Extrait de l'émission CPU release Ex0159 : Légendes confidentielles du minitel, première partie.
Monsieur X, je crois me souvenir qu'un spectaculaire coup publicitaire avait été fait en 1981 pour populariser le minitel. Un coup aussi fort que celui que fera Apple lors du SuperBowl en 1984 pour son Macintosh.
Oui, encore une fois, le génie Français avait précédé les puissances financières américaines.
Le 10 mai 1981, dans une manœuvre inédite à la télévision publique tout récemment ouverte à la publicité, fut diffusée le premier infomercial
version longue sur Antenne 2, juste avant le prestigieux journal de 20 heures présenté par Jean-Pierre Elkabach et Étienne Mougeotte, promis ce soir-là à une audience exceptionnelle.
C'est la première fois que les Français voyaient un minitel. Jacques Séguéla était dans l'ombre de ce coup de pub spectaculaire, avec toute l'exagération dramatique qu'on lui connaît bien.
Ni une ni deux, en apprenant la préparation de ce coup publicitaire sur la chaîne la plus regardée, le directeur d'IBM France, absolument furieux, obtint de faire la publicité de son futur IBM PC avec affichage CGA, via un placement produit lors du 20 heures
de Jean-Marie Cavada sur TF1, donc exactement à la même heure.
Et dans ce match entre les américains et les français, qui gagna le coup de com' ?
Bon, l'affichage des deux démonstrations technologiques est désastreux : Celui du minitel est censé montrer un visage, mais on ne reconnaît absolument pas lequel (heureusement, la voix-off le précise), et sur l'IBM, on a un simple graphique en barres bichromes bleu et vert, impersonnel, froid, totalement illisible malgré la précision graphique du SÉCAM.
Et pourtant !
Tout la France parlera du minitel car chacun y a vu un visage, et aussi parce que le journal de 20 h d'Antenne 2 était à l'époque le plus regardé de France. On lira le lendemain dans la page technologie et électro-ménager du quotidien Libération une critique dithyrambique ; alors que la présentation a laissé très froid le chroniqueur du Figaro… voire même cassant. Ledit journaliste sera très vite remercié, puisque l'actionnaire principal du Figaro, le groupe Hersant essayait justement de négocier un gros contrat de construction de minitels. C'est bête, le plumitif aurait lu plus tôt le mémo, je pense qu'il se serait abstenu.
L'image présentée par le minitel ce soir de mai 1981 est tellement marquante qu'elle est régulièrement ressortie des archives de l'INA.
Donc, ça y est, on pouvait lancer publiquement le minitel ?
Houla, non ! Dites-vous bien qu'il était bien plus facile de construire le TGV ! Car il fallait rénover les lignes téléphoniques pour que la qualité de signal soit correcte. Il fallait aussi construire un réseau Transpac de téléinformatique X.25 conséquent et les immenses ordinateurs Bull pour être capable de servir la France. La France ! 50 millions de frémissants futurs usagers !… Déjà qu'au pic de 10 000 connexions simultanés, le réseau saturait tous les mercredi lors du tiercé à Longchamp, on n'était pas encore prêt pour les diffuser en dehors des préfectures et des agences PTT.
Le lancement public national eu lieu en 1984. Dommage pour Giscard, Mitterrand en récoltera les fruits, comme pour le TGV.
Oui, il ne pouvait pas s'opposer à ces brillantes idées de droite.
Eh, quand même ...
Les premiers modèles, dits Minitel 1
construits par la Radiotechnique, même s'ils reçurent un accueil enthousiaste, n'étaient pas parfaits pour l'Élysée.
Ainsi, une des remarques faites en conseil des ministres venait de leur touche Loupe, qui doublait la hauteur des caractères.
Cette fonction trahissait la cible commerciale visée à la demande de VGE, car celle de ses électeurs naturels : le 3ème âge.
Évidemment, Mitterrand, qui avait réussi à la fois l'union de la Gauche et l'adhésion des jeunes, concordance jamais renouvelée depuis, a fait sauter cette touche dans les évolutions du standard, car elle rappelait au commandant suprême son âge canonique.
La coquetterie du Dragon à la Force Tranquille, comme l'appelait affectueusement Mao, était de notoriété publique.
Afin que les jeunes aussi bien que les personnes âgées puissent s'offrir le nouveau terminal, il fut décidé que la location du premier modèle soit gratuite, malgré le coût très dispendieux du terminal et de son expédition. Du coup, pour faire des économies sur les versions suivantes, les majuscules n'étaient plus accentuées, ce qui permettait de gagner 80 octets de coûteuse mémoire graphique.
On faisait déjà du jeunisme en jouant les pingres sur le soutien au 3ème âge.
Eh oui, déjà…
Texte : Da Scritch
Interprété par DuSport et Monsieur X
Photo : Capture d'écran de la soirée électorale du second tour de 1981 diffusé sur Antenne 2, © INA, D.R.