Extrait de l'émission CPU release Ex0218 : Masterclass Jordan Mechner, première partie.
Durant la production de son jeu « Karateka », ou il utilisera le rotoscoping pour rendre l'animation plus réaliste, Jordan Mechner va voir arriver dans les salles d'arcades un jeu vidéo qui propose un vrai dessin-animé interactif : « Dragon's Lair ».
Oui, réellement un dessin-animé interactif !
« Dragon's Lair » est une borne d'arcade mythique du début des années 1980s. À l'époque, les constructeurs s'embarquent dans le spectaculaire, et même dans la conception proche des parcs d'attractions, comme on en a parlé avec les Battletech Center.
Et j'ai dit dessin-animé
. À une époque où au mieux les bornes d'arcades ne pouvaient afficher plus de 16 couleurs et des sprites de maxi 32 pixels de côté, « Dragon's Lair » va exploser le concept : l'informatique ne s'occupe pas de générer des graphismes, mais pilote un lecteur LaserDisc vidéo qui joue de courtes séquences animées. Un format dont on a déjà disserté dans cette émission.
Et ces séquences vont faire que cette borne va marquer, car animées par un ancien de chez Disney : Don Bluth, connu comme animateur de génie sur « Robin des Bois », « Rox et Rouky » et responsable de l'animation du film « Les Aventures de Bernard et Bianca ». En 1981, Don Bluth vient justement de claquer la porte du studio de Burbank avec une partie de son équipe à cause des nombreux errements du management de Disney à ce moment-là.
En 1982, le nouveau studio créé par Don Bluth se voit donc proposé de réaliser des scènes épiques d'un chevalier dans un château rempli de dangers. Du beurre dans les épinards pour celui qui finalise le film « Brisby et le Secret de NIMH » (qui ne sera malheureusement pas un succès en salles, mais qui mérite le visionnage). C'est ce genre de commandes qui vont permettre à Don Bluth d'établir son studio indépendant, et de réaliser des films qui vont cartonner comme « Fievel et le Nouveau Monde », « Anastasia » et « Titan A.E. ».
Pour en savoir plus sur ce réalisateur mythique de l'animation, je vous suggère d'aller voir une vidéo des Chroniques de Meaaa parce que je suis un gros flemmard (le lien est sur la page de l'émission), et que je vais pas systématiquement renvoyer à une émission des copains de Cross-Over, surtout que eux n'ont pas de belles images à montrer.
Donc la borne d'arcade affiche une animation léchée, emplissant l'écran, pleine de couleurs et de nuances, avec une musique riche et une voix de narrateur qui feraient tomber dans leur borne d'à côté Mario et Donkey Kong de leur échafaudage en 8 bits.
Par contre, avant d'adapter « Dragon's Lair » en jeu pour console ou ordinateur, il va falloir attendre une bonne décennie d'avancées technologiques.
L'histoire du jeu est simple : vous incarnez Dirk, un jeune et vaillant chevalier qui doit délivrer des griffes d'un dragon retranché dans un château fort la belle Daphné, une demoiselle en détresse.
Oui, encore....
Désolé mesdames pour ce désespérant cliché misogyne. À l'époque, les jeux vantaient rarement l'émancipation féminine.
Quand j'ai vu la borne d'arcade en 1984, j'avais remarqué que les parties étaient très courtes et très chères : 5 Francs pour moins de 2 minutes de jeu, alors que le casse-brique à côté, tu pouvais tenir 5 minutes pour une partie de 2 Francs. Rapporté à l'inflation, les 5 Francs valent environ 2 €, c'était largement hors de portée de mon budget. Surtout que vous allez voir que le gameplay de « Dragon's Lair » ne peut que favoriser le fail & retry, échoue et recommence
, donc évidemment il faisait la fortune des exploitants de salles de jeu.
Ah oui, la durée totale du jeu si vous arrivez au bout est d'une dizaine de minutes. Et à la fin, bisou final de la belle libérée dans le cou du chevalier, et la partie est terminée.
