : trop chers.
Pendant ce temps, Alain Minc était revenu de la tournée du podium Europe 1. Dans sa légendaire inspiration lyrique, il inventera le terme télématique
dans son rapport de 1978. Lequel terme précise bien que l'accès à l'informatique pour les foyers ne se fera qu'en mode terminal via de gros ordinateurs centraux.
En gros, Alain Minc, ce génie visionnaire, avait parfaitement compris ce que seraient Google, Apple et Facebook à notre époque : des terminaux à prix ridicule, mais dont l'intelligence réside dans des serveurs installés dans des bâtiments inaccessibles au public, et dont programmation et administration sont aux mains d'une élite hautement qualifiée.
Quel génie !
Oui, une fois de plus.
Il a été très troublé par Mai 1968, et il était évident pour lui que le seul moyen de garder le pouvoir sur les foules était de leur proposer des outils informatiques les plus minimalistes possibles.
Et de limiter la création par un débit asymétrique pour réduire l'ardeur des masses populaires à trop s'exprimer, d'où les 75 bauds en sortie.
Encore une fois, le triomphe du télécom plutôt qu'un réseau informatique comme celui de Cyclades.
Mais bon, je radote.
Oui, je vous confirme.
Texte : Da Scritch
Interprété par DuSport et Monsieur X
Photo : Premier prototype de Terminal Annuaire Électronique (TAE) proposé par CIT-Alcatel en 1979, via l'excellent site Historique de la Télématique, D.R.