Extrait de l'émission CPU release Ex0196 : Crie si tu sais…V.
Bonjour, je suis Da Scritch et je vais vous raconter une expérience très particulière de ma vie professionnelle.
La plupart d'entre vous m connaissent par la radio, d'autres me connaissent pour mes écrits techniques ou mes posts disons… épicés
sur certains réseaux sociaux.
Certains me trouvent gai-luron. Voire même un peu absurbe
comme une bande-dessinée de Gotlib. C'est pas faux : avant d'être développeur et d'être là où je suis, c'est à dire avec une expérience et une expertise que certains louent par mensualités, ben avant ça j'ai été chroniqueur en bande-dessinées. Puis j'ai écrit des bêtises qui font rire par téléphone avec de grands humoristes.
Et d'ailleurs, au tournant de ce millénaire, j'étais salarié, préposé à la conception de contenu dans une entreprise dédiée à la création de… contenus émotifs
, comme certains disent pudiquement.
J'y ai fait de la sonnerie de portable de gaudriole.
Pour ne pas vous mentir, j'avais été chargé par mon chef de l'époque avec un ingénieur de faire en sorte qu'un serveur téléphonique au numéro sur-facturé envoie une mélodie mono-instrumental ou un logo moche vers un téléphone portable.
J'ai, entre autres crimes contre l'Humanité, fortement aidé de mon esprit tordu, lancé en Europe Continentale l'industrie des logos et sonneries de portables, par le numéro surfacturé, par le SMS+ exorbitant, par l'application mobile qui vendait 18 secondes d'humour hors de prix. Vous n'allez pas me croire, mais mon esprit prompt aux jeux de mots tordus et à la vanne acide attirait des contrats de partenariats avec des radios de jeunes, des télés divertissantes, des opérateurs de réseaux mobiles et des fabricants de téléphones portables. J'ai encore les contacts de vraies stars de l'époque et de célébrités
qui n'existaient que par des jeux d'enfermement et qui furent très vite aux oubliettes de l'air du temps.
J'étais dans un secteur où l'on vendait horriblement cher une ré-adaptation ultra limitée en instruments, en qualité et en durée du tube du moment. Ça m'a pas rendu plus riche, mais pour un jeune qui n'en n'était qu'aux débuts de sa vie professionnelle, je commençais avec un salaire plus que correct.
Mais j'ai eu un cas de conscience. Violent. Ce fut l'attentat de Madrid du 11 mars 2004.
Je n'y étais pas. J'étais même pas un témoin oculaire, mais un téléspectateur stupéfait, puis ensuite terrifié.
Les images qui passaient à la télévision étaient terribles.
L'image de la vidéo surveillance d'un quai de métro bondé, qui se noie d'un coup de fumée… et après des secondes interminables, la nuée commence à s'éclaircir, et on commence à voir les corps par terre, tordus.
Tu n'imagines pas le son en les regardant : les caméras étaient muettes. Mais moi, je l'imaginais, quand j'étais pas loin d'AZF 3 années auparavant.
Sauf que ce n'était pas une catastrophe, mais un attentat.
10 bombes à l'heure de pointe, 191 morts, plus de 2 000 blessés.
Des chiffres qui ne veulent plus rien dire car ils n'expriment pas vraiment la souffrance des victimes, le désespoir de leurs proches.
C'est surtout la lecture d'un article du quotidien El Pais qui m'a le plus retourné ; il racontait le témoignage d'un des sauveteurs sur place. Qu'au milieu des gravas et tôles déchirés, il n'y avait pas que les corps tordus, martyrisés par un acte meurtrier, qu'il y avait aussi leurs portables, des portables qui sonnaient parmi les corps, des portables qui sonnaient sans cesse.
Très probablement des appels angoissés de proches, de la famille, des amis, des collègues, des voisins qui appelaient désespérement, paniqués, dans l'angoisse.
Et là, tu te dis que ton métier est vain : un être cher brutalement fauché par la bêtise humaine, c'est aussi la sonnerie de la cucaracha sur un trottoir maculé de sang, et une mauvaise imitation d'une quelconque personnalité politique en accueil de répondeur comme unique réponse à des angoisses…
Pourtant, je devais continuer à faire rire. À créer, trouver, signer des contenus qui sont… ouais… des bêtises insignifiantes. Ben, je devais continuer à en générer des wagons, des cargaisons complètes, livrées chaque semaine aux 4 coins de la Terre, tant qu'un téléphone pouvait acheter ces produits culturels
à des montants indécents. Mais quelque chose s'est bien remué après cet attentat.
Non, je ne suis pas particulièrement fier de cette époque de ma vie.
Et oui, cette histoire est vraie.
Texte : Da Scritch
Photo : Xelibri 6, auteur inconnu, D.R. via Tumblr