Extrait de l'émission CPU release Ex0159 : Légendes confidentielles du minitel, première partie.
Dans le cadre des célébrations du quarantième anniversaire du minitel, Radio <FMR> et la rédaction de l'émission CPU a souhaité se pencher sur l'histoire de cet appareil qui a marqué l'entrée dans les familles françaises de l'informatique industrielle. Durant nos recherches sur le sujet, nous avons découvert des documents extrêmement intéressants et rares. D'autant plus que certains semblent parvenir d'archives de certaines administrations très sensibles.
Souhaitant recouper nos sources, nous avons pu prendre contact avec une personne haute placée dans un ministère, qui a été chargée des affaires sensibles liées au Minitel.
Monsieur X, puisque nous l'appellerons comme ça pour protéger son identité, a bien voulu sortir de son silence et de sa retraite pour nous confier des informations encore classées secret liste rouge.
Malgré le confinement, c'est dans un café des grands boulevards parisiens, qu'il a fait ouvrir exprès pour cet entretien, que j'ai pu interroger Monsieur X. Sa voix a été modifiée pour des raisons de confidentialité.
Monsieur X, merci de cette entrevue, vous tenez à ce que votre identité reste secrète.
Oui, mais déjà, je pense qu'il sera facile à certains services de me retrouver avec ce pseudonyme, hélas.
À cause du X
?
À cause de Monsieur
…
Ah oui, houla !
Entrons dans le sujet, si vous le voulez bien. Qu'est-ce qui a motivé la création du Minitel et qui l'a décidé ?
Tout a commencé par le Plan Calcul à la fin des années 1960. L'idée était de concurrencer les américains sur les ordinateurs en montant des champions souverains de l'informatique. Et surtout de rester autonome quant au support de notre arme atomique. Le général de Gaulle avait été très clair là-dessus : nos missiles dirigés sur Washington ne servent à rien si nos calculettes pour les lancer viennent de chez IBM ou de Hewlett Packard. Nous verrons combien le minitel est lié au plateau d'Albion.
Vous envoyez du lourd ! Mais franchement, je ne vois pas le rapport…
Un ordinateur fait très vite des calculs très complexes, notamment des calculs de balistiques. Il est aussi le garant qui fait que quand un ordre est envoyé, celui est exécuté sans état d'âme.
L'un des grands problèmes est qu'un ordinateur tout seul ne fait pas grand chose. Il déploie vraiment sa puissance en échangeant avec les terminaux et les autres ordinateurs. Construire des géants nationaux de l'informatique passera donc par des dorsales de communication pour relier entre eux les différents centres de calcul.
Au milieu des années 1960, un ordinateur qui ne prenait que la taille d'une pièce entière était un petit gabarit, les terminaux informatiques avaient le volume d'un lave-linge. Or ces ambitieux plans quinquennaux qui mobilisaient des moyens considérables dans le service public et l'industrie n'apportaient pas grand-chose aux ménages.
De l'autre côté de l'Atlantique, les Américains introduisaient chez leurs concitoyens les téléphones avec des touches, qui étaient incroyablement plus modernes que ceux à cadran rotatif. Il y avait donc une jalousie que les Américains fassent entrer dans leurs foyers ces téléphones à touches dont la modernité technologique transpire la dissuasion nucléaire et qu'ils l'affichent ostensiblement dans les sitcoms.
Les téléphones… à touches… ? Nucléaires ?
Oui, bien sûr !
Nixon devait être capable d'entrer dans n'importe quel foyer, de composer un numéro puis un code chiffré pour lancer à tout moment une bombe H…
Faites le 1 pour Saïgon, le 2 pour Pékin, le 3 pour Moscou.
Les informations glanées par nos services de renseignements rendaient jaloux De Gaulle et Pompidou. Ils y voyaient un affront. Il fallait faire autant, voire mieux.
Car impossible n'est pas Français !
Ce qui passait par le déploiement national d'une force de frappe informatique.
Mais la gestion d'un tel réseau entre ordinateurs demande un génie pour sa conception. Par un quiproquo, c'est un jeune ingénieur prometteur d'à peine 40 ans qui en sera chargé, Louis Pouzin.
Ce nom me dit quelque chose. N'est-ce pas l'inventeur du datagramme, une des inspiration de l'internet moderne ?
Lui-même !
Louis Pouzin comprend très bien l'anglais, chose exceptionnelle pour les ingénieurs français de l'époque. Une compétence qui lui permet de travailler deux années au MIT durant les années 1960 et donc de consommer du LSD et d'assister à des conférences où sont exposées les problématiques d'Arpanet, le réseau que la Darpa est en train de concevoir. La Darpa est l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense
, le sixième côté du Pentagone, à côté de l'armée de terre, la marine, l'Air Force, la Navy et la CIA, une unité militaire scientifique qui est en charge, entres autres de la Zone 51.
