Extrait de l'émission CPU release Ex0093 : Histoires de la cryptographie, 3ème partie : Des espions et des ondes.
Hedwig Eva Maria Kiesler nait à Vienne en 1914. À 16 ans, elle entre dans le milieu du cinéma, attirée par la technique, mais son joli minois la passe rapidement de script de plateau à devant la caméra. Elle se retrouve l'année suivante à l'affiche de films à succès et commence parallèlement une carrière au théâtre.
En 1933, à 17 ans, elle joue plusieurs scènes complètement dénudée, et même un orgasme dans la première scène de sexe montrée dans un film de fiction non-pornographique (Le lien est dans la phrase, bande de petits vicelards). Le film en question, « Extase » fera un carton mondial, il sera projeté à la deuxième Mostra de Venise… où il fit scandale. L'Église et Mussolini reprennent en main l'organisation et la programmation de l'édition suivante du festival.
À en croire les résumés de ce film, il raconte qu'une femme trois fois plus jeune que son mari est délaissée par ce dernier, elle prend un amant.
Et justement, l'actrice va se marier quelques mois après le tournage du film. Elle a 18 ans, il en a 33 (oui, belle différence d'âge là aussi). Monsieur sera Freidish Mandl, la 3ème fortune d'Autriche. Un important marchand de canons, il commerce avec les dictatures fascistes dont il épouse aussi les idées. Il reçoit dans son manoir ses meilleurs clients, les dictateurs Mussolini, Hitler, et leurs homologues fascistes hongrois, roumain, etc…
En privé, Freidish Mandl se montre terriblement jaloux et possessif de sa femme Hedwig. Son obsession pour le film « Extase » le pousse à en racheter toutes les copies disponibles, ou presque : ainsi, Benito Mussolini refusa de vendre la sienne. Oui, le même Benito offusqué de sa projection à la Mostra. Devant l'insistance de ce marchand de canons à racheter la pièce, Benito a dû penser que sa femme était une bombe très puissante.
Monsieur Mandl obligeait Madame Mandl à ne pas quitter son manoir sauf en sa compagnie. L'obsession de son mari empêche Hedwig Kiesler de continuer sa carrière d'actrice, à un âge où bien des rôles lui sont offerts.
Leur mariage ne tiendra même pas 4 ans.
Elle le fuit dans des conditions très rocambolesques : elle racontera qu'elle a drogué sa domestique qui la surveillait, et s'était déguisée avec son uniforme pour quitter Vienne. Enfin, ça c'est ce qu'elle a raconté. Hedwig Kiesler part pour Paris puis Londres. La beauté de l'actrice et sa réputation sulfureuse due au film convainc Louis B. Meyer, le patron du studio MGM pourtant réputé de mœurs très prudes, à lui offrir un contrat avec sa major. Elle ne se fait pas prier pour emménager à Hollywood en 1938, car ses origines juives la mettent en danger dans une Europe grignotée par l'Allemagne Nazie. C'est là qu'elle prit Hedy Lamarr pour nom de scène.
Elle joue aussitôt dans le film « Casbah », remake du « Pépé le Moko » avec Jean Gabin, son premier carton aux États-Unis, où sa beauté sera comparée à celles de Greta Garbo ou Marlene Dietrich.
Elle tourna dans une trentaine de films, notamment le « Démon de la chair » (un thriller d'Edgar George Ulmer, en 1946) et « Samson et Dalila » (peplum de Cecil B. DeMille en 1949, un gros carton deux fois oscarisé).
Et elle eu au civil 5 autres mariages… et des amants à en remplir la presse à scandale qui la qualifiait de la plus belle femme d’Hollywood
. Elle confessera des liaisons avec Howard Hughes, Robert Capa, John Fitzgerald Kennedy. Beau palmarès, mais ce n'est pas ça qui nous intéresse.
Déjà curieuse sur les technologies, l'actrice a pris goût avec son premier mari pour l'armement et la recherche militaire.
Hedy Lamarr est… Le Gourou
Car oui, en plus d'être magnifique, l'actrice était géniale ! Après de longues journées de tournages à Hollywood, elle adorait imaginer, bricoler et inventer dans son atelier.
Ayant suivi son premier mari dans plusieurs colloques de militaires, industriels et scientifiques, elle s'est intéressée à la recherche appliquée dont les problématiques de l'armement. Comme celui du guidage des torpilles marines.
La torpille radio-guidée était une technologie toute récente mais souffrant d'un très gros problème : le risque que le signal soit repéré par l'ennemi, qu'il soit donc brouillé et que le missile soit détourné de sa cible. Il était important que la fréquence de commande ne soit pas facilement trouvable. Eh oui, toujours la même problématique de la fréquence secrète
de Marconi.
Son idée qu'elle a eu avec le pianiste George Antheil consistait à faire des sauts rapides entre fréquences au signal, selon des séquences synchrones entre l'émetteur de commande et la torpille guidée. On prend un signal pilote, qu'une mécanique fait bouger le long d'une certaine largeur de fréquence, sur des décalages qui semblent au hasard. On n'est pas vraiment dans un chiffrement, mais dans une dissimulation qui prend les mêmes bases aléatoires que le chiffrement.
