Extrait de l'émission CPU release Ex0186 : lost + found (volume 17, avant guerre).
Apprendre Internet au collège en 2022, c’est pas simple, c’est même très compliqué.
Ceux qui, comme moi, sont nés au millénaire dernier, on connu un monde sans internet. Où pour préparer un exposé on devait aller à la bibliothèque, où pour avoir les infos, on devait attendre le JT, où pour voir les photos de vacances de nos amis, on devait subir des soirées diapos.
Et puis, internet est apparu. D’un passe-temps pour geek, il est devenu ce monde foisonnant et omniprésent qu’on connaît aujourd’hui. Les connaissances pour contribuer ou même simplement le comprendre sont devenues pléthoriques.
Quand mes filles sont nées, internet était déjà là. On pourrait croire que pour ces digital natives
, tout est facile et naturel, et pourtant non. Aujourd’hui, accéder aux moindre service public, rechercher un travail, un logement, se former, etc… nécessite de maîtriser l’outil informatique.
D’après le ministère, pour pouvoir vivre au quotidien, chacun devrait maîtriser des compétences numériques dans 5 grands domaines :
- Trouver des informations et traiter des données,
- Communiquer et collaborer,
- Créer des contenus,
- Résoudre des problèmes dans un environnement numérique,
- Sécuriser son environnement et protéger ses données.
Or d’après l’INSEE, en 2022 , 47 % des français manquent d’au moins une de ces compétences de base. Et contrairement a ce qu’on pourrait croire, l’illettrisme numérique, ne touche pas que les personnes âgées, mais aussi une proportion importante de jeunes.
Pour caricaturer, s’ils savent jouer à Fortnite, ou faire des TikTok, ils ne savent pas envoyer un mail, ou comprendre le besoin protéger ses data.Alors, je ne vais pas insister sur les enjeux cruciaux de la transformation numérique. Je ne parle pas du manque récurent de professionnels et de compétences dans ce domaine, mais bien de la nécessité pour le gouvernement de former les citoyens et futurs citoyens à utiliser l’informatique au quotidien, de la nécessité de lutter l’illectronisme, cette forme moderne d’illettrisme.
Je ne parlerai pas non plus de PIX. Pour ceux qui ne connaissent pas, PIX c’est un service public en ligne d'évaluation et de certification des compétences numériques. PIX est donc un outil permettant d'évaluer en ligne les compétences numériques des élèves. Il y a 2 certificats délivrés : un en classe de 3ème et un en classe de terminale.
En pratique, chaque élève se crée un compte sur le site web ou l’appli, et passe les tests librement dans l’ordre de son choix. Bien sur, pour cela, il faut déjà qu’ils aient accès à un ordinateur, ou au moins a un smartphone.
Régulièrement, c’est à dire, comme on parle d’ados, au dernier moment quant on leur rappelle que c’est pour demain, les élèves envoient leur progression. Le ou la professeur de techno peut suivre les résultats, pour ajuster ses enseignements ou aider les élèves.
Les tests sont très divers, et peuvent aller de la simple connaissance de l’écriture d’une adresse URL, à des problèmes à résoudre. Par exemple : à partir d’une photo laissant apparaître 1 mètre de quai de métro, trouver le nom de la station ou descendra la photographe 4 arrêts plus loin. Je vous laisse y réfléchir, ma fille a commencé par hurler :
C’est impossible !
Ça, c’est pour l’évaluation, mais bien sur, avant de pouvoir passer ces tests, il faut avoir eu cours. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que le programme de l’éducation nationale concernant l’informatique au collège est très, très ambitieux.
D’après le site du ministère de l’éducation nationale, en plus des 4 à 5 autres items de l’enseignement de technologie…
Un enseignement d'informatique, est dispensé à la fois dans le cadre des mathématiques et de la technologie. Celui-ci n'a pas pour objectif de former des élèves experts, mais de leur apporter des clés de décryptage d'un monde numérique en évolution constante. Il permet d'acquérir des méthodes qui construisent la pensée algorithmique et développe des compétences dans la représentation de l'information et de son traitement, la résolution de problèmes, le contrôle des résultats.
Quand on regarde le détail des programmes, on voit plus précisément ce qui est demandé au collégiens, donc des élèves de tous horizon qui ont entre 12 et 15 ans :
Attendus de fin de cycle :
- Comprendre le fonctionnement d’un réseau informatique : Composants d’un réseau, architecture d’un réseau local, moyens de connexion d’un moyen informatique, Notion de protocole, d’organisation de protocoles en couche, d’algorithme de routage, Internet.
