Extrait de l'émission CPU release Ex0160 : Légendes confidentielles du minitel, deuxième partie.
Comment en est-on arrivé d'ailleurs à ces numéros de kiosques, 36 15, bien sûr, mais aussi les paliers moins chers comme 36 13, 36 14 et les plus chers 36 16 et 36 17 ?
Oui, ces numéros courts, les PAVI (Point d'Accès VIdéotexte) furent la véritable signature de l'ère minitel, mais effectivement, au début, les PAVI n'avaient pas de numéro court.
Une des grandes difficultés sera de simplifier le numéro d'appel du kiosque très grand public où était l'immense majorité des services. Son numéro était le 16 615 91 77 depuis Paris, et le 16 36 15 91 77 depuis la province. Il fallait donc étendre la zone téléphonique parisienne pour que plus de gens s'y intéressent.
Mais certains partis politiques s'y opposaient. Par exemple, le Front National était contre le principe d'étendre la région téléphonique parisienne, sauf à y inclure Orléans pour une partie des royalistes et la Corse pour les Bonapartistes, ce qui valait des tensions en interne. Même au Palais de l'Élysée, il y eu des bagarres homériques entre ceux qui voulaient y inclure Latché, où le président y avait ses habitudes, mais pas tout le département des Landes pour éviter qu'Henri Emmanuelli ne soit trop favorisé, et un autre camp qui souhaitait inclure une partie de la Corrèze, si possible exclusivement la Roche de Solutré pour éviter que Chirac ne tire la couverture à soi.
Finalement, Mitterrand a été très agacé par ces débats, il a donc missionné Louis Mexandeau, son ministre des télécommunications et de la programmation Antiope, pour pousser le plan de numérotation national à 8 chiffres. Ainsi donc le 25 octobre 1985, les Français pouvaient appeler un autre département sans passer forcément par le 16, sauf pour la Province pour Paris, qui gardait encore son fameux 16 1.
Ah oui, je me souviens, c'était Léon Zitrone qui en faisait la pub à la télévision
Oui, avec une gamine sur un immense téléphone à touche. Accessoire parfaitement fonctionnel, si on arrivait à décrocher le combiné qui faisait quand même ses 350 kg de bakélite.
Et c'est ainsi qu'avec le système de numérotation à 8 chiffres, le 36 15 devint un numéro à 4 chiffres, avec une logique parfaitement implacable. Mais bon, quand des Énarques s'y mettent, il faut s'attendre à absolument tout, et avant tout à l'incompréhensible.
Mais il restait encore la séparation entre Île de France et les bouseux de Province, il fallait préparer psychologiquement le parisien moyen qu'il allait avoir le même type de numéro de que provincial. Et surtout le temps de faire d'immenses travaux pour qu'en 1995, le plan de numérotation à 10 chiffres fit disparaître le numéro court 16. Bon, tout le monde a oublié pourquoi on compose toujours un 0
, puisque la privatisation des télécoms ne s'est pas faite comme l'avait prévu le Ministère.
Et pour l'international ? Le minitel a-t-il réduit le déficit du commerce extérieur ?
Ah ! Le développement international, passer par le 19, ou recevoir de très lucratifs appels pour le 36 15 Ulla depuis l'Union Soviétique, ce qui aurait permis de générer de précieux dossiers de kompromat…
L'une des motivations premières quant à la diffusion internationale du Minitel était de démontrer le génie Français, le soft power
comme ont dit maintenant au Quai d'Orsay.
Une des raisons plus secrètes que je peux désormais révéler, c'est que le Minitel était un outil de communication parfaitement maîtrisé par les agents de la DGSE.
Ah oui, les fameux meilleurs services secrets du monde
! Toujours très à la pointe de la technologie.
Oui… sauf que la possession d'un minitel en dehors de la France n'est pas facilement justifiable devant un douanier très soupçonneux, surtout quand on prétend être en vacances.
Ainsi, les faux-époux Turange, ceux qui ont plastiqué le Rainbow Warrior en 1985, ont eu du mal à justifier devant les enquêteurs néo-zélandais la présence dans leur bagages d'un minitel 1 de la Radiotechnique. 6 kilos d'excédent de bagage très fragile, pas vraiment facile à caser dans une valise car risquant d'être cassé au moindre choc avec les bouteilles de plongée.
