Extrait de l'émission CPU release Ex0193 : Datamatrix, QR-code et autres damiers.
En 2005, les trois opérateurs mobiles français de l'époque, Orange, SFR et Bouygues Telecom créent une association, l'AF2M (Association française du multimédia mobile), où sont invités les éditeurs de service télématiques, les vieux routards du minitel et du téléphone surfacturés. Parmi les premiers travaux de cette association, il y a la mise en place du SMS+, le SMS surfacturé. Quel idée de génie.
[Je peux être ironique : j'ai été dedans]
Et, malgré l'idée de services internet payants comme un minitel par votre fournisseur d'accès, compliqués à mettre en place, les trois opérateurs de l'époque regardent pour aussi tirer de l'argent du web mobile. Je veux dire encore plus d'argent
, à une époque où le mégaoctet coûtait méga cher en 3G.
Et là, ils ont réfléchi, et se sont dit que le mieux serait peut-être de faire payer les fournisseurs de services. Raisonnement pas trop idiot, mais si, finalement, il sera très bête !
Tout comme Microsoft, ils entendent parler de cette mode qui décolle au Japon, le mobile-tagging. Oui, j'étais pas le seul cadre à avoir eu mon voyage initiatique au Japon avec un décalage horaire de 5 années vers le futur.
Immédiatement, une idée a jaillit à l'AF2M, un peu poussée par la société Mobiletag : cette fois-ci, on fait facturer à l'édition du code-barre 2D, un peu comme GS1.
Mais quelle idée de génie.
Pour cela, l'idée est de produire des datamatrix. Datamatrix qui portent des index numériques vers un annuaire centralisé, et dont les membres de l'AF2M sont les seuls à avoir la main. Et de donc facturer l'inscription, la maintenance et les délistages. C'est pas du génie, ça, non ?
Ouais mais faut un nom qui claque, qu'on dépose avec ça, et qu'on va tenter d'imposer dans le langage courant.
Flashcode
, ça dépote non ?
Flashez le Flashcode !
Avec beaucoup de communiqués de presse et de campagnes de pub, l'expression va s'ancrer chez les Français.
En 2009, Flashcode™ devint le nouveau dada des agences de com' et les collectivités locales s'en sont fait vendre des wagons par les commerciaux des grandes SSII françaises, nos célèbres winneuses de CASSOS. Oui, encore une fois : Cap Gemini, Atos, Sopra Steria, SFR Business, Orange Business, Spie. Les CASSOS, nos GAFAM à nous. [générique des « Kassos », encore]
À noter quelques idées graphiques qui n'étaient pas inintéressantes, voire tiennent presque des bonnes pratiques : les FlashCode étaient encapsulées par une bordure, et le code numérique encodé était parfois affiché dessous.
Alors justement, ce qu'il y a d'encodé dans le datamatrix est un simple nombre… à 14 chiffres. Un nombre parfaitement codable dans un bon vieux code-barres. Mais un code-barres à une dimension, c'est beaucoup moins technologique, et donc bien moins évident à vendre à un décideur public.
On a connu des variations de marques : Tisséo, les transports en communs toulousains, a accolé à chaque arrêt de bus une triplette de Mobulles™
. Expérimentation officiellement gratuite, même si j'avais estimé à l'époque la redevance Mobules à 9000 €/an, plus un énorme investissement logistique pour identifier et coller les codes sur chaque arrêt de bus. Donc 3 datamatrix, on pouvait faire encore plus simple. Et leurs différents fonds de couleur ne les rendaient pas toujours lisibles en soirée.
Bref, le Flashcode inonde la France urbaine et supposée chébran, ou plutôt sans-filiste
, tout un public prêt à photographier du Datamatrix pour voir ce qu'il y a derrière.
Plantage !
L'expression flasher
, a été très galvaudée puisque le public n'a pas du tout flashé sur les flashcodes. À tel point qu'aucune stat d'usage n'a été publiée, aucune, alors que la prestation de mesure d'audience était vendue dans leur redevance.
