Extrait de l'émission CPU release Ex0189 : Code-barres.
RCA acquiert donc en 1952 le brevet des code-barres et va le développer.
RCA ? Radio Company of America, créée en 1919 par Guglielmo Marconi pour gérer ses brevets concernant la radio et l'électronique à lampes. Oui, le même Guglielmo Marconi qui s'était fait piraté lors d'une démonstration publique à Londres en 1903.
Marconi donc crée une entreprise pour gérer ses brevets avec en actionnaires General Electric, Westinghouse et AT&T. Des bonnes fées
qui savent comment transformer l'innovation en cash à grand coups de brevets industriels.
Avant la seconde guerre mondiale, RCA est le spécialiste de l'innovation électronique, de la recherche conceptuelle jusqu'à la popularisation auprès du grand public. Un géant qui a monté les deux plus grands réseaux radio, les réseaux NBC, que le gouvernement poussera à céder et les premières stations de télévision dès 1935. Durant la seconde guerre mondiale sont créés à Princeton (New Jersey) les fameux RCA Laboratories qui feront partie des pionniers du radar, des enregistreurs magnétiques et de l'informatique. Le patron de RCA, David Sarnoff sera à la barre de 1919 à 1970. Bref, RCA en 1948, c'est le géant de l'électronique dans tous ses états avec l'armée d'avocats pour bien faire suer la concurrence.
RCA a donc racheté en seconde main
le brevet du code-barres et y a mis une équipe dessus. Comme l'avait pré-senti Joe Woodland, le design en cercles concentriques, dit en bull-eye
(œil de taureau
) est préféré, car il permet de scanner le produit quelque soit l'angle où se présente le motif par rapport au lecteur. Lire le bull-eye se fait du centre vers le bord. Sauf qu'il amenait à des difficultés non prévues lors de son impression : la moindre imperfection le rendait illisible. Par exemple, à la sortie du rouleau d'impression, on peut avoir l'encre qui bave ce qui rend les cercles parfois légèrement flous. L'impression des premiers code-barres circulaires se fit donc avec un feutre fixé sur un axe circulaire. Un compas, quoi.
Mais le projet sera proprement rangé dans un placard jusqu'en 1966.
Pendant ce temps, la demande des supermarchés devient de plus en plus prenante, le smartphone n'existe pas encore pour calmer la clientèle qui fait la queue devant les caisses. Dans un livret imprimé par la chaîne de magasins Kroger, l'une des plus importantes chaînes de supermarchés américains, et qui est destiné à leurs partenaires en 1966, on y lit cette supplique :
Rêvons un petit peu : Et si un scanner optique pouvait lire le prix et faire l'addition. Nous cherchons désespérément un service plus rapide, des procédés plus productifs. Nous avons besoin de votre aide !
(Il ne manque que la phrase vous êtes notre seul espoir
et on aurait la base d'un bon nanar de SF)
1969, on est à quelques mois de l'expiration du brevet, et RCA tente de concrétiser au plus vite l'idée, avec une très bonne touche auprès d'un important syndicat de commerces, la National Association of Food Chains.
Le temps presse car avec l'expiration du brevet, des techniques concurrentes sont en cours de test : On voit ainsi apparaître un système de code-barres en couleurs pour identifier les wagons de fret dans le ferroviaire, mais pas d'une efficacité redoutable, ou encore Computer Identics qui prépare un système de code-barres pour l'industrie, mais qui n'accepte que les nombres jusqu'à… 100.
Non, pour le système de code-barres, il faut voir en plus grand, impliquer les fournisseurs, et avoir le même système entre chaînes de supermarchés concurrents. Les économies d'échelles permettront de rendre le système plus rapidement rentable.
RCA pousse pour l'établissement d'un index universel des produits vendus, un UUID comme celui qu'on imprime en encre magnétique sur les chèques. Si c'est faisable avec le petit milliers de banques régionales américaines, cela doit pouvoir se faire avec les fabricants et grossistes de produits alimentaires.
Afin d'éviter de n'être tributaire que d'un seul fournisseur qui aurait pu manquer un aspect de cette technologie, la National Association of Food Chain commence à constituer un groupe d'étude avec les supermarchés et leurs fournisseurs pour mettre en place un Uniform Grocery Product Code
. Oui, ils se limitaient encore au rayon épicerie. Le Ad-Hoc Committee for U.S. Supermarkets on a Uniform Grocery-Product Code lance donc un concours de beauté auprès des industriels.
