Extrait de l'émission CPU release Ex0164 : Bibliothèque scientifique.
Il a fortement participé au format RSS, aux licences Creative Commons et a créé le langage MarkDown. Il est multimillionnaire avant d'avoir 20 ans en co-créant Reddit, sans que cela change sa vie ou sa philosophie. Il a été « Celui qui pourrait changer le monde », nom d'un ouvrage regroupant nombre de ses écrits.
Aaron Swartz est… Le GourouC'est en banlieue de Chicago que le 8 novembre 1986 naît le petit Aaron. Il grandi avec 2 frères qui se feront la concurrence pour apprendre les bêtises. Très vite, il montre des capacités intellectuelles assez stupéfiantes, mais aussi une sensibilité émotionnelle. Ses parents vont très vite l'inciter à développer son potentiel en dehors du temps scolaire ; son père va lui apprendre à coder, mais il se fera très vite doublé par son fils.
À 12 ans, Aaron va construire theinfo.org
, un site d'encyclopédie collaborative, qui va précéder Wikipédia de quelques mois. C'est un nerd qui pond du code, soit, qui sait surtout interconnecter les gens passionnés.
Dès l'âge de 14 ans, il entre dans un working group du W3C pour définir ce qui sera les flux RSS, ce qui est la base du podcast. Ici, dans l'émission CPU, et moi-même ayant été un des premiers podcasteurs et fanatiques des flux RSS, nous avons toujours été conscients du rôle important qu'Aaron Swartz a laissé sur le web durant sa trop courte vie.
Alors certes l'usage des flux RSS, le principe même de syndication de sources d'informations de différents sites web pour se tenir au courant de chaque nouvel article publié, est devenu anecdotique voire oublié du grand public ; et Aaron a popularisé combien le format XML était littéralement plastique, combien le web devait être ouvert, utilisable par n'importe quel navigateur, remixable pour permettre des usages auxquels nous n'aurions pas pensé, et l'importance de la sémantique du langage HTML, que nous pratiquons avec ferveur sur le site de notre émission.
Mais revenons à notre gourou. Plusieurs sujets touchent Aaron Swartz en dehors de l'informatique ou plus exactement à cause des implications qu'amènent l'informatique : la sociologie, l'éducation et la politique. Car pour lui, ses engagements viennent avant tout de ce qu'influence internet et de ceux qui veulent le cadenasser.
Il se fera très vite remarquer par Tim Berners-Lee et d'autres grands noms des internets. À 15 ans, il part à Washington voir l'avocat Lawrence Lessig témoigner devant le Congrès de l'incongruité des lois copyright.
Le même Lawrence Lessig, co-créateur avec Aaron de la licence ouverte Creative Commons, le nommera chercheur à Harvard dans son Labo d'éthique sur la corruption institutionnelle, ceci malgré le manque de diplôme d'Aaron, de part son jeune âge. Le célèbre prof de droit dira de lui…
À la fin, c’était lui mon mentor et moi son élève…
Aaron restera au sein de l'Université d'Harvard et du MIT.
Lessig louera son côté désintéressé, puisque Swartz ira jusqu'à utiliser ses économies personnelles pour acquérir les droits de collections numériques pour les libérer. Avec son prestigieux prof de droit, il va ouvertement s'investir dans différents combats pour la liberté d'expression et les droits de l'homme. Il va très vite populariser Chelsea Manning pour améliorer son sort, quand elle fut emprisonnée suite à ses documents sortis dans WikiLeaks. Et il va soigner son engagement par de multiples interviewes à la télévision.
Un de ses derniers projets sera SecureDrop, un système de partage de document sécurisé et anonymisé, très utilisé par les ONG et les journalistes d'investigation.
En 2008, Swartz écrira son « Manifeste de la guérilla pour le libre accès ». Et il va le mettre en pratique sur un sujet fondamental : l'accès à l'information institutionnelle ou d'origine publique, dont bien souvent l'accès est indument rendu payant. Les services payants du greffe d'un tribunal se justifiait du temps où les décision juridiques ne pouvaient être centralisées publiquement, n'étaient disponible qu'au format papier et qu'il fallait indexer pour chercher. Mais à l'époque de la gestion électronique de documents ? d'internet ? des traitements big-data ? La facturation de ces organismes sur une matière publique et de liberté publique qu'est la justice lui semble déraisonnable. Surtout dans le système judiciaire américain où la jurisprudence pèse très lourd dans les débats.