De retour en France, Louis Pouzin est embauché par la CII, une prestigieuse compagnie informatique française créée dans le cadre du Plan Quinquennal ; mais ses patrons s'intéressent peu aux réseaux en toile d'araignée (en web
comme on dit de nos jours), et donc écoutaient d'une oreille distraite cet ingénieur qui allait un peu trop souvent au pays de John Wayne à leur goût.
Du moins ...
jusqu'à ce que Louis Pouzin précise qu'Arpanet a été conçu pour l'armée américaine. Une structure non-hiérarchique afin de rerouter les communications entre relais pour éviter qu'une bombe bien placée coupe tout le réseau. L'idée directrice est d'avoir une résilience du réseau qui permettre à Nixon de passer son coup de fil nucléaire depuis Los Angeles même si Las Vegas a été rasé.
Louis Pouzin n'a pas eu besoin de finir son exposé qu'il eu une ligne budgétaire débloquée.
C'est ainsi qu'il entama ses travaux sur le réseau Cyclades, pour lequel il conçu son fameux datagramme.
Quelle aventure ! On est en 1969, c'est ça ? Au moment du référendum sur la régionalisation mené par De Gaulle.
Précisément, la décentralisation.
Mais la notion de décentralisation avait un inconvénient majeur qui sautait au yeux du moindre première année de l'ENA : il rendait Paris moins indispensable pour la France, donc sacrifiable, comme Albert Lebrun l'a abandonnée aux Allemands en 1940. Absolument inconcevable au pays du jacobinisme : la voie hiérarchique est la meilleure, surtout dans les questions militaires.
Cette idée qu'une estafette puisse décider seul de son chemin sans validation par ses supérieurs hérissait les généraux au plus haut point, surtout qu'une telle organisation n'avait aucune raison de fonctionner correctement.
Ah oui, les idées du chef sont toujours les meilleures
Qui plus est, ce système Cyclades aurait permis de discuter avec plusieurs ordinateurs en même temps, et donc de disperser son attention au lieu de rester très concentré sur son travail. D'un point de vue productivité, totalement impensable.
Louis Pouzin sera prié, gentiment mais fermement, par sa hiérarchie de ne plus se disperser, et de travailler sur des projets réellement utiles pour la France, comme l'adaptateur Secam pour le 819 lignes que Jean-Bedel Bokassa nous réclamait à corps et à cris pour son couronnement en Mondovision.
Le datagramme de Pouzin ne sera pas perdu pour tout le monde : il sera repris par deux ingénieurs de la Silicon Valley, Vint Cerf et Bob Khan, qui eux, inventeront Internet qui doit succéder à Arpanet, avec d'autres des brevets géniaux de Cyclades. Vint Cerf profitera plus que de raison des travaux Français en devenant un des directeurs exécutifs de Google, il recevra le prix Turing et sera même nommé officier de la Légion d'Honneur contre la promesse absolue qu'il ne dévoile jamais ce que les travaux de Louis Pouzin lui ont apporté et aux entreprises Américaines. Encore une fois, les puissances de l'argent de l'impérialisme outre-atlantiste ont profité de la générosité de l'État Français.
Vous voulez dire qu'on a encore inventé quelque chose mais qu'on en n'a pas profité ?
Ce n'est pas une première.
Cette étrange situation, où l'on donne à des pays amis en apparence, des innovations majeures, tout en protégeant les énarques qui ont conduit à ce choix douteux pour notre avenir patriotique, La France en est parfaitement coutumière avec un art parfaitement maîtrisé.
Un siècle plus tôt, les travaux de Charles Bourseul sur le téléphone seront repris par Alexander Graham Bell ; le trop modeste ingénieur français sera lui repositionné par l'administration des Postes sur des travaux nettement plus utiles de transmission de télé-paiement de timbres amendes certifiés Cerfa par télégraphie. 10 ans plus tard, Bell fera fortune en fondant la multinationale AT&T, toujours extrêmement puissante.
Ah, je vois qu'en France on est très fort technologiquement depuis un siècle pour se tirer une balle dans le pied.
Parfaitement, il y a plusieurs séminaires axés sur cet objectif dans le cursus de l'ENA, et une cellule psychologique chez les anciens de Polytechnique.
Mais revenons à 1973. Repartant sur des bases saines, et le principe de la facturation à l'usage de la ligne en fonction de la durée et de la distance, un groupe de travail est constitué sous la conduite de l'ingénieur polytechnicien Rémi Després. À 28 ans, il va brillamment inventer le principe de circuit virtuel. C'est à dire d'une ligne téléphonique à usage unique, dont la commutation ne se fait plus par des centraux électro-mécaniques, mais des circuits électroniques numériques. Et ces lignes ne passent pas la parole mais de la donnée.
Du coup, le concept coûtait bien bien moins cher à mettre en œuvre dans les centraux que l'idée de Cyclades.
Texte : Da Scritch
Interprété par DuSport et Monsieur X
Illustration : Le réseau Arpanet en 1970, via FredZone, D.R.