Les règles du concours sont simples. Y'a que 9 points :
- Le système doit pouvoir lire la référence, peut importe dans quelle direction on passe le produit devant le scanner.
- L'erreur de lecture non détectée doit être inférieure à 1 pour 20 000 produits scannés.
- Le taux de réussite au premier essai de lecture doit être de plus de 99,99 %.
- La référence doit pouvoir être lue quand on passe le produit à 2,54 m/s (oui, 100 pouces par secondes, leur système impérial est impérieux).
- La référence doit pouvoir être lue quelle que soit l'endroit où il a été placé sur l'emballage. Donc implicitement le scanner doit pouvoir le lire jusqu'à 20 cm de distance.
- L'appareil lecteur doit pouvoir être tenu à la main.
- La référence doit pouvoir s'imprimer avec les technologies actuelles d'impression des emballages.
- La référence doit faire exactement 10 chiffres.
- Et enfin, très important : la référence ne doit pas couvrir plus de 10 cm² sur l'emballage, chiffres lisibles par les humains inclus. Pas plus grand, pas plus disgracieux, on veut pas trop prendre de place sur les boites bariolées sinon le département publicité va encore en faire une maladie. (oui, à l'époque, il n'y avait pas encore l'obligation d'imprimer sur les emballages alimentaires la liste des ingrédients, les allergènes, les provenances de produit, les normes respectées et les informations nutritionnelles. On se demande de quoi se plaignaient les designers de packaging à l'époque).
Face à RCA, IBM et 5 autres entreprises proposent au Symbol Committee, le comité de normalisation, leur solution de numérotation des produits.
Mais RCA a vraiment de l'avance sur les autres participants, ayant presque résolu le problème de l'impression des bull-eyes qui bavaient ; ils ont construit un scanner et développé le mini-ordinateur et les logiciels professionnels qui vont avec. Il ont même convaincu Kroger, qui objectivement n'attendait que ça, de tester le système de code bull-eye dans un de ses magasins.
L'étiquette ressemble à une cible, fait environ un pouce, 2.54 cm de diamètre, et évidemment, il faut imprimer une référence différente par produit. C'est à dire la palette de milles boîtes, là. Allez hop ! Et plus vite que ça ! Et quand t'auras fini les boites de céréales, y'a les conserves de petit pois à faire…
Et donc en Juillet 1972, après avoir réaménagé l'espace des caisses, un fastidieux inventaire où il a fallu en même temps qu'on leur étiquetait le prix coller des étiquettes sur les produits et surtout au cul des boites de conserves, la supérette de Kroger à Kenwood dans l'Ohio enregistre le premier panier scanné par un code-barres en grande pompe, devant les journalistes.
Ben oui, c'est une curiosité technologique, et au prix que cela coûte, on espère que ça va donner envie aux badauds de faire leurs courses.
Derrière la caisse, un ordinateur de marque RCA, forcément. J'ai pas réussi à retrouver les caractéristiques de ce RCA-6100, mais j'en déduis que ce mini-ordinateur devait bien peser ses deux quintaux. 200 kg derrière la caisse enregistreuse, hors périphériques comme le lecteur optique, le clavier et l'imprimante.
Et le test est très concluant : les clients passent beaucoup plus vite en caisse, ce qui fait des files d'attentes beaucoup moins longues et un réel gain de productivité. Et le personnel en caisse est ravi de manipuler cet objet de science-fiction qui fait les totaux toute seule.
Les appareils installés à grand frais dans cette supérette Kroger dans la banlieue de Cincinnati ne fonctionnèrent que quelques semaines.
Le système de caisse restera au stade de proof of concept
. Car finalement, l'année suivante, c'est l'index concurrent UPC qui remportera l'adhésion de l'industrie. Et suite à cet échec, RCA se retira du secteur informatique des mainframes, ultra concurrentiel, et ne montra plus aucune ambition dans les caisses de magasins.
Texte : Da Scritch
Illustration sonore : « Sheet Rub » CC-0 Nicolas4677, « Analog camera click shutter » - CC-By Eelke.
Illustration graphique : Ruban de code-barres en bull-eye, CC-By Liz West