On s'émerveille à regarder la borne, sauf qu'en termes d'interactions, c'est autre chose :
« Dragon's Lair » est peut-être le premier jeu à populariser le concept de QTE (Quick-Time Event). En Français, je traduirais en réflexes immédiats minimalistes
.
Le jeu est une suite de scènes cinématiques qui demandent une interaction minimale du joueur, une typologie d'interaction vidéoludique qui ne reviendra à la mode qu'au début des années 2000s.
Vous devez réagir très rapidement par un mouvement réflexe à quelque chose qui arrive sur l'écran pour compléter une action. Vous n'avez pas d'autres échappatoires, pas de possibilité d'élaborer une tactique, d’enchaîner des combos de mouvements, c'est que du réflexe pavlovien. Par exemple, la grille d'entrée commence à lâcher et va vous tomber sur le crâne, vous n'avez d'autre issue que de faire un petit saut vers la droite. Les 3 autres directions ou le bouton d'épée auront le même résultat que de ne rien faire : perdre une vie. Et sur certains écrans, si vous faites le mouvement attendu trop tôt, là aussi, la faucheuse vous retirera une vie de plus, dans une scène d'humour macabre. Les scènes étant jouées aléatoirement et l'image étant parfois renversée en miroir, retenir un pattern de mouvements gagnants est totalement vain.
Cette gestion par réflexe fait que le héros semble être plus une marionnette que réellement guidé par vous.
Le jeu n'est pas tendre de conception pour le joueur, mais aussi pour son propre matériel : le premier modèle de lecteur Laserdisc embarqué dans la version américaine utilise un laser à gaz, dont la cartouche doit être remplacée toutes les 650 heures d'utilisation, au contraire des lasers à diodes, et ça, on en a déjà parlé.
Le disque de 30 cm de diamètre est consolidé par une plaque de métal, il est plus lourd que ceux normalement commercialisés afin qu'il évite de se déformer par la chaleur, ce qui met déjà en surchauffe le moteur.
Mais c'est la succession de scènes très rapides, des fois durant moins de deux secondes, qui martyrise littéralement le lecteur : très sollicité par ces changements rapides de séquences à lire, le bras de lecture du lecteur se fausse. Pour une borne qui déjà coûtait pas mal à l'achat aux exploitants, il fallait prévoir un sérieux budget maintenance. Il existe heureusement des solutions pour remplacer avec des lecteurs Laserdiscs plus récents, mais ceux-ci ne survivent qu'à peine plus longtemps à la fureur du logiciel. Maintenant, les retrogamers qui ont le superbe meuble remplacent l'appareil de lecture par un petit Raspberry Pi qui contient les séquences vidéos numérisées.
« Dragon's Lair » eu son succès et a suffisamment rapporté aux exploitants de bornes d'arcades pour connaître une suite, « Dragon's Lair II », toujours avec le même concept, la même équipe et la même difficulté. Il eut aussi « Space Ace » qui se passe dans un univers space fantasy, avec un vaillant spationaute qui vole au secours d'une demoiselle en détresse.
Ouais, encore.
Les trois jeux ont été adaptés sur différentes plateformes à la fin des années 1980s, dont l'Amiga, le PC et même la Gameboy. Mais l'animation était saccadée et manquait de détails. L'arrivée du DVD permettra de parfaire une seconde vague d'émulations dans les années 2000s, voire même une édition jouable à partir d'un simple lecteur DVD. Les touches fléchées et le OK de la télécommande suffisent, à condition de supporter l'action frénétique du joueur.
Malgré son gameplay ultra-minimaliste, « Dragon's Lair » avait marqué par son rythme, la qualité du son et de l'image, et pour cause !
Ah oui, message de service important : qu'elle soit princesse ou comptable du gouverneur de la planète, ce n'est pas parce que vous sauvez d'un péril certain une jolie jeune fille que celle-ci a forcément envie de faire crac-crac avec vous. Le consentement dans un rapport sexuel ou un baiser est primordial.
Texte : Da Scritch
Illustration musicale extraite du jeu vidéo, D.R.
Illustration : capture du jeu dans son portage Steam, © Digital Leisure Inc, D.R.