Extrait de l'émission CPU release Ex0161 : Légendes confidentielles du minitel, troisième partie.
Monsieur X, on parle donc d'un terminal qui permettait de discuter avec des ordinateurs assez puissants, dans un contexte de guerre froide. Mitterrand n'étant bien vu ni à Moscou ni à Washington, je suppose qu'il y eu quelques escarmouches de guerre technologique par le biais du Minitel.
Honnêtement ?
Elles étaient plutôt limitées.
Un des avantages sur ces exports manqués est que nous attirions nettement moins de pirates étrangers. Déjà, nous avions la sécurité que nos numéros courts, les 11, 36 15 et consorts n'étaient pas disponibles depuis l'étranger. Transpac était interconnecté avec d'autres réseaux européens, mais à l'époque, tout le monde faisait attention, puisque leurs numéros d'appels apparaissait sur les factures. Non, on n'était pas au Far-West, comme chez les cow-boys États-Uniens. Les États-Unis dont l'Ambassade aurait acquis quelques centaines de minitel, soit deux fois plus que de pièces dans leur locaux à deux pas de l'Élysée, mais ce n'est qu'un détail.
Mais sinon, non. Notre technologie nationale et très peu exportée nous protégeait.
En tout cas, la panne géante du réseau Transpac le 18 juin 1985 était un simple encombrement dû au succès de ces services surfacturés du 36 15 ! On avait un million de minitels en service en France en 1985 ! Choix cornélien pour l'État, qui s'est résolu à appliquer le Plan Rouge Épervier Téléphonique : limiter la distribution de minitels pendant deux mois, le temps d'agrandir les serveurs centraux du réseau Transpac et de corriger des… bugs gênants.
Un bête DDoS, une attaque distribuée de déni de service totalement involontaire…
Tout à fait.
Cela a pourtant fait un foin extraordinaire à l'époque ! Je me souviens même que mon émission a été interrompu, Radio <FMR> a basculé en édition spéciale. Alors qu'on ne faisait pas les gros titres quand les bureaux de poste étaient encombrés de retraités une fois l'épisode quotidien de « Derrick » terminé.
La presse de l'époque s'était enflammée sur cet accident et cherchait un coupable du côté de l'Anti-France. Elle exigeait un coupable à guillotiner. Et c'était tout à fait logique quand on se rappelle que le minitel était soudain devenu une source très importante de revenus pour ces journaux.
On a bien eu des actes terroristes, comme des indépendantiste bretons de Pleumeur-Bodou qui avaient tenté de saboter une liaison Transpac par satellite vers Saint-Pierre-et-Miquelon en balançant un kouign amann dans la célèbre antenne-cornet… Ou encore le groupe Action directe qui avait tenté de lancer un service de minitel rose et rouge sur le palier 36 17 pour se financer.
En fait, le groupe terroriste qui a le plus fait de mal au minitel a peut-être été le C.L.O.D.O., le groupe terroriste de la région de Toulouse, quand ils ont fait brûler le centre informatique de la préfecture, mais personne n'a entendu parler d'eux depuis décembre 1983.
Ah oui, le C.L.O.D.O., on a une excellente émission sur les néo-luddites.
Donc vous voyez de quoi je parle.
Non, le vrai danger que nos services avaient parfaitement identifié ne venait pas de groupes d'adultes aux noirs desseins emplis d'une sombre envie de détruire l'Ordre Établi pour le triomphe de l'Anti-France.
Non… loin de là....
Le danger venait de notre propre descendance, de cette marmaille devenue délinquante faute de savoir s'occuper, de ces gamins turbulents qui regarde trop les films d'actions américains et la pornographe, de cette jeunesse en manque d'une éducation civique bien sentie, faute d'une bonne guerre. Et ils étaient motivés par un terminal gratuit à l'acquisition mais payant à l'usage.
Reprenons : Cette adolescence pubère désœuvrée,...
Allez, abrégez le suspens : l'émission ne dure qu'une heure.*
(* N.D.É. : perdu, j'ai dû la remonter en trois émissions d'une heure)
... cette bande de … branleurs était littéralement droguée aux messageries roses, or le 36 15 était assez cher.
Il était possible d'accéder à un service kiosque soit pas le nom du service, soit par son numéro de service télétel, un numéro technique à 9 chiffres jamais communiqué... qui marchait aussi sur le palier 36 14. Il s'agissait bien souvent d'accès de service pour les opérateurs de service minitel, afin de ne pas exploser leur propres factures téléphoniques personnelles quand ils télétravaillaient.
Des petits malins constituaient des annuaires confidentiels glanés par des informateurs infiltrés, des petites listes qu'il revendaient assez cher contre un bandana dédicacé par le chanteur anarchiste Renaud.
