Version longue de l'interview diffusée dans l'émission CPU release Ex0166 : Design graphique dans les pratiques de la science.
Nous recevons Anne-Lyse Renon, enseignante-chercheuse en design.
Anne-Lyse, tu as exploré dans tes recherches de multiples embranchements qui tricotent entre eux les modes de représentation de la science (disons, des pratiques scientifiques
) et le design. Ce travail de nœuds et de maillages t’amènes à côtoyer tout autant la philosophie des techniques, les sciences et technologies studies, la sociologie des sciences, l’anthropologie, la culture visuelle des sciences entre autres choses, j’imagine qu’il n’a pas dû être facile d’apprendre à naviguer entre ces différentes disciplines et pratiques. Tu as eu la chance de croiser sur ta route des figures importantes, je pense à Bruno Latour et à Peter Galison avec qui tu as travaillés. Tu es aujourd’hui maîtresse de conférence au laboratoire Pratiques et Théorie de l'Art Contemporain de l'université Rennes 2 et adjointe scientifique à la Haute École d'Art et de Design de Genève (HEAD - Genève).
Un ouvrage de couleur chaleureuse est récemment paru. Il retrace de manière synthétique les questions que tu posais dans ta thèse que tu as faite à l'école des hautes études en science sociale et obtenue en 2016 : « Design et esthétique dans les pratiques de la science ». L’ouvrage s’appelle « Design & Sciences ». Le sujet est vaste, audacieux, ambitieux. Au moment où tu as commencé ta thèse en 2010, les thèse en design n’était pas monnaie courante, et le moins qu’on puisse dire est que ce sujet n’était pas aussi répandu et discuté qu’il l’est aujourd’hui. Tu fais partie des intellectuelles qui ont fait ce travail de débroussaillage de savoir ce qui compte, ce qui importe à mettre dans la balance pour évaluer design et science côte à côte. Tu entres de fait dans un travail d’enquête, d’investigation.
- Première partie : Un regard sur les images de la science
- La première chose que j’aimerai aborder avec toi est ta réflexion sur le regard, la vision, à travers ce terme d’objectivité. Pourquoi déjà, est-ce important de se questionner sur l'objectivité depuis le point de vue de quelqu’un du design, puisque, bien que tu ne te définisse pas comme designer, tu viens résolument de ce champ là ?
- Deuxième partie : Objectivité des savoirs scientifiques
- J’aimerai aborder avec toi quelque chose que j’effleure dans l’introduction de cet épisode, sur la nécessité d’une objectivité féministe, telle que décrit par Haraway dans son manifeste du savoir situé. Au fond, le constat est porté sur la recherche qui tente de séparer une science qui serait pure, objective, dégagée de l'opinion générale. D’après Stengers ce partage entre objectivité d’une part et ce qui compte de l’autre part est dommageable. Elle propose ainsi un passage à la pluralité et parle de sciences avec un
s
. Je voulais avoir un retour avec toi concernant cette chose là, car je crois effectivement qu’il paraît opportun de parler de sciences avec uns
quand on pense à la situation de ces dernières et à leurs pratiques. Je pense que c’est important également parce que nous qui sommes dans le design, au fond, je crois que nous sommes du côté des questions qui compte, des opinions et assez peu dans la question de la recherche pure ; quoique nous pourrions en discuter tu montres bien que le point de vision importe dans la façon même de poser les questions scientifiques et c’est ce que disent également les féministes.
- J’aimerai aborder avec toi quelque chose que j’effleure dans l’introduction de cet épisode, sur la nécessité d’une objectivité féministe, telle que décrit par Haraway dans son manifeste du savoir situé. Au fond, le constat est porté sur la recherche qui tente de séparer une science qui serait pure, objective, dégagée de l'opinion générale. D’après Stengers ce partage entre objectivité d’une part et ce qui compte de l’autre part est dommageable. Elle propose ainsi un passage à la pluralité et parle de sciences avec un
- Troisième partie : Matérialisme des sciences
- Peut-être pour tenter de clarifier un peu l’on peut avancer la différence majeure qui tient à une science déjà faite ou en train de se faire.
- Quatrième partie : Design as knowledges
- Si je te lis bien, l'hypothèse que l’on peut avancer c’est que le design est producteur de connaissance, disons est une pierre angulaire de la production de la connaissance car la production graphique est très importante à la pratique scientifique. Qu’est-ce que cela ouvre comme horizon de travail, de possibilité pour la recherche en design ?
- Je pense aux instruments de visions à questionner, mais aussi en réalité aux formes de réalité de langage et de métaphore : ces images et imaginaires là importent.
- Dans l’entretien dans la dernière partie de ton ouvrage, il y a un entretien avec Peter Galison, dans lequel vous citez quelques initiatives existantes pour rapprocher design et science aux États-Unis (Peter est professeur d’histoire des sciences et de physique à l’Université d’Harvard) : le MIT, laboratoire à Cambridge, Stanford. Comment est-ce que tu envisages de ton côté cette rencontre Design et Science ?
- Si l’on se projette dans une Université idéale, et vu les lois (LPPR) qui sont en train d’être votées, ni toi ni moi, ne pouvons prétendre à cet espoir, mais tout de même, si nous faisons cet exercice de projection, à quoi ressemble cette rencontre ?
- Pas de côté : critical design et éthique embarquée : soutient au fond les politiques de recherche, les aiguilles plus que ne les critique (Bernadette Bensaude-Vincent) Comment on fait pour ne pas soutenir une idéologie ?
- Ma réponse serait de dire qu’on doit se situer dans la science en train de se faire (ce qui permet aussi d’envisager le laboratoire comme lieu de production) du savoir mais pas que d’objet technique, d’images, ect… comme tu le soulignes dans ton livre. Quelle serait ta position ?
- l y a je crois, un terme qui revient en ce moment, c’est celui d’enquête. Robin de Mourat vient de publier sa thèse qui s’intitule Le vacillement des formats : Matérialité, écriture et enquête : le design des publications en Sciences Humaines et Sociales où l’on retrouve cette pratique ; David Benqué, le premier invité de Bio is the new black, travaille lui-même sur des formes d’enquête diagrammatique. Je pense aux travaux de Vinciane Despret, à ceux de Nicolas Nova, etc… Je crois qu’il y a dans ce terme, il me semble que tu utilise un terme également assez proche, celui d'investigation, il y a dans ce terme quelque chose qui rapproche un champ de la découverte et une pratique du design situé, et au fond une recherche de connaissance ou de façon de connaître par les outils du design : l’observation, l’enquête de terrain, et la projection, qui est souvent une projection collective comme c’est le cas des pratiques de design participative. Comment est-ce que tu perçois cette pratique de l’enquête actuellement ?
- C’est aussi une façon de faire du design autrement, de ne pas répondre à des injonctions d’innovation, de nouveautés, de production qui ne sont pas toujours pertinents, par exemple le studio italien Formafantasma et leur exposition / projet Cambio (2020) sur la gouvernance de l'industrie du bois. La documentation donc le document en tant qu’objet y joue un rôle important, la façon de mettre en regard, en inter-connexion des savoirs éparses l’est tout autant. Cela permet des nouveaux modes d’écriture, de mise en forme, et un terrain de jeu tout à fait passionnant.
- Aramis également dans sa forme d’écriture : enquête / Est-ce qu’on assiste (enfin) aux croisements entre sciences sociales et design ?
Photo : D.R.