- Écrire, mettre au point et exécuter un programme : Analyser le comportement attendu d’un système réel et décomposer le problème posé en sous-problèmes afin de structurer un programme de commande. Écrire, mettre au point (tester, corriger) et exécuter un programme commandant un système réel et vérifier le comportement attendu. Écrire un programme dans lequel des actions sont déclenchées par des événements extérieurs.
Concrètement, ça veut dire que les élèves de collège apprennent à compter en binaire, à structurer un réseau, à faire un plan d’adressage IP avec masque de sous-réseau etc. Vous pouvez retrouver les fiches de connaissance sur le site de l’Académie de Toulouse, qui vont assez loin dans le détail des enseignements et qui sont donc parfaitement arides.
Vous pouvez même vous entraîner a passer des tests, pour voir si vous avez le niveau collège en systèmes et réseau.
Alors, je ne dis pas que ce sont des connaissances inutiles, loin de là, mais vu le peu de temps qui leur est consacré, et l’absence de mise en pratique, il ne va pas en rester grand-chose aux collégiens. Au mieux, ils n’en retiendront rien, sauf pour les plus passionnés, qui doivent déjà savoir tout ça, et au pire, ils en sortiront dégoûtés, persuadés qu’ils sont trop bêtes pour comprendre.
Ma fille en 3ème a 1 h 30 de technologie par semaine, et l’informatique n’occupe qu’un quart des enseignements. Alors l’autre soir quand je suis rentrée du travail, je l’ai trouvée se lamentant sur un devoir de brevet blanc a rendre pour le lendemain. J’ai donc passé plusieurs heures a lui faire un cours sur les réseaux, internet, les adresse IP et comment compter en binaire afin de lui permettre de répondre au devoir.
Elle était censée connaître déjà ça, mais n’en n’avait qu’un vague souvenir. D’une part la magie des réseaux ne la touche pas particulièrement, hélas, surtout de la façon dont elle est enseignée, et d’autre part, la formulation des questions de l’exercice était très bizarre, voire illogique.
Par exemple, l’administrateur réseau fictif du problème utilise le numéro du département comme premier octet de l’adresse IP de son réseau public. Ça ne gène pas la résolution théorique du problème, mais ça me fait le même effet que si on demandait de calculer le trajet parcourut par un cycliste qui roule à 350 km/h. Apparemment le professeur qui a rédigé le devoir n’était lui même pas a l’aise avec les concepts qu’il doit enseigner.
Et au-delà des programmes d’enseignement de l’informatique bien trop ambitieux pour le collège, à mon avis, le véritable problème, c’est celui de la formation des enseignants et du temps accordés eux élèves.
Dans un article de Libération du 15 février 2022 (« Dans les collèges et les lycées, un enseignement à moyens ternes ») on apprend donc que d’après le syndicat Snes-FSU, 7 900 emplois d’enseignants ont été supprimés entre 2018 et 2022, soit l’équivalent de 175 collèges.
Le ministère de l’Éducation reconnaît la suppression budgétaire de 410 équivalents temps plein d’enseignement pour la rentrée, mais compensés par 350 emplois de CPE (conseiller principal d’éducation), personnel infirmier et sociaux, ce qui n’est bien évidement pas équivalent en terme d’enseignement.
Conséquence de cette disparition d’heures d’enseignement, les classes sont surchargées, avec au minimum 30 élèves par classe. Et la plupart des matières sont enseignées en horaires planchers, c’est à dire qu’elle ne disposent que des horaires minimum d’enseignement. Donc, pas de demi-groupe et dans certains cas, pas de TP.
Le collège de ma fille est bien loti, il y a des salles d’informatique. Les élèves ont des TP en demi-groupe, avec un poste par binôme. Sous Windows 10, certes, mais qui fonctionne. Et ma fille est privilégiée, car elle a accès a un ordinateur à la maison, et des parents qui peuvent lui expliquer les concepts qu’elle doit avoir vu en classe.
Mais ce n’est pas le cas de tous ses camarades, et vu les conditions d’enseignement actuelles, la maîtrise de l’outil numérique sera forcement une nouvelle source d’inégalité.
Texte : Vicla
Photo : Install party Toulibre du printemps dans le cinéma Utopia Tournefeuille, CC BY-SA-NC DaScritch