Extrait de l'émission CPU release Ex0189 : Code-barres.
Joe Woodland, ou plus exactement Norman Joseph Woodland à l'état-civil, naît dans le New Jersey à Atlantic City le 6 septembre 1921. Il suit des études scientifiques et durant la guerre sera assistant technique au projet Manhattan à Oak Ridge. On doute qu'il connaisse à l'époque le but de construire une bombe atomique, mais il y appris moult choses sur l'industrialisation et la logistique.
À la sortie de la guerre, il est diplômé d'un master de génie mécanique en 1947 à l'Université de Drexel à Philadelphie, où il enseignera la matière les années suivantes.
Joe Woodland est… le gourou
Un de ses copains de promo, Bernard Silver, lui rapporte une conversation qu'il a entendu dans les couloirs entre un de ses professeurs et le patron de la chaîne de magasins Food Fair. Ce dernier râlait du temps de saisie des produits en caisse. La question est alors ultra pertinente : la queue aux caisses dans les supermarchés. Car à l'époque, il faut saisir le prix de chaque produit en caisse, une saisie manuelle qui n'est pas à l'abri d'une erreur, et donc, il n'était pas rare que des clients contestent la petite facture finale. Il y a aussi un problème de logistique : difficile de connaître au cours de la journée quand un produit risque d'être trop bien vendu au point de laisser une lacune dans son rayon, alors qu'on en a des palettes entières dans le stock.
Cette conversation écoutée indiscrètement travaille les deux compères. Bernard et Joe y réfléchissent, avec leur expérience acquise dans la logistique industrielle lors de la guerre. Ils décident de se lancer dans une carrière d'inventeur grâce à leurs économies.
On est en 1948, sur une plage de Floride et c'est ici que l'idée du code-barres va germer. Joe Woodland profite pour les vacances de l'appartement de mamie face aux plages de Miami sous prétexte d'y réfléchir. Ses pensées vagabondent, et il a quelques souvenirs de sa jeunesse chez les boys-scouts, où notamment, il y a appris le code morse. Vive la télégraphie sans fil.
Je me souviens, je songeais aux points et traits quand j'ai enfoncé 4 doigts dans le sable et, pour une raison que je ne me souviens plus, j'ai ratissé de ma main vers moi. Et là, j'avais 4 lignes. Et je me suis dit :Bon sang ! Maintenant, j'ai 4 lignes, et elles peuvent être fines ou épaisses, au lieu d'être des points et des traits. J'ai une bonne piste pour résoudre ce stupide problème.
Et alors, quelques secondes plus tard, avec mes quatre doigts toujours plantés dans le sable, j'ai tracé un cercle.
Oui, parce que dans le brevet qu'il co-rédige en 1949 et qui lui fut attribué en 1952, Joe propose deux formats pour le code-barres : le rectangulaire que l'on connaît tous, et une suite de cercles concentriques, comme une cible. Ces deux formats vont avoir deux destins différents. Mais je vais trop vite, revenons à 1948.
De retour à Philadelphie, il retrouve son copain Bernard Silver et sur leur temps libre, outre la rédaction du brevet, ils construisent un dispositif expérimental avec une ampoule très lumineuse, une cellule photo-électrique et son électronique à lampe pour amplifier le signal et un oscilloscope pour lire
le signal.
L'ampoule fait 500 W, sacrée puissance qui dégage énormément de chaleur, elle est brûlante même une minute après l'avoir éteinte. Donc oui, on a un engin lourd, qui chauffe comme un taureau qui voit rouge, et qui n'arrive à reconnaître à peu près qu'un seul code-barres.
Ils avaient la base sauf un élément crucial : un mini-ordinateur pour réellement décoder le message.
Joe Woodland était un pionnier, il avait 20 ans d'avance sur la technologie.
C'est encore plus con quand on sait qu'à cette époque avec son pote Bernard, ils étaient salariés d'IBM. Mais la grosse boite a considéré l'invention comme non-commercialisable dans l'immédiat et leur a proposé une somme très… symbolique
. Mauvaise négo.
Woodland et Silver revendront donc leur brevet en 1952 à Philco qui le cédera dans la foulée à RCA, à l'époque concurrent d'IBM.
Bernard Silver mourra en 1962 à 40 ans, plutôt jeune. Woodland continua sa carrière chez IBM mais son histoire avec le code-barres ne s'arrêtera pas là.
Joe Woodland nous a quitté le 9 décembre 2012 des suites de la maladie d'Alzheimer, à 91 ans. Mais on ne le laisse pas là, car il va revenir dans l'histoire du code-barres.
Texte : Da Scritch
Voix complémentaire : Infested Grunt
Illustrations sonores : Pogotron « Tape recorder » (CC Sampling+), BBC Radiophonic Workshop « Beach atmosphere »
Illustration graphique : Portrait de Joe Woodland, auteur inconnu, D.R., via Futura Sciences