Mais quand on a essayé de vendre notre technologie à l'export, le consortium mené par France Télécom a eu de très nombreux écueils avec ses homologues étrangers :
En Europe, c'était plus ou moins facile, puisque les ministères des télécoms nationaux se voyaient régulièrement à Strasbourg ou Bruxelles. D'ailleurs eux aussi tentaient de nous convaincre d'abandonner nos minitels pour leurs propres solutions. Les britanniques avaient lancé en 1979 un service équivalent, le Prestel, qui utilisait lui aussi un réseau national en protocole X.25. Mais le terminal n'était pas gratuit, ses possibilités graphiques basées sur leur Ceefax Teletext était très limités et Margaret Thatcher ne donnait pas dans la subvention publique… Le nombre total d'utilisateurs n'a pas dépassé 200 000 usagers, export compris. Exporté d'ailleurs surtout en Italie.
Les Allemands du Deutsche Bundespost avaient leur Bildschirmtext (BTX).
Le BTX avait une élégante police sérifée et d'autres aménagements principalement linguistiques. Mais il ne décolla pas vraiment car le terminal était vendu assez cher par la Poste Allemande. Et d'ailleurs, il était aussi programmable. Monumentale erreur : le BTX a involontairement permis de faire connaître le fameux Chaos Computer Club : Wau Holland, un des hackers du CCC, avait trouvé une faille de sécurité très gênante, cette fonction de programmation lui a permis de détourner 134 694,70 DM d'une banque à cause d'une fonction du terminal un peu trop libre. Somme qu'ils ont intégralement rendu le lendemain. Mais je reviendrais plus tard sur les piratages.
On a tenté de vendre le Minitel au Japon, mais hélas, la résolution semi-graphique de 80 par 75 pixels n'étaient pas suffisante pour afficher les complexes caractères japonais. Donc une série de Minitel 1b eurent leurs processeurs graphiques modifiés pour afficher ces caractères. C'est après cette deuxième présentation que les ingénieurs de France Télécom découvrent fortuitement que les japonais avaient déjà un appareil similaire, le Captain
, qui tournait depuis 1979 avec des capacités graphiques largement supérieures.
Ah ! Manqué… C'est bête… Ils auraient pu se renseigner avant.
Oh, de toutes façons, leur Captain
se faisait littéralement manger par les micro-ordinateurs bien plus puissants comme le Famicom de Nintendo, puis les MSX.
Du coup, le ministère du Commerce a repris le comité export en main, et leur a prié de se concentrer sur les pays sans industrie informatique nationale et au Produit National Brut conséquent. Et je veux bien entendu parler des pays de la péninsule arabique. Vous avez du pétrole, on a des idées.
Sauf que, en préparant le dossier, les ingénieurs graphistes avaient toutes les peines pour afficher rapidement du texte de droite à gauche sur un minitel 1, sinon en faisant deux coups de retours arrière à chaque caractère. Or, si le texte s'écrit dans le mauvais sens, donc dans le sens occidental de gauche à droite, l'appareil aurait été qualifié d'impur, de halouf
par les autorités religieuses.
Et encore, il n'y a pas que les difficultés techniques, il y a aussi… les mœurs locales.
Lors de la deuxième campagne de test, le fils d'un des dignitaires d'une puissance arabique fut surpris en train de tenter de convaincre une animatrice d'un service de minitel rose français à le rejoindre dans son palais des milles et une nuits. L'incident découvert, le minitel fut enterré dans le désert, avec le fils indélicat, le commercial de France Télécom, et l'animatrice du 36 15 Shéhérazade qui a crû devenir princesse.
Ah oui, houla ! C'est triste !
Oui, surtout pour le minitel : doré à l'or fin avec sa diode d'allumage en rubis sertie par les plus grands spécialistes de la place Vendôme. L'affaire fut étouffée, et pas que diplomatiquement.
Mais l'aventure Minitel a eu heureusement quelques petits succès
internationaux : Il fut exporté en Angleterre pour quelques banques, avec un clavier alphabétique. Et il fut aussi tenté aux États-Unis en Floride. Enfin... succès
… seuls 80 000 terminaux furent exportés en tout et pour tout, et comme ils étaient payants au prix fort dans ces pays-là, ils furent vite abandonnés. Le prix d'un Commodore 64 avec modem était largement moins cher.
Si nous prenons l'ensemble des projets de terminaux télématiques à travers le monde, qui furent lancés entre les années 1970s et l'an 2000… Le seul pays où cette technologie a marché était en France. Ce qui s'explique peut-être par notre institution, l'École Nationale d'Administration, et l'esprit grivois des Français.
En 1988, le théoricien en organisation et management Bruno Lussato a eu cette réplique qui résume tout :
On nous dit que le monde entier nous envie le Minitel. Je ne sais pas s’il nous l’envie, messieurs, mais je peux en tout cas vous dire une chose avec certitude, c’est qu’il ne nous l’achète pas.
Texte : Da Scritch
Interprété par DuSport et Monsieur X
Photo : Minitel 2 préparé pour une démonstration au Japon, CC-By-Sa Bernard Marti