Extrait de l'émission CPU release Ex0203 : Aux origines du web.
En 1990, Tim Berners-Lee voit que ses tentatives pour étendre un système hypertexte existant… vont vers une impasse. Soit le logiciel considéré est trop limité, soit son éditeur refuse une participation tierce. Berners-Lee n'a pas le choix, et doit développer un nouveau navigateur, un nouveau protocole et un nouveau serveur pour mettre en œuvre sa vision d'un système hypertexte distribué.
À l'époque, la firme d'ordinateurs NeXT fondée par Steve Jobs propose à ses clients une très intéressante palette d'outils de développement : le langage Objective C, qui introduit les notions d'objet et NeXT Interface Builder, un éditeur WYSIWYG d'interface de logiciel.
Ce type d'outil de développement rapide d'interface n'est pas une nouveauté ; des kits équivalents existent aussi sur Mac et sur Amiga, mais celui de NeXT est intimement lié au gestionnaire de fenêtre NeXTstep, à un langage objet et le code d'interface est très fortement simplifié.
En 1990, le CERN achète à Berners Lee un NeXT Cube. En moins de 3 mois, Il va développer avec le prototype fonctionnel de WorldWideWeb, aussi dit WWW
, le premier navigateur web. Celui-ci n'a besoin de supporter qu'une dizaine de tags différents, avec le fonctionnement spécifique de la balise de liens <a>
. Donc prévoir une dizaine d'aspects différents d'affichage de texte, et de la mise en forme spécifique pour les blocs de définitions ou les listes. Il est aussi capable d'accéder à des newsgroups ou à des serveurs FTP, mais aussi de télécharger des documents sonores ou d'autres traitements de texte en lançant le bon programme.
WorldWideWeb n'est pas que le premier navigateur web, il est aussi… le premier éditeur de pages web. Il a été conçu comme un logiciel de création de page HTML en WYSIWYG.
En 1998, Tim Berners Lee avouera que son premier éditeur n'était pas hyper pratique, et les autres éditeurs arrivés après manquaient de consistance en expérience utilisateur, mais quand même… sa modestie à part, y'a quand même un peu de magie à utiliser WWW : dès qu'un document, un hypertexte
est ouvert, vous pouvez directement le modifier, le remettre en forme, le sauver localement… voir le republier !
Eh oui ! C'est une propriété méconnue : quand Tim Berners-Lee crée le web, et son navigateur WWW, ce logiciel incorporait un éditeur et faisait aussi office de serveur web. À son origine, le web était conçu comme un véritable service décentralisé, chaque ordinateur avec le navigateur WorldWideWeb était serveur web… tant que le programme n'était pas quitté.
Sauf que sa très grosse station de travail NeXT Cube sous son bureau du CERN ne pouvait plus être éteint, il devait rester allumé toute la journée, et bientôt jour et nuit. Un papier était collé dessus :
Cet ordinateur est un serveur. Ne l'éteignez surtout pas !
Entre la consommation électrique de la grosse station de travail, le bruit continu de la ventilation de la bécane, les risques de coupure électrique non-intentionnelle par la personne de ménage qui cherche une prise pour son aspirateur, et les différents aléas systèmes quand on démarre une autre application très gourmande en ressources, ben rapidement, il fallait se rendre à l'évidence : on devait séparer le serveur du navigateur.
WWW a les inconvénients de son prototypage et de sa plateforme hôte : développé dans un langage pas disponible ailleurs, trop lié à un environnement graphique propriétaire et plutôt confidentiel, son développement sera arrêté après la sortie de NCSA Mosaic et de Netscape. Ses auteurs se concentreront sur la normalisation et l'extension du HTML et de HTTP. Dès 1990 va apparaître un navigateur web disponible en mode texte, idéal donc pour les terminaux d'ordinateurs et les PC en mode texte : lynx, et qui va se baser sur une bibliothèque logicielle, libwww, sur laquelle d'autres navigateurs seront construits.
Pour fêter les 30 ans du web, le W3C a commissionné une simulation en ligne du navigateur web séminal WWW, dans son environnement NeXTstep. On peut profiter de cette expérience : pour cela, on va sur le site https://worldwideweb.cern.ch
. La simulation tourne en application Web, ce qui est assez marrant ! Ou plutôt il tournait : il était dépendant d'une partie serveur qui réduisait les pages modernes en syntaxe HTML1 et cette partie n'est plus fonctionnelle, mais au moins, sur les pages statiques qui reste, on a une idée de l'expérience utilisateur. D'ailleurs, si quelqu'un trouve les sources de cette simulation, il sera très sympa de la poster en commentaire [de cette page.]
Revenons donc à cette interface : On note l'absence de la barre d'URL, mais la navigation page précédente
et page suivante
est possible via le menu. Et comme les menus sont séparables dans NeXT, on a les prémices de la barre de navigation, on peut même faire apparaître une popup de navigation. Sinon, à l'usage, on est très proche de nos navigateurs actuels, à part qu'il faut double-cliquer sur un lien pour le suivre et qu'il s'ouvre dans une nouvelle fenêtre. Si on ne fait pas gaffe, on doit très vite être débordé.
Ah oui, les développeurs qui s'amusent à regarder le trafic entre leur navigateur et celui du CERN dans cette simulation y liront un entête très rigole :
x-powered-by : 1990s technology, and unicorns, obviously
En gros, que l'émulateur tourne avec des technologies du temps de l'eurodance et des licornes.
Auteur : Da Scritch.
Voix complémentaire : Infested Grunt
Illustration : Logo historique du WWW, créé par Robert Cailliau. Constitué de 3 W utilisant la police Optima Bold, selon Cailliau lui-même. Via Wikipedia Domaine public.