Pour d'autres, si les paliers 36 14 et 36 13 étaient déjà un mieux, de grandes entreprises souhaitaient ne pas passer par l'écran télétel et avoir leur numéro dédié gratuit, sur la mode des numéros verts, ce qui leur assuraient une plus grande confidentialité.
C'est ainsi que furent créées des lignes téléphoniques minitel vert, en 36 05 puis 4 chiffres, où il y avait pas mal d'entreprises… Et ces réseaux étaient parfaitement protégés puisqu'il fallait connaître le numéro de téléphone exact, donc on pouvait dire qu'ils étaient déjà chiffrés.
Euh, excusez-moi, Monsieur X, mais… de ce que j'ai crû comprendre en participant à CPU, une sécurité chiffrée, c'est pas ça et je m'y connais en serrures.
Ça, c'est votre opinion.
Laissez faire les professionnels de la profession sur ce sujet… sensible.
Bon, je vous le concède, des petits malins, dont je tairai le nom, s'amusaient à composer tous les numéros de téléphones possibles. Il tombaient parfois sur des numéros d'entreprises internationales pour des terminaux Minitel 1b. En bidouillant, on pouvait tomber sur le shell d'administration d'un puissant ordinateur unix, où il était possible de se créer une adresse e-mail et de discuter sur internet.
Cette négligence coupable de multinationales américaines, je peux le révéler aujourd'hui car nous avions enquêté, était en fait une manœuvre pour intéresser les jeunes les plus prometteurs au standard américain internet
, et ainsi faire croire que le système souverain Transpac était bien inférieur.
Je vous trouve bien au courant sur le sujet… Vous n'auriez pas piraté vous aussi ?
Ahem… euuuh non, j'étais en mission commandée, mais passons à un autre sujet, et vite. (Vous ne garderez pas votre remarque très désobligeante à l'antenne, hein, je vous prie, merci)
Mais si vous voulez parler de piratage, parlons alors d'un délinquant qui fut le premier condamné pour piratage informatique par la justice française.
Ah oui, et qui donc ?
Un aigrefin qui s'appelle Laurent Chemla, qui à l'âge de 22 ans, aurait pu finir à perpèt' à Fleury Mérogis.
Il scannait les numéros de services possibles en 36 13, avec un Thomson TO7 branché sur un Minitel. Il tentait ainsi de casser le chiffrement des services informatiques de grosses sociétés en devinant ce numéro code secret.
Il était à l'époque informaticien dans une société de services minitels qui propose des rencontres dans les écoles primaires où les élèves pouvaient échanger les copies corrigées de devoirs surveillés. En tant que professionnel de l'informatique, il savait qu'il commettait un acte délictueux.
En l'occurrence, il est tombé sur un service où chacun pouvait s'enregistrer pour y créer sa boite au lettre de type e-mail. Et il l'a partagé avec d'autres criminels numériques comme lui.
Mais il n'a pas été suffisamment prudent pour couvrir ses traces et a été attrapé par la patrouille.
Et, que lui est-il arrivé une fois que le commissaire Maigret lui a mis la main au collet ?
Il a été traîné devant les tribunaux, bien sûr. Mais en 1985, la seule loi contre la criminalité informatique puni la duplication illicite de logiciel informatique, nullement son usage même par infraction. Laurent Chemla, le premier pirate informatique français condamné, a été embastillé pour… vol d'énergie.
Non ? Sans rire…? Tout ça pour ça ?
Eh oui. Depuis, la jurisprudence Bluetouff a changé la donne.
Et… qu'est devenu ce Laurent Chemla ?
Il est ressorti assez vite, au bout de deux jours.
Durant l'enquête, Laurent Chemla a été mis sur table d'écoute par la cellule de renseignements du Palais de l'Élysée. Un de ses pseudonymes, Mazarine
avait immédiatement mis en alerte le spider-sens de Charles Hernu qui était en charge de ces écoutes.
Il a donc transmis son identité aux différents conseillers de l'Élysée, dont la célèbre astrologue Élisabeth Teissier, consultante directe de Mitterrand. En établissant son thème astral, elle en a conclu qu'il allait construire d'immenses avancées informatiques comme le gestionnaire de nom de domaine Gandi, qu'il allait devenir romancier d'aventures avec son fameux roman « Confessions d'un voleur » et qu'il allait remporter une saison du Meilleur Pâtissier de France sur M6.
Ah oui ! « Confessions d'un voleur » ! le OSS 117 du 3ème millénaire ! Alors c'est lui !
Eh oui !
Comme Élisabeth Teissier conseillait personnellement François Mitterrand, le président a gracié ce garçon turbulent mais inoffensif qui avait surtout fait un pêché de jeunesse.
