Extrait de l'émission CPU release Ex0162 : Bibliothèque publique.
Bonjour à toi, Enfant du Futur Immédiat, toi qui sait où se trouve la bibliothèque publique la plus proche de chez toi, mais qui bizarrement n'a pas eu l'idée d'y aller depuis un sacré bail.
Jusqu'à l'aube de ce millénaire, une bibliothèque publique était une pièce feutrée avec d'immenses travées en bois, des livres avec un code à 4 lettres et 3 chiffres sur la tranche, et le petit bristol dans un encart sur la seconde de couverture avec ses tampons de date d'emprunt et de retour.
Une bibliothèque publique était un bâtiment où y régnait un silence religieux, où tout le monde se tait devant l'acte sacré d'acquérir de la connaissance, qui devant un manuel de logique formelle, qui devant un roman de San Antonio. Le seul jugement permis y était le froncement de sourcil pour le retard de retour d'un livre emprunté.
Mais d'un autre côté, une bibliothèque publique, est pour beaucoup le seul lieu de connaissance dans leur quartier, la seule occasion de lire le livre dont tout le monde
parle sans avoir à l'acquérir onéreusement. Et le conseil qui va avec !
Enfant du Futur Immédiat, j'ai eu la chance de vivre dans un quartier plutôt bien nanti. Mes premiers souvenirs de bibliothèque étaient de celle accolée à l'école maternelle/primaire. Et c'est là que j'ai dévoré tous les « Yoko Tsuno » qui étaient sortis à l'époque. J'ai littéralement adoré ceux qui parlaient d'informatique. Arrivé au collège, je m'en suis trouvé une autre rue Croix-Baragnon, un peu la rue du Faubourg St-Honoré pour les Toulousains. Dans cette rue, il y avait un centre culturel, plutôt porté sur le jazz, la sculpture et la peinture. Et au 3ème étage, une petite bibliothèque, avec surtout des livres sur l'Art. Et derrière au fond, plein de livres de poche SF. Je l'ai fréquentée bien des mercredi après-midi comme d'autres allaient pieusement se froisser les rotules au rugby.
La bibliothécaire était une dame d'une soixantaine d'année, cheveux blancs, lunettes rondes, menue et petite, et d'un regard littéralement habitée. Un jour elle m'a dit
Avant de commencer « Fondation », commence plutôt le Cycle des « Robots » du même auteur, Isaac Asimov. Et sinon, en illustrateur, tu devrais jeter un œil à M.C. Escher.
Elle m'a aussi décodé les blagues cachées des romans d'Umberto Eco et milles autres petites choses savantes qui font qu'avoir de la culture n'est pas forcément un acte pédant. J'étais au collège, elle m'a littéralement fait ouvrir des portes dans mon petit cerveau en formation.
Dans « Les figures de l'ombre », le film très romancé sur les informaticiennes de la NASA, l'une de ces calculatrices humaines et de couleur noire entrevoit l'avenir en empruntant à la bibliothèque publique un livre sur le langage Fortran. Pendant des millénaires, les bibliothèques étaient ce petit compendium de la culture universelle, que cela soit à Alexandrie ou dans un monastère haut perché au nord de l'Italie comme dans « le Nom de la Rose ».
Pour quelqu'un qui va faire son métier dans l'informatique, donc dans les sciences de l'information, une bibliothèque est intéressante par sa gestion de flux de collections, par ses stratégies de maintenance, par ses classements par tags ou numérique, ou encore la manière d'étendre un standard de classements en fonction des évolutions de l'édition… Et pour la multitude de sujets qu'on peut y découvrir en ouvrant un livre au hasard.
Enfant du Futur Immédiat, avec l'informatisation, beaucoup beaucoup beaucoup de personnes croyaient dur comme fer que les bibliothèques allaient être désertées. Mais non, elles se sont transformées ! D'abord elles proposent à côté des livres et des journaux aussi des jeux, des CD et des DVD, ensuite elles ont ajouté des postes de consultation d'internet. Armées de leurs ordinateurs portables, on y voit des gens y aller pour pouvoir travailler confortablement sans avoir à reprendre une boisson toute les 30 minutes, il y a des gens qui y télétravaillent, ou d'autre qui y vont parce que leur connexion internet est trop intermittente. Il y a les lycéens qui vont y travailler car l'appart familial est trop petit pour la fratrie, et il y a ceux qui y vont histoire de ne pas devenir fou dans leur solitude.
Et puis, y'a les bibliothèques qui vont au-delà de la simple consultation ou prêt de livre : il peut y avoir des expositions, voire des conférences sur des sujets divers, variés, mais toujours autant que possible accessibles au plus grand nombre. On y voit désormais aussi des ateliers pour apprendre l'informatique, ou encore savoir lire un journal. Oui, en ces temps troublés de désinformation prônée comme un acte militant
, il est parfois important de rappeler que la science n'est pas une opinion politique ou des croyances, mais qu'elle ne se base que sur des faits tangibles et reproductibles. Et que le passé n'a rien de passif, que la culture est toujours intéressante à avoir pour mieux comprendre le monde qui nous entoure.
Alors, oui, Enfant du Futur Immédiat, je t'avoue que je ne vais plus autant en bibliothèque publique que quand j'étais étudiant. Or, c'est en ces temps troublés où nombre de lieux publics sont fermés pour une durée indéterminée, qu'on découvre combien finalement ces lieux et services où nous n'allons plus… nous manquent.
Texte : Da Scritch
Photo : Bibliothèque de Sciences-Po Lille, CC-SA-By Charlotte Hénard.