Extrait de l'émission CPU release Ex0180 : Mecha, seconde partie.
Chicago, 1990. Le futur s'ouvre dans une salle d'arcade.
À l'époque, les quelques jeux vidéos 3D comme Flight Simulator, SkyFox ou Arcticfox demandent un Amiga pour être utilisable, c'est à dire un des très rares ordinateurs familiaux munis d'un blitter, une puce de rendu graphique dédiée. Et encore, une carte accélératrice est vivement conseillée… On a bien eu des jeux d'arcades comme Star Wars sur des écrans vectoriels, mais la technologie est primitive, sa 3D en fils de fer.
Seul le film The Last StarFighter sorti en 1984 montre une borne d'arcade qui fait de la 3D pleine, performance réalisée grâce à la puissance d'un super ordinateur Cray X-MP, et même pas encore en temps réel.
En 1990, les cartes vidéos sur PC même à prix (ahem) industriel
sont très lentes, et acheter une Silicon Graphics qui a des rendus suffisamment rapides pour concevoir un jeu en 3D revient au prix d'une grande maison. Ne parlons pas de la SNES ou de la Playstation qui n'arriveront que bien plus tard.
Donc, sur les rives du lac Michigan, s'ouvre une attraction spectaculaire : Imaginez 16 bornes d'arcades immersives, appelées pods
. Chaque pod
est un cockpit taille réelle
qu'on referme sur soi, assis face à deux grands moniteurs, un joystick d'orientation, un de profondeur, deux pédales, une trentaines d'afficheurs numériques à diodes et quatre-vingt gros boutons de fonctions.
10 minutes de jeu pour 15 € actuels.
La 3D de l'époque est grossière, en pseudo-polygones pleins non-texturés, on a un décor mappé tout au fond, l'action est saccadée avec sa dizaine d'images par secondes, mais pour l'époque, la fluidité est remarquable. Bon, par contre, y'a pas de gestion de collisions entre mechs
, ne songez même pas faire un suplex façon catch américain.
Le pod est connecté aux autres du Battletech Center. N'avoir que des adversaires humains rend le challenge souvent plus intéressant que des logiciels. À l'époque, le jeu en réseau se limitait à deux ordinateurs dans la même pièce.
Mais revenons à la base de cette franchise.
FASA est un éditeur de jeux de plateaux basé à Chicago, qui a connu un succès explosif avec le jeu de plateau « BattleTech » sorti en 1984, dont l'univers est fortement inspiré de dessins-animés japonais comme « Macross ». Profitant de ce succès, FASA tente de se diversifier toujours dans leur univers. Avec quelques jeux vidéos, il développent en parallèle ce compte de salle d'arcade hors norme. Et après avoir lancé le BattleTech Center, FASA lancera une franchise de jeux sur PC grâce à la démocratisation des cartes VGA accélérées.
Chicago, c'est aussi une ville où l'on trouve de nombreux grands noms de l'arcade : Bally, Midway, Gottlieb et des start-ups comme Incredible Technologies qui s'y connaissent aussi bien en flippers qu'en spectaculaires bornes immersives. Donc les talents ne manquent pas dans la région : des électroniciens, des informaticiens, des graphistes, des décorateurs et des scénographes de parc à thèmes.
Les premiers prototypes des bornes BattleTech avaient essayé des technos novatrices comme l'idée de mettre des petits moteurs dans les joysticks pour donner une sensation lors des tirs de mitrailleuses. Oui, le retour de force ! Ou encore le fait de pivoter le torse du mech tout en marchant, histoire de tirer au flanc. À lire les docs sur le sujet, le nombre d'innovations est admirable ; l'informatique derrière est lourdement spécialisée, architecturée autour d'un Amiga 500 équipée d'une carte vidéo custom au puces ultra-spécifiques et de multiples cartes d'extensions, le code source fut écrit dans de multiples langages.
Du peu que j'ai pu lire à l'époque, le maniement du simulateur est complexe, car bourré de fonctionnalités ; une complexité incitant les mordus à refaire la queue pour refaire une partie. Et comme chaque robot a son nom et son design dans le jeu, même à caractéristiques égales, certains joueurs réguliers ont leur petit chouchous.
Une vingtaine de BattleTech Centers seront ouverts, surtout aux États-Unis, mais aussi deux au Japon, une en Australie et une à Londres. Pensés comme de véritables parc d'attraction numériques, l'atmosphère est soignée dès l'accueil avec mess/bar des pilotes, une vidéo d'introduction featuring Jim Belushi, une green room avec écrans tactiles pour expliquer sommairement les commandes, une salle de briefing et à la sortie un diplôme qui vous donne votre score. Manque presque « Welcome to the Jungle » des Guns'n'Rose pour la bande son. Le carton sur les yuppies est assuré. La cible CSP+ est atteinte dans le mille, trop heureuse de résoudre par des armes virtuelles les non-dits du taf.
Mais la technologie est custom, propriétaire, complexe à maintenir… Commodore liquidé en 1994, l'avenir de l'Amiga est incertain. Une deuxième génération des bornes sort en 1993, basée sur des Mac, toujours des cartes customs mais avec de la vraie 3D nettement plus fluide ; ces changements de plateforme hardware demande de redévelopper toute la suite logicielle, ajoutant maintenance et mises à jour en remote access par ligne téléphonique. D'autres jeux y furent développés pour ce même pod comme une course à la WipeOut. Ces bornes sont chères mais dans cette décennie, ces installations cartonnent.
La cinquième génération de borne dite Tesla II basée sous Windows 2000 embarque 7 moniteurs par pod.
Les pods pouvant désormais jouer contre les pods d'autre centres via liaison télécom dédiée vont créer des communautés de joueurs qui se défient sur plusieurs faisceaux horaires. L'occasion de monter des compétitions mondiales
diffusées sur une chaine câblée, assurant une visibilité publicitaire.
Mais la démocratisation des cartes vidéos accélérées et des configs de gamers vont rendre ces salles d'arcades désuètes. En 1999, Microsoft achète la société productrice, Virtual World Entertainment Group, intégrant la branche jeux vidéos sur PC à leurs équipes et revendra la branche arcade, mais celle-ci ne brille plus. Il y a néanmoins des passionnés qui travaillent à maintenir des grappes de pods toujours fonctionnels, remplaçant notamment les antiques tubes cathodiques par des écrans LCD, mettant à jour les OS, voire étendant les logiciels. Ils vont jusqu'à gérer des ruches de pods qui font le tour des conventions SF, mais hélas pour nous surtout aux États-Unis.
Quant à l'équipe de développement originelle, ils ont tenu en Septembre 2020 une conférence en ligne qui fait découvrir l'incroyable complexité de cette borne.
Texte : Da Scritch
Sonore © Radio <FMR>
Illustrations sonores : EPK de Virtual World Entertainment pour l'ouverture du Battletech center de Los Angeles, Guns'n'Roses - Welcome to the Jungle.
Photo : Intérieur du cockpit d'un pod, compte Facebook de Virtual World Entertainment, LLC, D.R.