Le simple fait de copier et libérer les décisions vendues par PACER, le site greffier des États-Unis, a attiré le regard peu bienveillant du FBI sur Swartz.
Et après les décisions publiques juridiques, Aaron Swartz va s'attaquer aux éditeurs d'articles scientifiques, facturant l'accès à des études qu'ils ont obtenu gratuitement et bien souvent financés par des fonds publics.
En Septembre 2010, Aaron Swartz va télécharger quasiment la totalité de la bibliothèque numérique JSTOR, un gros éditeur d'articles scientifiques, en utilisant son accès offert par le MIT. Il va simplement prendre un laptop, et utiliser un crawler en python sur le site de consultation. On ne sait pas si c'était pour les libérer ou simplement pour faire des analyses statistiques dessus, comme il le faisait régulièrement.
L'éditeur va bannir l'adresse IP au sein du MIT, à cause du volume de téléchargement.
Aaron Swartz va simplement changer d'IP et relancer son script. Jusqu'à le brancher dans un placard au sous-sol du MIT. Scène où il se fera filmer à son insu par la police de l'Université.
JSTOR abandonnera très vite le procès et précisera bien que celui-ci n'était voulu que par les autorités judiciaires. Car la procureure fédérale Carmen Ortiz en fait une affaire personnelle, bien motivée à le faire condamner à la peine maximale, 50 ans de prison et 1 million $ de dommages et intérêts. On est en 2011, année du Printemps Arabe, sommet du mouvement Anonymous, Swartz est vu par la procureure comme un sale gosse arrogant qui fait capoter des loi pro-copyrights comme SOPA et PIPA, il est la victime expiatoire. Beaucoup de voix vont s'élever devant l’agressivité de la procureure, même l'avocat personnel de Nixon, John Dean, qualifiera ce zèle de nixonien
; Aaron Swartz et son avocat refusèrent la procédure de plaider coupable, sachant très bien que l'équipe du procureur aurait à expliquer leur zèle devant un jury.
Mais la pression est énorme, et pour quelqu'un d'aussi passionné et émotif qu'Aaron Swartz, ces enquêtes fédérales lourdes contre lui vont l'épuiser financièrement, physiquement, moralement. Il en sera blessé au plus profond de lui-même.
Il va s'ôter la vie le 11 janvier 2013.
Après son suicide, qui fit la une de très nombreux journaux, les charges fédérales furent abandonnées. En guise de deuil et de défiance envers le système de publication, plusieurs scientifiques libéreront en licence libre leurs travaux.
Sa famille publia un site mémoire en son nom avec cet épitaphe :
Il a utilisé ses prodigieux dons de développeur et de technicien non pas pour s'enrichir mais pour faire d'Internet et du monde un endroit plus juste, meilleur.
Sur cette même page, ses proches auront des mots très durs envers le MIT et l'Université d'Harvard qui n'a pas défendu un de ses membres les plus brillants sous prétexte de neutralité. Ce qui, suite à une enquête interne, aurait mené à une révision de leurs règles.
Tim Berners-Lee témoignera de son deuil sur ces mots :
Aaron est mort. Vagabonds dans ce monde de fous, nous avons perdu un mentor, un aîné plein de sagesse. Hackers défendant le droit, nous sommes un de moins, nous avons perdu l’un des nôtres. Tous ceux qui élèvent, qui soignent, qui sont à l’écoute, qui nourrissent, parents, tous, nous avons perdu un enfant. Pleurons.
De son côté, son prof et avocat Lawrence Lessig écrira un texte célèbre, que je traduis librement en Harceler judiciairement
. Car le véritable procès n'est pas celui du système de publication scientifique ou des ayants-droits, mais d'une procureure qui pour ses ambitions politiques, avait besoin d'épingler un jeune bien trop sûr de lui à son goût et qui prouvait que code is law
.
Difficile de résumer son œuvre entre les milliers de projets toujours existants qu'il a créé ou significativement aidé, ou encore ses engagements en tant qu'activiste pour nos libertés, son impact a été immense. On a tragiquement perdu l'un des enfants d'internet les plus doués, les plus utiles.
Aaron Swartz n'avait que 26 ans.
(Et comme résumer toute sa vie est extrêmement difficile, nous vous renvoyons sur les liens qu'on a mis sur la page web de l'émission, notamment le film « The own internet boy » qui est en libre accès)
Texte par Da Scritch.
Photo : Aaron Swartz, au Boston Wiki Meetup en 2009, CC-By-SA Sage Ross