Extrait de l'émission CPU release Ex0159 : Légendes confidentielles du minitel, première partie.
Un minitel est une propriété insaisissable de l'État. Du moins, au début, puisque qu'après il devint possible de l'acheter. Ce qui est le cas de l'exemplaire devant vous, que nous pouvons donc ouvrir en toute tranquillité et déchirer l'étiquette, puisque sa garantie a expiré.
L'appareil, d'aspect extérieur est monobloc. L'écran fait corps avec le clavier et son alimentation électrique. À partir des modèles 1b, le clavier sera ingénieusement escamotable, soit se rétractant sous l'écran, soit en le rabattant sur l'écran.
Techniquement, le minitel est un terminal, c'est à dire qu'il ne dispose de quasiment aucune intelligence, et ne fonctionne que connecté à un vrai
ordinateur, un serveur. Dans la réalité, il comporte un micro-processeur, le 8052, un processeur 8 bits avec une mémoire ROM de 8 ko et une mémoire vive de 256 octets.
Cette puce est, ô ironie, sous licence Intel…
Donc malgré toutes les précautions gouvernementales, les puissances financières capitalistiques américaines avaient réussi à se faire une place dans le saint-des-saints technologique français…
Hélas oui, mais il était trop difficile de faire autrement. Leur avance était considérable, et les essais avec des fournisseurs soviétiques avaient été encore décalées à leur prochain plan quinquennal.
Heureusement, la partie graphique a sauvé les meubles : il était basé sur la norme française Videotex, celui des téléviseurs Antiope. Donc une puce parfaitement française et uniquement française, le EF9345 de Thomson, qui faisait déjà ses preuves sur les porte-avions de classe Clémenceau.
Attendez ! Attendez…
Vous voulez dire qu'on a utilisé des pièces informatiques militaires dans le minitel ?
Oui, bien sûr ! La production de masse permettait de réduire considérablement le prix des pièces détachées.
Cette merveille de chez Thomson peut afficher 40 colonnes par 25 lignes, dont la première est réservée pour afficher l'état du terminal, s'il est en ligne ou non et le prix de la communication. Il peut afficher 8 couleurs, idéalement en niveau de gris, car personne chez les PTT n'était prêt à assumer de payer la redevance couleur pour un million de terminaux.
Il est possible de basculer des caractères en mode mosaïque monochrome de 2 colonnes sur 3 lignes, ce qui monte la résolution à 80 par 75. Avec les gros pixels joints ou séparés.
Le clavier est dans le fier assemblage AZERTY, 100 % Français. On a bien tenté une autre disposition mais…
Le Bépo ?
Non, non, l'ordre alphabétique. Mais trop de testeurs préféraient la même disposition qu'une machine à écrire, qu'ils trouvaient plus intuitive.
Le clavier du Minitel disposait d'une avancée extrêmement rare dans l'informatique à l'époque : un pavé numérique !
contrairement aux ordinateurs et calculatrices dont le 1 est en bas à gauche et le 9 en haut à droite, sur le minitel, les chiffres sont disposés en pavé téléphonique, donc le 1 en haut et le 9 en bas, avec le 0 entre les touches # croisillon
et * astérisque
.
On peut pas dire dièse
et étoile
?
Non, on est ni Cité de la Musique, ni à la Place de l'Étoile.
En France on dit croisillon
et astérisque
. Ce choix fut ministériellement poussé car René Goscinny, l'illustre scénariste de la bande dessinée « Astérix » a promis au premier ministre Raymond Barre plein de gags publicitaires dans ses albums à venir pour populariser le minitel.
Hélas, mort en 1977 avant le lancement, le contrat était devenu caduc.
Et les touches spéciales, comme la touche Envoi ?
Envoi n'est d'ailleurs pas le ⮐ Retour chariot mais il y ressemble fortement. Correction est notre bon vieux ⇐ Retour arrière avec effacement du dernier caractère. La touche Répétition commandait le ⭮ renvoi de la page par le serveur, si jamais la transmission a été perturbée par l'adolescente du dessus qui a décroché la ligne téléphonique familiale, perturbant l'affichage de l'appareil par ses insignifiants babillages.
Une touche noire en haut à gauche permettait de basculer entre majuscules et minuscules. Celle que l'on appelle maintenant le ⇧ Shift. La suite du premier rang au dessus des lettres était exclusivement typographique, sans chiffres de haut de casse.
Il y a aussi les touches Retour et Suite qui sont ni plus ni moins les touches ⭻ Page précédente et ⭽ Page suivante des ordinateurs plus modernes.
Sommaire permettait de revenir à la page de garde du service, et Guide donnait théoriquement une aide contextuelle, comme nos futures touches F1.
Les spécialistes de la question font une analogie de ces touches avec la navigation dite documentaire
dans un service informatique. Des concepts qui existent toujours sur la majorité des sites web. Car bien évidemment , la France a oublié de breveter ces touches à l'international.
Et enfin, la touche Connexion/Fin. L'usager composait sur son combiné téléphonique le numéro d'accès à son service, quand il entendait la mélodie du modem du serveur, il appuyait sur Connexion/Fin pour lancer le terminal et raccrochait son téléphone pour éviter les interférences.
Et quand il en avait fini, il ré-appuyait sur Connexion/Fin pour raccrocher et libérer la ligne téléphonique.
Des esprits chagrins ont regretté que l'idée d'effacer l'écran à la fin de connexion n'aie pas été retenue, car après les premières livraisons de terminaux. Quel dommage ! Cette idée aurait sûrement aidé à gonfler les factures téléphoniques et donc la rentabilité du réseau Transpac.
Texte : Da Scritch
Interprété par DuSport et Monsieur X
Photo : Minitel 1 de La Radiotechnique, photo d'une annonce sur eBay, D.R.