Extrait de l'émission CPU release Ex0195 : Trains.
Si vous le ne le saviez pas, le 14 Octobre est le Tetsudo no Hi, la journée nationale du chemin de fer au Japon, laquelle commémore l'anniversaire de l'inauguration officielle de la première ligne ferroviaire japonaise entre Shimbashi et Yokohama le 14 octobre 1872. Donc oui, cette année, c'est le 150ème anniversaire.
Même si l'arrivée des trains est plutôt tardif au Japon [comme quoi…], une cinquantaine d'années après la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, c'est étonnant combien l'archipel nippon a un tropisme fort pour les transports ferroviaires.
Il existe un genre de jeux vidéos totalement incongrus pour nous Européens : les simulateurs de conduite de train dont « Densha de Go! » est la locomotive du genre. Le frisson du gamer à conduire le TER 70400 depuis l'Isle-Jourdain en passant par Colomiers et son arrivée à Matabiau dans la marge impartie : 30 secondes. Ben non, c'est le genre de jeu où l'on doit arriver en dessous des 10 secondes de précision pour gagner des points.
Seulement au Japon, il n'y a pas que cet amour du public pour les trains, il y a aussi une étonnante procédure qu'on voit dans les gares de l'archipel : Les conducteurs et contrôleurs de trains nippons sont connus pour leurs uniformes et leurs gants blancs. Gants qui sont mis en avant dans une manière de faire très spécifique : le shisa kanko
, procédure qu'on pourrait traduire en point and calling
.
Pointer du doigt ce que l'on doit regarder à chaque point de vérification et l'énoncer à voix haute, procédé qui réduirait sensiblement les erreurs dans les checklists. C'est assez spectaculaire, et surtout, à faire en public les premières fois, on doit être assez intimidé.
Le procédé qui fait la joie des touristes étrangers autant que de tirer la langue à des gardes royaux britanniques , est originaire du début du XXème siècle. À l'époque, les locomotives étaient à vapeur, donc bruyantes, très imposantes, avec parfois des brumes épaisses qui s'échappent ; et pour faire les contrôles, le cheminot est obligé de descendre du quai pour inspecter l'autre côté du train.
Énoncer à voix haute était donc un moyen pour les conducteurs de locos de savoir où en sont les contrôles, et éviter un accident regrettable avec un des contrôleurs.
Le simple fait de joindre le geste et la parole au regard réduit significativement le taux d'erreur : Par la répétition et l'habitude on acquiert ce mode de vérification, en joignant à la mémoire visuelle aussi la mémoire orale et gestuelle, on réduit les possibilités d'avoir mal vu. Parce que oui, nos cerveaux humains peuvent être fatigués, peuvent être victimes d'eux-même, et donc on se retrouve à croire voir
. Sauf que quand on manipule des engins de plusieurs dizaines de tonnes avec une centaine de personnes à bord, les responsabilités sont importantes. Et le fait de se souvenir d'avoir montré du doigt et de l'avoir dit est plus fort que de simplement se souvenir d'avoir lu un compteur, non ?
Une étude de 1994 annonce un taux d'erreur réduit de 85 %, mais cette étude ayant été faite par une compagnie japonaise de trains, où ce processus est ancré dans la culture, comment ont-ils pu établir la référence ? Justement en vérifiant les progrès effectués dans la sécurité par une compagnie étrangère qui l'a appliquée.
À ma connaissance, il n'y a eu aucune étude pour voir si des mains nues, des mains gantées de noir ou en moufles vert fluo font changer les choses, donc on ne saurait dire l'impact des gants blancs sur la procédure, ou si c'est juste très chic.
Autre chose, le fait d'appeler à voix haute ce que l'on est en train de contrôler oblige à une certaine concentration, mais surtout signale aux personnes alentour que ce n'est pas le moment de vous distraire, et qu'elles ont plutôt intérêt à monter de suite si elles veulent partir.
Donc cette procédure qui emploie un timbre de voix très impératif donne une impression martiale, mais ce qu'elle fait gagner est encore plus redoutable : des accidents en moins.
Et si on l'appliquait en informatique ?
Bon, ceci dit, si je me mets à pointer du doigt chaque ligne de test en les appelant à voix haute avant de déployer sur serveur, je crois que mes collègues d'open-space vont en venir aux mains.
« Passage du site web en maintenance ! mise à jour des paquets ! migration de données vers la nouvelle structure ! relance de la base de données ! Tu vas arrêter ton boucan où l'on t'oblige à télétravailler ! Non piiitiiié, pas le télétravail ! »
Texte : Da Scritch.
Illustration graphique : affiche d'information professionnelle via furansujapon.com, auteur inconnu, D.R.