Pour ce mode de transmission, il faut mobiliser une bien plus grande bande passante que réellement nécessaire, mais quand on est en temps de guerre, on prend la ressource dont on a besoin.
Leur concept fut travaillé avec des chercheurs du California Institute of Technology, le CalTech, et des équipes mises à disposition par Howard Hughes qui soutenait le violon d'Ingres de l'actrice. Le brevet est déposé en 1941 sous son vrai nom ; Hedy Lamarr le tient à disposition de l'état Fédéral et de l'Armée Américaine, ce qu'elle estimait être de bonne guerre
.
Vous ai-je dit qu'elle connaissait Hitler, Mussolini et consorts ?
Mais si la théorie était belle, l'électronique de l'époque, principalement à lampes, n'était aucunement capable de tenir les caractéristiques suffisantes : fragile, encombrante, et pas très réactive car soumise à un temps de chauffe. Sans compter la mise en œuvre de la programmation du saut de fréquence, à base de mécanique de piano automatique. Une excellente idée mais trop novatrice, qui allait dormir dans des cartons pendant une vingtaine d'années…
(probablement à côté de l'Arche d'Alliance, qui sait ?)
La technologie du saut de fréquence put enfin être mise en œuvre grâce aux transistors qui apparurent au début des années 1950s et aux circuits intégrés 10 ans plus tard. Les premières radios à saut de fréquence furent embarquées pour le blocus de Cuba, lors de la crise des missiles en 1962, soit juste après l'expiration de son brevet.
C'est au début des années 1980s que cette technologie commença enfin à émerger dans le civil.
Ainsi, le saut de fréquence fut la base du standard américain de téléphonie mobile numérique CDMA (Code-Division Multiple Access). Cette astuce permit d'ajouter une sécurité contre les écoutes, trop faciles en radiotéléphonie analogique, mais aussi pour réduire les interférences avec les autres émetteurs et permettre à plusieurs personnes de transmettre en même temps.
On retrouve aussi l'étalement de spectre par saut de fréquence, le nom du procédé, dans le signal GPS et dans les premiers modes de transmission Wi-Fi afin de corriger les échos, les distorsions et les interférences avec les autres signaux.
Si Hedy Lamarr fit fortune en tant qu'actrice, elle se ruina par ses activités de productrice au cinéma ; quant au brevet sur la transmission radio à étalement de spectre, il ne lui rapporta pas grand-chose. Son autobiographie sorti en 1966 « Ecstasy and Me » racontait ses nombreuses aventures amoureuses mais entachât sa réputation ; elle accusa plus tard les plumes de la maison d'édition d'en avoir romancé une bonne partie. Comme elle faisait très peu d'interview en radio ou à la télévision, cela n'aida pas à sa cause. Son livre fut parodié par Andy Wharol dans un vaudeville dramatique, elle fut moquée par François Truffaut dans « La Nuit Américaine » :
J'ai connu des caprices plus couteux ! ll y avait une actrice autrichienne, Hedy Lamarr, qui était une des reines d'Hollywood. Elle regrettait tellement le climat pluvieux de son Tyrol natal qu'elle avait fait installer dans sa propriété en Californie une machine à faire la pluie.
(Alexandre, à 1h32 dans le film)
Hedy Lamarr poursuivi Mel Brooks car son film « Le sheriff est en prison » comportait un certain Hedley Lamarr
que les autres protagonistes surnomment Hedy
; elle ne goûta pas la blague, mais se fera débouter par la justice.
Dans les années 1970s, elle ne répond même plus aux propositions et fuit tout rencontre physique, refusant de se montrer, obsédée qu'elle était par sa beauté passée. Elle tenta de la regagner par la chirurgie esthétique, mais le résultat fut pire.
Elle vécut ses dernières décennies recluse dans son appartement, ne communiquant que par téléphone, qu'elle utilisait plusieurs heures par jours.
C'est une interview de Fleming Meeks pour le magazine Forbes en 1990 qui révéla au public son rôle d'inventrice, une interview qui servira de base au documentaire « Bombshell : The Hedy Lamarr story », renommé en France « Hedy Lamarr : From Extase to wi-fi ». La manière dont elle fut écartée du monde des inventeurs car trop belle, et spoilée de son brevet car non Américaine, fut révélée et a fait scandale. L'industrie lui a rendu hommage, tardivement, certes, mais avec respect : Pour sa technologie ingénieuse, Hedy Lamarr et George Antheil reçurent en 1997 le prix des pionniers de l'EFF (L'Electronic Frontier Foundation).
Hedy Lamarr mourut de vieillesse en 2000, retirée en Floride.
Texte : DaScritch
Photo : Hedy Lamarr, dans le film « Let's Live a Little » en 1948, détail, CC Employee(s) of Lion-Eagle Films