Depuis il n'a été jamais repris devant les tribunaux, sinon pour la constitution d'une liste d'opposants politiques pour une officine.
Une autre légende dans le Service veut que ledit Chemla, toujours grâce à un minitel branché à un TO7, était entré dans les ordinateurs de la marine britannique. Les marins de sa Très Gracieuse Majesté en avaient réveillé Margaret Thatcher une demi-heure trop tôt, ce qui l'avait un peu énervée. L'anecdote aurait fait glousser François Mitterrand, ce qui aurait valu au coupable donc la grâce présidentielle.
Ahahaha ! Le futur OSS 117 qui enfonce 007…
Et sur le terrain de guerre du futur ! Voila qui aurait fait rire le Grand Timonier de Latché.
Un autre piratage célèbre a constitué l'une des fortunes de l'internet, encore…
Ah bon ? Qui ?
Un opérateur de messageries free-pones, Xavier Niel. Et avant le minitel rose, Xavier Niel avait déjà été poursuivi pour revente sous le manteau de décodeurs pirates de Canal +. À l'époque, il s'était fait prendre car le décodeur Syster, même piraté, était très volumineux, donc se cachait très mal sous un manteau, même au marché aux puces de la Madeleine… Ensuite, il a piraté la liste des numéros de Radiocom 2000, qui à l'époque comportait l'ensemble du cabinet ministériel et les patrons du CAC 40.
Quand on commence dans la délinquance, on a aucune chance de s'en repentir.
Et qu'est-ce qu'il a fait, ce… Xavier Niel ?
Lui aussi a branché un ordinateur, mais sur une batterie de minitels. À l'époque, France Télécom, les anciens PTT, était le service exclusif pour avoir l'annuaire, et même pour une très grande entreprise, il était impossible d'obtenir le fichier complet. Xavier Niel a donc programmé son ordinateur pour que ses minitels composent le 36 11, l'annuaire électronique. En ne restant l'annuaire électronique que pendant 3 minutes, donc pendant la période gratuite, il a récupéré le maximum d'informations d'abonnés au téléphone.
Il a dû lui en falloir, des coups de fils.
Avec un ordinateur, c'est facile et surtout qu'il continue même pendant la nuit.
Avec cette immense base de donnée volée à France Télécom, il lance en 1996 son 36 17 ANNU, qui proposait la recherche inversée, donc retrouver l'abonné en partant de son numéro de téléphone. Le 36 17 étant le palier facturé au prix le plus fort, il proposait un service qui n'était habituellement réservé qu'aux Forces de l'Ordre, mais désormais disponible à toutes les entreprises, à tous les particuliers. Et pour Niel, ce service était bien plus rentable que ses 36 15 pornos, non seulement au coût par minute, mais surtout car il n'avait pas besoin d'animatrices pour ce service, qu'il übérisait
avec un simple PC.
France Télécom était absolument furieux, bien sûr, et du coup leurs ingénieurs truffèrent les réponses de leur annuaire téléphonique avec de faux numéros, des abonnés inexistants. Que Niel repérait. Un jeu du chat et de la souris non sans conséquences car il réduisait la qualité des réponses servis aux particuliers légitimes.
Cette guerre informatique entre le monde des télécoms et ce… trublion issue de l'informatique a fortement dégradé l'image du Minitel.
Outre le DDoS, le Déni Distribué de Service sur le 36 11 qu'il squattait allègrement, son service d'annuaire inversé était littéralement catastrophique pour des institutions nationales. Bien des policiers faisaient leur beurre à proposer à des particuliers l'accès à l'annuaire inversé de la Police. Ou encore Jean-Yves Lafesse : pour ses canulars téléphoniques, il en était réduit à appeler en masquant son numéro d'appel. Les démarcheurs téléphoniques aussi étaient impactés, et ont toujours eu une engeance envers Xavier Niel. Celui-ci se moqua d'eux en montant un service d'accès internet par téléphone appelé Free
.
Ah c'est pour ça que le nom me dit quelques chose…
Propriétaire de Free, de Free mobile, du journal Le Monde, fondateur de l'École 42 et de l'incubateur à startups Station F… À l'origine de toute fortune, il y a un crime
, comme l'a si bien dit Franck Columbo. Xavier Niel est dans le top 10 français, et il a bâtit sa fortune en commençant avec un minitel. Je vous laisse en conclure ce que vous en voulez.
Texte : Da Scritch
Interprété par DuSport et Monsieur X
Photo : Installation d'anonymisation de connexion minitel par radio CB avec un Apple II, Apple II Festival France 2019, CC-SA-By DaScritch.