Plusieurs facteurs expliquent l'échec de Flashcode :
- Le modèle de facturation. Avoir un Flashcode coûtait 2 € par mois par Flashcode. Cela n'incite absolument pas à en commander des milliers, ni à les faire perdurer. Mêmes les exemples sur le site de leur concepteur Mobiletag étaient… périmés, donc ne menaient nulle part un an après le lancement.
- L'usage fut volontairement limité à des entreprises et des collectivités publiques, par conception commerciale. Il est impossible pour un simple particulier de générer du Flashcode à la demande ou de s'en faire générer.
- Le logo même des Flashcode était buggé : c'était un datamatrix mais aux couleurs inversées. Ce qui le rendait non lisible par les premières versions de l'application, et il menait… à une page d'erreur. Encore ?!
- Une seule application pouvait lire les Flashcode, celle de Mobiletag pour l'AF2M. Pourtant le format datamatrix est ouvert, et à priori, il suffit juste d'ajouter le nombre décodé en suffixe à l'URL de redirection. Mais non, y'a eu qu'une seule application par OS de smartphone.
- Application qui, malgré les efforts de Mobiletag, ne fut pas disponible pour tous : À l'époque, on n'a pas deux OS dominants, mais une bonne dizaine. Et certains téléphones étaient verrouillés par leurs fabricants, donc impossible d'y ajouter une application si elle n'est pas installée d'usine.
- Application qui n'était qu'en Français. À croire que l'AF2M était certaine de ne jamais arriver à exporter leur belle invention. Ce n'est pas comme si la France est à l'époque la destination numéro 1 du tourisme. Au même moment, nos voisins italiens faisaient déjà du mobile-tagging à cœur-joie sur les sites historiques, en format purement ouvert.
- L'application Flashcode ne fonctionnait que sur un réseau mobile français. Attendez, je vous la refais : il était impossible de lire un Flashcode si on est dans un autre pays, ou si on est en France mais sur Wi-Fi. Là, on a atteint le sublime : le système est verrouillé à dessein pour vous obliger à consommer votre forfait internet mobile qui à l'époque était vraiment très cher.
- Et pour terminer d'enfoncer le clou : Free mobile, le quatrième opérateur mobile apparu en 2012 ne va même pas proposer le FlashCode. Il cassera sans trop le vouloir une partie du business-plan en divisant par 10 le prix des forfait internet mobile de l'époque.
En résumé : trois opérateurs mobiles couvrant tout le marché se sont associés pour vendre un truc. Il a été très bien réfléchi pour qu'il soit vendu, mais pas pour qu'il soit utilisé.
Alors des astuces vont être tentées pour lancer enfin le business FlashCode, par exemple en mettant un QR-Code à la place du Datamatrix, rendant le système encore plus confus, mais surtout, sabotant directement les acteurs qui pariaient sur le QR-Code ouvert.
Malgré tous ces efforts, l'inéluctable arrive en 2012 : Flashcode est mourant, mais les dégâts ont déjà eu lieu ; de l'argent public a été fichu en l'air, les start-ups françaises qui ont préféré le système ouvert du QR-Code ont pris du retard sur leurs concurrents, et au final, le mobile-tagging s'est retrouvé ridiculisé, marginalisé auprès du grand public et de nombre de décideurs.
Ça peut pas marcher puisque ça n'a pas marché.
Je ne crois pas être le seul à en avoir gardé une certaine amertume. Et pourtant la conclusion est positive : le format ouvert l'emporte toujours sur des business fermés.
Texte : Da Scritch
Illustrations musicales : Générique du dessin-animé « Les Kassos », D.R.
Illustration graphique : Slide d'une présentation de Franck Ménigou « Atelier Déployer des services publics nomades et distribués
», 2011, extrait, D.R.