Extrait de l'émission CPU release Ex0161 : Légendes confidentielles du minitel, troisième partie.
Monsieur X, vous parliez de pirates du minitel. Il y a eu quelques amateurs éclairés qui avaient conçu un service chez eux.
Oui, tout à fait.
Il y a des gens aventureux qui dans leur chambre sous la mansarde ou dans leur garage, avaient monté leurs propres services minitel, branché directement sur leur ligne téléphonique. Ils ne bénéficiaient donc ni du numéro court, ni des revenus du kiosque, ni de pouvoir recevoir des appels vocaux sur leur propre ligne téléphonique. Et comme ils n'avaient qu'une ligne, dans l'architecture du minitel, cela voulait dire qu'ils n'avaient qu'un seul usager en même temps. Peut-être deux ou trois s'ils avaient le luxe d'avoir plusieurs abonnements téléphoniques.
Ce type de service existaient aussi dans d'autres pays, mais il fallait un ordinateur pour y accéder, faute de terminaux accessibles au grand public. Services téléphoniques amateurs qu'on appelle dans le jargon anglophone un BBS, un Bulletin Board Service
. En soit, un petit journal électronique pour le collège ou le club d'échec.
Juridiquement, il n'y avait strictement rien d'illégal de monter un service de télématique hébergé chez soi. Sinon une perte de revenus potentiellement conséquents pour les services opérés par de vrais professionnels, et c'est pour ça que Jean-Michel Baylet, le président du parti PRG et du groupe de presse La Dépêche, avait à un moment envisagé de les faire interdire par un projet de loi.
Ces serveurs personnels étaient appelés en France RTC, Réseau Téléphonique Commuté
, puisqu'ils se passaient du réseau Transpac. Il suffisait de renverser le modem d'un minitel, c'est à dire de le passer en 75 bauds en réception mais 1 200 bauds en émission, pour transformer le minitel comme point d'accès serveur. Et de relier la prise série à l'arrière à un ordinateur comme un Apple II, un Thomson MO5, un Oric Telestrat ou un Atari ST.
Ce… bricolage… permit à toute une génération de jeunes développeurs en chambre de s'intéresser à l'administration d'un serveur télématique sans les soucis pour les utilisateurs de la note de frais astronomique du 36 15, ou des problèmes de compatibilité entre ordinateurs. Évidemment, faute de logiciels de composition graphiques, il durent apprendre à concevoir les pages minitéliques dans les conditions les plus rudes. Saluons ces pionniers, qui proposaient des services sympathiques sans aucune prétention, au prix d'un appel téléphonique normal.
Pour contacter ce genre de service, il fallait donc connaître son numéro de téléphone, et espérer que personne n'y soit déjà connecté. La publicité en était confidentielle et l'usage très très rare, quasi hobbyiste. Les rares bouchers qui avaient monté un petit service personnel pour donner le cours de leur saucisse en étaient souvent pour leurs frais.
Malheureusement, certains de ces services versaient dans la petite délinquance comme la copie illicite de logiciels commerciaux, les discussions politiques et les annonces de nouba clandestines de musique techno.
Finalement, ces serveurs RTC disparaîtront assez vite à la fin des années 1990s, avec l'arrivée d'internet et des premiers sites web. La jeunesse talentueuse ne voulait plus faire son devoir patriotique de soutenir les projets informatiques nationaux, hélas.
Hélas. Ça annonçait la fin du Minitel.
Oui, mais pas tout de suite. La France est heureusement assez conservatrice, et les citoyens modèles continuaient à préférer l'annuaire électronique sur un petit appareil qui tombait très rarement en panne, plutôt qu'un gros ordinateur de type IBM PC, très cher à l'achat et continuellement vérolé.
Texte : Da Scritch
Interprété par DuSport et Monsieur X
Photo : Un Atari ST en serveur RTC couplé à un Minitel 2, photo par Hytrel sur le forum de museeminitel.net, D.R.